Paris, le 6 juillet : traduction de la lettre d'Alice (1 bis)

ententecordiale

pour ceux que l'anglais rebutait ; voir ensuite la lettre d'Augustin, du 6 juillet, écrite, elle, en français.

Ma chère cousine Amanda,

Enfin des nouvelles de France ! ce pays, c'est tout un poème ! je ne sais même pas par où commencer.

Tout d'abord, j'ai trouvé les Français assez mal dégrossis, crachant à chaque occasion, sentant l'ail et la sueur, dévertébrés et crus.

Mais je ne peux pas leur enlever leur hospitalité, ils furent vraiment accueillants, ils se mirent en quatre pour me faire sentir chez moi et pour me faire goûter à chaque délicatesse locale. Ils ont fait tout leur possible pour que je reparte avec une image exacte de leur bonne franche nature. Et quand on les connaît mieux, ils sont tout à fait polis et raffinés.

Une fois que j'avais battu le pavé en tous sens aux Champs-Elysées, ainsi que la tombe du soldat inconnu, tout l'asphalte et les musées, une fois que j'eus fait remplacer ma paire de talons, cassés en descendant les escaliers du Sacré Cœur, je me suis attardée hier matin du côté de l'hôtel, à la terrasse. Et là, je suis tombée sur un charmant spécimen de Gaulois, devant son café crème, pendant que je sirotais mon Earl Grey, à proximité duquel trônait une exotique brioche parisienne

Il me demanda si j'avais fini de lire mon journal, mais quand se penchant vers moi, il en vit les caractères anglais, il changea d'avis et commença à bavarder à propos de mon séjour, si je me plaisais ici, si je voyageais seule, pour combien de temps, toute une fournée de questions plus indiscrètes les unes que les autres ma chérie ! et par-dessus tout, le regard qu'il porta sur moi fut le plus indiscret de tous.

Je commençai à me demander pourquoi, en premier lieu, avais-je décidé de lâcher mes cheveux et de porter ces escarpins made in Paris ainsi que cette robe légère faite pour juillet. Ces yeux pétillants, ma chère, regardant mes jambes de bas en haut, et ainsi de suite, ma main ne fut pas si ferme pour verser plus de thé, et de surcroît, il le vit, hâtant la sienne pour recouvrir la mienne, afin de m'aider avec la théière. Puis il commença à statuer sur les desserts, et sa façon de décrire les poires Belle Hélène ou le moelleux aux amandes devint légèrement érotique.

Comme si des poires confites dans le sucre ou la douce senteur d'amandes pouvaient faire partie d'un corps féminin. Il était si près que je pouvais sentir l'odeur de cigarette à chaque mot qu'il proférait.

Lorsque je rentrai à l'hôtel, il me suivit. Amanda chérie, personne ne m'a jamais parlé avec autant de liberté ! pas même toi et tes mots audacieux ! Il me pourchassa littéralement jusqu'à l'ascenseur, et là, seule avec lui, je sentis sa main dans mon dos, qui me guidait.

A présent que je suis dans ma chambre, après avoir, d'un visage poli, décliné son offre de me montrer les plus beaux endroits secrets de la capitale, je dois finir ma lettre, et partir pour la poste. Je vais m'assurer que tu reçoives l'un de ces jolis timbres français, et je t'écrirai aussi à nouveau, peut-être à propos de ce français.

 

Tout l'amour de ta cousine Alice.

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