Parce que j'ai plein de choses à lui dire
mywritings65
Lundi 4 février 2013
Cher Dimitri,
Comme tu as pu le constater, je ne suis pas à l'école. J'ai la gorge extrêmement sèche et le nez aussi bouché qu'une bouteille de vin (expression que j'ai inventée l'année passée).
Je me suis réveillée à 2H du matin, sans parvenir à me rendormir (ça fait un peu plus d'une semaine que c'est comme ça) et comme je ne tenais pas debout à 6H, j'ai préféré m'accorder un jour de repos.
Etant donné que l'on ne s'est connu que gamin, je suis en mode nostalgie, depuis que maman m'a annoncé la tragique nouvelle dimanche passé. J'écoute des chansons que j'écoutais il y a quelques années, je scanne de vieilles photos, ... Et j'ai cette envie maladive d'écrire.
C'est un côté que tu ne connais pas chez moi. Cette passion pour l'écriture m'est venue alors que j'allais avoir 7 ans. Je me rends compte que même quand on était proche, je pensais à peine à toi. A la base, j'ai commencé à écrire des histoires pour les lire à mes jeunes cousins avant de dormir. Mais je ne pensais pas à toi. Ces histoires étaient destinées aux enfants de ma marraine: Mélanie et Adrien. Mais je ne leur ai jamais lu une de mes histoires.
Depuis, cette envie d'écrire est devenue une drogue. Mélanie et Adrien occupaient une grande place dans ma vie, du coup j'ai beaucoup écrit pour eux, avec des personnages qui les représentent. C'est ainsi que sont nées les enquêtes du Club des Dalton. J'ai commencé à les écrire en 6e primaire. J'avais une méthode de travail ultra-top ! Mais une feuille recto était l'équivalent d'un chapitre, et je n'écrivais que des dialogues. De plus, les fins étaient assez loufoques: nous rencontrions toujours nos stars préférées !
Quelques années plus tard, après avoir acquis de meilleures connaissances en ayant énormément lu, j'ai recommencé la série. Des histoires plus plausibles, mais des enquêtes toujours simples à résoudre. J'ai toujours mis Mélanie, qui a ton âge, dans la peau de la narratrice. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que c'est elle qui me connait le mieux. Adrien était le personnage le plus sensible, celui auquel on pouvait s'attacher facilement. J'ai dû me dire qu'étant le seul garçon de la bande, il devait être le personnage le plus touchant. Quant à ma soeur, elle était l'intello de l'équipe. J'sais pas pourquoi. Je ne la faisais pas beaucoup intervenir, sûrement parce qu'elle est ma soeur et que la voir à la maison m'était bien suffisant. Je ne sais pas si c'est de l'égocentrisme ou de l'égoïsme ou non, mais le personnage principal, ça a toujours été un personnage qui me représente. Je ne sais pas non plus pourquoi, peut-être que j'ai l'impression que c'est plus facile ainsi.
Tout un temps, j'ai toujours eu envie d'écrire et de publier ma vie, un peu comme Marcel Pagnol. Je voulais montrer au monde entier que je suis entourée des gens les plus exceptionnels du monde ! C'est aujourd'hui que je réalise que je ne parlais même pas de toi, ni même de ta soeur. Pourtant, vous avez fait partie de mon enfance. Ca doit être à cause du manque de souvenir. Mais depuis que je pense à toi (dans ces horribles circonstances, j'en suis vraiment désolée), certaines choses me reviennent petit à petit.
Quand on devait aller chez vous, je râlais tout le temps, je ne voulais jamais venir. Mais une fois près de vous, à m'amuser comme une folle, je ne voulais jamais retourner ! Je n'aimais pas ta maman parce qu'elle m'offrait toujours des vêtements. Je ne sais plus pour quelle occasion tu avais reçu un parcours de billes, mais j'étais fan de ce jeu ! J'ai demandé à avoir le même, pour une fête genre Saint-Nicolas, et ta maman a dit à la mienne que ce jeu allait lui casser les oreilles. Une fois que je l'ai reçu, je l'ai à peine touché. J'y joue parfois, il est dans une armoire dans ma chambre, même que j'ai perdu une des deux billes.
