Paris, le 12 juillet (version face)
ententecordiale
Résumé pour donner des repères aux lecteurs :
Alice Liddell est pianiste. Elle est venue à Paris pour interpréter le concerto en sol de Ravel. Un accident dont elle a été témoin lui a endolori l'épaule. Elle a accepté de visiter Paris secret avec un inconnu qui l'a abordé à la terrasse de son hôtel.
La profession d'Augustin est plus trouble. Il a embrouillé la Britannique Alice avec un sigle sur une carte de visite et un soi-disant bureau. Mais le cycliste réchappé de l'accident auquel a assisté Alice, et qui n'est autre que le cousin Henri auquel écrivait Augustin, a laissé échapper, sous perfusion anti douleurs il est vrai, qu'il est aussi dans le trafic d'animaux.
Amanda est la cousine d'Alice, celle-là à qui elle écrivait.
Jules traque des animaux exotiques pour les fournir à ses clients. Le jour de l'accident, son chauffeur a laissé filer un wallaby qu'ils recherchent depuis dans Paris.
Version face
Laissons Amanda errer dans ce Paris estival dont elle ne comprend la langue que par bribes. Le reste est perdu pour elle. Laissons-la récupérer de sa confrontation avec un wallaby de Bennett au détour d'une rue. Elle se serait crue au pays des merveilles, à la poursuite du lapin blanc ou nez-à-nez avec le chat du Cheshire, doué d'invisibilité et d'un sourire grimaçant.
Suivons à présent sa cousine, Alice Liddell, s'apprêtant à rendre visite au cycliste blessé, pour la deuxième fois, à l'hôpital. Henri et elle parlèrent de Bristol. Ce pont improbable en suspension entre les berges. Les maisons ouvrières surplombant les docks, colorées comme une rangée de maisons de poupée. Ils évitèrent soigneusement de mentionner le baiser d'Alice et excellèrent en convivialité.
Alice et Henri évitèrent aussi le sujet d'Augustin. Alice aurait voulu pourtant qu'il lui en parle de lui-même. Augustin et ses mains de pianiste sans piano l'assaillaient régulièrement. La promesse de caresses délicates dans le délié des doigts. De rares cheveux blancs cachés parmi les bruns, visibles seulement quand on s'approchait, et ses yeux ! un vrai regard, à la teneur indéfinissable, d'un gris changeant au gré des moments, possédant tant de nuances, vertes, mauves, anthracite, gorge-de-pigeon, une vraie langue étrangère à déchiffrer…
Alice aurait voulu prendre congé, car elle sentait bien l'étrangeté qu'il y avait pour Henri de la voir se sourire à elle-même. Retrouver sa chambre d'hôtel et se laisser aller à la douce évocation d'Augustin. Le prénom lui chiffonna le ventre.
Henri avait roulé sa bosse. Il avait compris qu'elle n'était pas revenue le voir innocemment. Mais il était content d'avoir une interlocutrice digne de ce nom, qui s'intéresse à autre chose que sa prise médicamenteuse du matin. Mais un maillon lui échappait encore ; l'ensemble du tableau commençait à se préciser, elle était pianiste et préparait un concert à Paris, elle connaissait Augustin, comment, il ne le savait, il espérait juste qu'elle n'était pas l'une de ces détraquées qui venaient à lui pour assouvir leurs pulsions sexuelles à l'aide d'animaux ; Il l'observait, elle n'avait pas le profil des clients habituels d'Augustin. Mais Henri se méfiait. Il ne voulait pas attirer d'ennuis à son cousin.
Ayant épuisé leurs fonds de tiroir pour la conversation facile, Henri et Alice se turent. Bientôt mis à l'aise par l'arrivée d'une aide-soignante et d'un plateau-repas. Alice déclina l'offre du convalescent, de partager le maigre repas d'hôpital, déjà toute à se remémorer le délicat moment de l'Adagio avec ses notes bien posées qu'elle allait très vite répéter en long, en large et en travers.
Dans le couloir, ni l'un ni l'autre ne se virent. Elle, perdue dans la répétition mentale de notes dont elle commençait à s'inquiéter, à cause de son épaule luxée. Lui, passant intérieurement en revue toutes les raisons qui auraient pu pousser son cousin à monter à Paris sans l'en avertir. Augustin froissa la lettre dans sa poche un peu plus. Il s'arrêta à l'entrée d'une courette de béton pour fumer une dernière cigarette avant d'entrer rendre visite à Henri. Il était remonté contre ce vieux dingo de cousin qui ne lui disait même pas qu'il montait à Paris.
Mais il tira sur sa cigarette une bouffée et c'est Alice Liddell qu'il eut en tête. Un nuage d'Alice dans le thé de ses pensées. Alice Liddell. Un patronyme répandu au Royaume-Uni peut-être.
Il n'arriva pas à penser à autre chose. Alice avec sa robe de petite fille modèle et sa bouteille étiquetée "buvez-moi", son gâteau étiqueté "mangez-moi", Alice tour à tour rendue grande ou petite par ces mets artificiels. Alice qu'il avait emmenée en promenade serait-elle aussi clairement étiquetée à son intention ? Saurait-il la lire ?
Alice en chair et en os. Elle lui demande s'il joue du piano. En regardant ses mains. Lui fait des efforts pour qu'elle ne remarque pas son regard aimanté vers ses pommettes, et la naissance des seins, le galbe d'un mollet...
Il se la représenta étendue dans l'herbe d'une esplanade parisienne, caressée par le soleil, nonchalamment appuyée sur son avant-bras, le sourire en coin. Ses cheveux odorants dénoués en vrac. Elle l'invite à son concert. Elle veut le revoir donc. Elle lui offre une part d'elle-même, son art qu'elle nourrit de ses propres impressions, de la musculature de ses doigts, de ce silence suspendu entre les notes. Un parfum de liberté. Quitter la sphère de ses clients et fournisseurs, ses journées battant le pavé pour un petit bénéfice. Cherchant l'animal convoité en toute clandestinité. Son agenda aux rendez-vous codifiés. Dentiste pour reptile. Révision auto pour marsupiaux. Inviter Caroline pour oiseaux tropicaux. Développer photos pour les petits mammifères...
Elle et son regard invitant. Sa défiance de lui n'est que paroles. Il l'a bien regardée. Elle se tournait vers lui en tout lieu. Elle lui souriait. Elle posa peu de questions mais ne perdit pas une miette de ses explications sur Paris. Il l'emmènerait sur la côte de granit rose en Bretagne, enTouraine ou dans l'Yonne découvrir quelques facettes cachées de la France loin de Paris. Il la prendrait au crépuscule après une longue journée de promenade complice.
Qu'aurait-il pensé, si dans sa rêverie il avait tourné la tête un instant ? Il aurait pu la voir entre les colonnes de béton du hall. Mais les circonstances ne l'avaient pas arrangé ainsi.
Version face à suivre...
J'aime beaucoup cette ambiance de non dits , de personnages un peu trouble qui font que cela donne beaucoup de charme... à cette histoire , il va falloir que les choses se concrétisent...Très bien écrit en tout cas
· Il y a environ 9 ans ·marielesmots
Merci marielesmots ! La concrétisation ? oui, dans l'une des versions....dans l'autre, pensées, vives, mais...
· Il y a environ 9 ans ·ententecordiale