Pars mon amour
cerise-david
Je le vois bien ton regard fuyant, lorsqu’il nous arrive de faire l’amour, cette façon que tu as de t’échapper par la petite lucarne de notre chambre, et ce même lorsque je tiens ton visage dans mes mains. Dix ans que l’on partage cette vie, faite sur mesure. Qu’on se cache et s’enfonce dans cet amour puant, dans cette comédie grotesque. J’ai toujours su que tu ne m’as jamais aimé, tout juste supporté et si on s’est marié c’est plus pour faire plaisir à tes parents que par véritables vœux de fidélité. D’ailleurs la fidélité est une notion aussi abstraite que mes tableaux pour toi. On s’est connu lors d’un vernissage. Tu sortais de la fac de droit, ta maitrise en poche. Je suis tombé fou amoureux de toi dès le premier regard. Je me rappelle tout, le premier baiser, mes mains sur ta peau, moi en toi. Je me rappelle les dizaines de roses, les coups de fusain pour figer ta beauté, nu sur des feuilles Canson. Tu es magnifique, et je me suis perdu dans tes saphirs, dans ta tignasse chocolat pour peu à peu prendre la route de ce quotidien que tu as écrit sur mesure pour toi. J’aime les couleurs, les feux d’artifices, cette explosion de sons et d’odeurs. Tu es devenu froide comme la pierre. Tu as coupé tes longs cheveux en un carré qui te sépare de moi, tu t’es enfermé, emmuré dans un silence. Je sais que tu me trompes, tu ne te caches pas. Tu n’as jamais aimé l’odeur du White spirit et mes ongles noirs. Tu n’as jamais aimé les vernissages. Tes parents m’adorent, alors tu as courbé l’échine et tu as emprunté la voix toute tracé qu’il avait choisit pour toi. Tu es une grande avocate. Tu n’aimes pas ton métier. Et ton silence plombant me prouve que j’ai raison. Qui ne dit mot consent. Ce soir, c’est la Saint-Valentin. Tu détestes cette fête commerciale, mais tu as toujours fait semblant. Tu es une image Valentine, l’esquisse que les autres aiment avoir de toi. Tu te coules dans un moule, fige un sourire, enfile une robe et te voilà prête à jouer ton rôle. Tu nous détestes tous. Et tu sais que je sais… Et çà, tu ne le supportes plus. Je vais te libérer Valentine, te libérer de cet amour puant, de cette farce qu’on pourrait vivre sans en connaître la fin. Je suis un artiste, j’aime la liberté, c’est pour çà que je t’ai aimé. Quand j’ai posé les yeux sur toi, j’ai vu un oiseau prêt à s’envoler… et puis, on t’a tour à tour enfermé. Dans une cage plus grande, plus belle, mais toujours fermé à clef. Je la sens ta colère Valentine. Je sens que tu me hais. Je sens ta façon de me repousser dès que mes doigts se posent sur ta peau. Si tu savais comme je t’aime. Ce soir, je vais t’offrir le plus beau des cadeaux Valentine. Ce soir, je t’offre la liberté. On verra si tu auras le courage de la saisir… et de t’enfuir.
Ce soir, j’organise une exposition. Un hymne à l’amour. J’ai appelé ca « L’allégorie du phénix ». Tu es ma muse, je te dois mes plus belles œuvres : la souffrance m’a toujours inspiré. Je t’ai demandé d’être belle, j’ai acheté une robe noire. C’est triste mais la couleur du deuil te va à ravir… et pour la première fois ce soir, ta mine déconfite me fait peine. Je sais que tu détestes m’accompagner, t’afficher à mon bras est une épreuve. Ma douce c’est ton dernier soir emprisonnée. J’ai invité tes parents et ma mère. Mon père t’aurait plu, je le sais. Mais il n’est plus là depuis longtemps. C’est un homme comme çà qu’il t’aurait fallu, mais je ne suis pas cet homme là. Même tes amants ne te suffisent pas… ils sont à l’honneur ce soir. Comme à ton habitude, tu te précipites au bar avant d’entamer le long parcours de cette exposition. Une coupe de champagne à la main tu avances vers ta sentence. Lorsque tes yeux se posent sur la première de mes toiles, tu lâches ta coupe. Lorsqu’elle explose sur le sol, tous les regards se rivent sur toi. Tu ne le sens même pas et te jettes désespérément sur les toiles, les unes après les autres. Non tu ne rêves pas, ma belle. C’est bien toi et eux. Tous ces hommes qui ont partagés tes nuits. Toutes ces chambres d’hôtel. J’ai payé quelqu’un, pour te suivre, je me suis servit des photos pour peindre mes toiles. La jalousie me rendait fou… et puis, je me suis inspiré de ton besoin de passion pour créer mes œuvres. Tu n’aimes pas ces hommes, tu aimes l’ivresse de ces nuits, cette liberté éphémère que tu redécouvres, plus puissante et fugace à chaque fois. Tu ne t’aimes même pas. Tu ignores cette beauté fatale qui pourtant est la seule clef de ta liberté. Les toiles, toutes plus grandes les unes que les autres, te représentent. Toi à leurs bras, toi dans leurs lits, toi nue sous leurs poids. Ecraser par ce besoin d’exister à travers eux. Le rimmel coule sur tes joues. Tu ne dis rien, ravale cette colère qui te submerge. Tu as toujours su te contenir. Je savais que ce soir encore tu réussirais, malgré l’humiliation ultime. Je t’aime Valentine. Tu es celle qui a su faire battre mon cœur, et la seule à avoir su le briser. Soigneusement, coups de poignards sur coup de poignards. Le sang a coulé sur les toiles et mon amour s’est mêlée à cette jalousie, à cette rage de ne jamais avoir pu te posséder, de ne jamais avoir reçu le moindre fragment d’amour. Tu te retournes vers moi, ton sourire de circonstance s’est figé dans un rictus d’amertume. Un silence plombant envahit la salle. Tu sors sans même te retourner. Les commentaires vont bon train. Tout le monde pense que je suis le plus à plaindre. Personne ne comprends jamais le message caché d’un tableau, mais je suis persuadée que ce soir tu as compris. Compris à quel point je t’aime et à qu’elle point on souffre ensemble de cette histoire jetée sur une toile. Figée à jamais. Lorsque je rentre dans l’appartement, j’entends les placards claquer, j’entends tes affaires voler dans des valises. Je savais que tu partirais. Je m’approche de toi, ta main vient s’écraser sur mon visage.