Je pense que c'est à force de ne pas penser à toi que les souvenirs s'en sont allés. Mélanie et Adrien étaient tellement importants pour moi que je pensais toujours à ce qu'on avait vécu. Je me souviens de la cuisine à l'étage (elle est en bas depuis bien longtemps maintenant) et de ma découverte du Nutella Duo. Je pensais que le chocolat blanc était en fait du beurre.
Une nuit nous a marquée aussi. Je ne sais pas comment cela se fait, parce que nous étions vraiment petits, mais nous nous en souvenons tous: je leur avais dit que les voitures noires étaient celles des voleurs. Forcément, dans le noir de la nuit, les voitures étaient quasi toutes noires ! On s'est cru envahi ! Ils habitaient en face du Liddle (qui n'existe plus depuis peu), et on avait aperçu une chose blanche. Je leur avais dit que les voleurs attendraient que l'on soit endormi pour voler le trésor qu'il y avait à l'intérieur. En panique, nous avons prévenu ma marraine, qui nous a promis d'aller chercher cette chose. Le lendemain matin, elle nous a montré ce que c'était: une poubelle ! Mes cousins s'en sont servis pour ranger leurs jouets.
Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça. Peut-être pour que tu me connaisses un peu mieux, mais à quoi bon? Tu n'es plus là, tu ne saurais pas lire tous ces écrits que je te dédie. Et cela ne change rien au fait que je ne te connaissais pas plus que ça.
Certains frères et soeurs s'entendant comme chien et chat, ta mère et mon père ne se portent pas dans leurs coeurs. C'est à cause de cela que nous ne nous sommes pas vus plus que ça. Quand j'étais petite, je ne me posais pas trop de questions, ne pas vous voir était une sorte d'habitude. Il y a quelques années, j'ai réalisé que vous me manquiez, Emilie et toi. Mes cousins sont très importants pour moi, et vous n'en étiez pas exclus (j'arrive pas à formuler ma phrase). Cette mésentente ne concernant que nos parents, j'avais décidé de vous demander comme amis sur Facebook. Ainsi, j'aurais pu prendre de vos nouvelles, nous aurions pu parler du bon vieux temps et on aurait pu s'arranger pour se revoir. Mais vous n'avez jamais accepté, ce qui m'a toujours déçue... Et donc je n'ai pas insisté.
Malgré tout, tu étais, es et resteras mon petit cousin. Je ne t'aurais échangé pour tout l'or du monde. Je t'aurais défendu jusqu'à la fin. Je t'aurais protégé... Nous savions que tu travaillais Au P'tit Maxim's. Nous avions l'intention d'y souper un soir où tu y servirais. Mais nous avons attendu trop longtemps...
J'adore aller manger là-bas, même si je prends toujours les mêmes repas. J'aime l'ambiance: personne ne se connait mais tout le monde se parle. Je me demande si j'aimerais encore y manger... Normalement oui, c'est pas parce que t'y travaillais et qu'un sale accident sur ton chemin du retour t'a tué que je n'aimerais plus. C'est ridicule, hein? Et puis, tu ne voudrais pas que l'on se prive de leur bonne restauration rien que pour ça.
Depuis l'enterrement, je n'ai plus pleuré. Je me dis que tu ne voudrais pas nous voir pleurer pour toi à longueur de temps. Après tout, la vie continue. C'est un obstacle à franchir, et il y en aura bien d'autres !
Je me demande malgré tout ce que tu pensais de cette situation familiale. Ce refus Facebook me hante. Des fois je me dis qu'on t'a forcé, ou que tu as voulu m'accepter mais par crainte de la réaction de ta soeur ou de ta maman, tu t'es forcé à refuser. Je me dis ça parce que je ne te revois que gamin, tout beau et tout souriant, s'amusant avec la grande sale bic que j'étais (même si j'étais gentille avec toi), et qu'il m'est difficile d'imaginer d'autres versions. Si ça se peut, t'en avais rien à faire. Comme Emilie... le regard qu'elle me porte aujourd'hui me blesse. Il n'y a que ton père qui a l'air de nous apprécier.
Enfin soit... J'avais juste envie d'écrire. Si j'avais encore des choses à dire, j'écrirais encore et encore, jusqu'à n'en plus finir ! Mais il faut bien que je m'arrête un jour.
Au revoir, cher cousin,
Amélie