- Je te rends ta liberté, Valentine.
Tu me regardes avec cette fureur qui te rend si belle. Tu cherches un moyen de me faire mal, de m’atteindre, de me faire souffrir une dernière fois. Tu n’aimes pas perdre une partie. Alors tu t’approches du bocal de Newton, un poisson comète que je t’ai offert peu après notre mariage, tu le soulèves devant toi et le lâches. Le verre explose et l’eau se répand peu à peu sur le parquet. Tu regardes l’adorable poisson sautiller dans tous les sens, tu l’observes sans détourner le regard jusqu'à son dernier soubresaut. Puis tu tournes les talons. Tu viens de le sauver Valentine, avec moi, il aurait été malheureux, il serait sans doute mort de faim. Et son eau aurait servi à nettoyer mes pinceaux… Tu me hais, je le sais. Tu nous hais tous. Nous t’avons tué, peu à peu. Tué comme tu viens de tuer Newton. Etouffé avec votre amour dont tu ne sais que faire. Tu es de ces êtres qui ne savent pas quoi faire avec leurs sentiments. Cette gêne dans la poitrine tu n’as jamais su la contenir, tu as tenté de faire battre plus fort ton corps, tu as essayé de cacher ca derrière des sourires parfaits, une rhétorique à toutes épreuves, derrière un corps sans défauts. Tu n’as jamais su y parvenir. J’ai pitié de toi Valentine, triste est la vie des gens qui sont embêtés par les joies de l’amour. Qui souffre de ne pas savoir quelle réponse fournir à un « Je t’aime » franc et clair.
- Je t’aime, Valentine.
- Et moi je te hais. Je te hais autant que tu m’aimes.
Je le sais depuis toujours… Pourquoi me l’être caché ? Je ne sais pas. Ce n’est pas évident de se rendre à l’évidence. De se dire que tout cet amour ne sert à rien, que tout cela n’est que chimères et fantasmes. Que sans vous, l’être pour qui vous pourriez mourir serait plus heureux, et qu’avec vous il meurt en silence. C’est de dur de choisir entre sa propre mort et celle de l’être qu’on aime. Aujourd’hui j’ai choisit, pour toi et moi. J’ai choisit ta liberté contre ma mort. De toute façon un vrai artiste se doit d’être malheureux, c’est mieux pour sa carrière. Et puis, rien ne m’empêche de t’aimer encore. De toute façon, tu ne m’as jamais rendu cet amour, il est facile d’imaginer quelque chose dont on ignore le goût. Je te regarde partir. Alors que tu traverses la rue et siffle un taxi, je m’installe à mon chevalet. Je vais peindre ton visage Valentine. Je vais peindre cette fureur dans ton regard, reproduire ta liberté, ton envol. Le phénix est mort ce soir, il ne pourra que mieux renaître…
Bonne Saint-Valentin.
ah putain ce que c'est beau. Toujours ce que j'aime chez toi, c'est cette profondeur et cette complexité que t'arrive à donner à chacun de tes personnages. Personne n'est bon ou mauvais, ils subissent simplement la vie et quelques un de leurs choix. Un coup de coeur pour ce texte, merci de m'y avoir amené
· Il y a plus de 11 ans ·Bryan V
Une suite ici :
· Il y a plus de 11 ans ·cerise-david
Venu lire ton récit grâce à ta "suite" (j'ai lu dans le désordre, désolé !). Juste extra...
· Il y a presque 14 ans ·Lézard Des Dunes
Celle ci me plait beaucoup... j'aime cette idée de l'amour qui n'est pas partagé, cette personne pour qui les sentiments sont un supplice...
· Il y a plus de 14 ans ·Mini Pouce