Partie 3 Chapitre 5

David Cassol

    Le chariot cahotait sur le chemin de pierre et de glace. Leurs corps étaient engourdis, paralysés. Ils apercevaient vaguement une lueur jaunâtre et brillante. La douleur les mordait sans cesse, à chaque vibration. Une compagnie les escortait. Ils avançaient sur un chemin inconnu. Ils ne pouvaient toujours pas parler, incapables de simplement remuer la langue. Au loin se dressaient les montagnes du Nord. Les soldats qui les entouraient semblaient patibulaires, ils étaient mal rasés et ressemblaient davantage à des coupe-jarrets qu'à des gardes malgré l'insigne qu'on pouvait entrevoir sous leurs longues capes noires de temps à autre. Probablement les fameux hommes de confiance du klanmeister. Drogués et meurtris, ils sombrèrent de nouveau.

    Lorsqu'ils se réveillèrent, on les avait installés dans une grotte près d'un feu. Une odeur de ragoût flottait dans l'air et excitait leur faim. Ils reprenaient le contrôle de leur corps. Leurs muscles étaient douloureux ; chaque geste imposait un colossal effort ; mais ils pouvaient, avec difficulté, plier leurs bras, faire rouler leurs épaules ou changer leurs jambes de position. Des hommes les adossèrent à la roche. Lockhtar gémit. Ils repartirent vers le feu sans mot dire. L'elfe regarda Ulrich. Ce dernier l'avertit d'un signe de tête que tout allait bien. Lockhtar lui rendit sa grimace.

— Il faut vous nourrir, et qu'on vous retape. Vous n'avez rien avalé depuis presque trois jours, clama une voix éraillée. Vous souffrez probablement beaucoup, c'est le réveil de vos muscles qui provoque cela. Ne vous inquiétez pas, cela va passer. Vous devriez avoir récupéré l'usage de votre gorge maintenant. Voyons cela.

    Une mince silhouette s'approcha, tenant quelque chose dans la main. Ils reconnurent Friedrik, le fanatique. Il arborait sa tunique avec cette étrange rune rouge. Ulrich et Lockhtar s'agitèrent, conscients que le forcené n'avait certainement pas de bonnes intentions à leur égard. Ils jappèrent vers les gardes qui ne leur accordèrent pas un regard.

— Cessez de gigoter ! Il se pourrait bien que cela soit pénible, autant pour vous que pour moi, lança Friedrik d'une voix froide.

    Il approcha la gourde des lèvres d'Ulrich et en versa une partie de son contenu. Il tenait fermement la tête du seigneur nain afin qu'il reçoive bien le breuvage. Ulrich toussa fort. Puis, il avança vers Lockhtar et effectua la même manœuvre. Ce dernier manqua de s'étouffer.

— Gardes, gardes ! C'est un traître, aidez-nous ! marmonna maladroitement Ulrich.

— Hé bien, je constate que vous vous remettez enfin des poisons de mon père ! Nous avons vaincu votre escorte de spadassins. Peut-être votre vue se porte-t-elle mieux désormais ? Je vous prierai de cesser de brailler, personne ne peut vous entendre dans ce désert de glace.

    En y regardant de plus près, les captifs remarquèrent que les soldats portaient discrètement une rune similaire à celle de Friedrik.

— Que comptez-vous faire de nous ? s'enquit Lockhtar.

— Ce qu'il vous conviendra, monseigneur ! Nous vous avons libérés pour vous révéler la vérité. Nous ignorons quel traitement mon père vous réservait. Il n'est pas suffisamment fou pour vous exécuter en ville, mais en pleine montagne personne ne déterrerait vos cadavres.

— Où voulez-vous en venir ?

— Quoi qu'il vous ait raconté, ce ne sont que mensonges. Notre cité est prisonnière, mais pas de ceux que le klanmeister aimerait vous faire passer pour des terroristes. Notre foyer est sous le joug de son chef, mais surtout du Seigneur !

    Lockhtar et Ulrich écarquillèrent les yeux. Le gobelin n'avait donc pas menti : le Seigneur rôdait toujours dans la montagne et représentait une menace sérieuse.

— Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que votre confrérie ?

— Nous sommes un petit groupe d'opposants au régime de mon père : les sangs pourpres. Nous portons le sang de la honte, celui des frères que nous avons sacrifiés au Seigneur. Notre objectif est de le défaire. Sans le soutien de la couronne, notre combat est voué à l'échec. Le mur qu'il a érigé est une de ses pires félonies. À cause de lui, nous ne pouvions pas vous informer du péril. Mais vous êtes venus, et ce n'est pas rien, seigneur Ulrich, que ce soit vous en particulier qui fouliez notre sol souillé. Vous avez sauvé notre nation, j'aimerais que dorénavant vous protégiez mon peuple, mon clan. Nous sommes disposés à sacrifier nos vies ! Retournez voir la reine et dites-lui ce qui se trame réellement ici. Levez une armée et libérez-nous !

    Friedrik criait presque lorsqu'il acheva son discours. Les hommes le regardaient, à la fois soucieux et passionnés. Ces nains avaient perdu tout espoir ; les paroles de Friedrik leur donnaient à croire qu'ils s'étaient trompés ; elles leur contaient une nouvelle histoire, une promesse, une destinée.

— Attends, mon garçon. De quelle menace parles-tu ? Qu'est-ce que ce Seigneur ? Et nous ne pouvons pas partir, nos amis sont retenus là-bas, nous devons les libérer.

— Oubliez-les, ils sont déjà morts. On ne peut plus rien pour eux.

    Ulrich et Lockhtar accusaient le coup.

— Le seigneur est un légendaire démon des temps anciens. Seuls les contes gardent encore trace de ces êtres. Autrefois, ils volaient dans les cieux, plongeaient au plus profond des mers, et amusaient les dieux avec des jeux d'esprit et de magie. Cette bête est colossale. Nous avons tenté de la vaincre lorsqu'elle nous a attaqués. Elle a piétiné avec une atroce facilité la garnison. Aucune arme ne peut la blesser. Elle a dévoré une grande partie des nôtres. Depuis, nous vivons sous sa coupe. Mon père a conclu un étrange pacte avec le Seigneur : nous lui fabriquons des choses, et parfois nous lui livrons certains des nôtres en guise de bonne foi.

    Lockhtar pâlit. Il semblait tout à coup se trouver à des milliers de kilomètres.

— Ce Seigneur, quel est son nom ?

— Un nom ? Comment ça ? Comment pourrait-il porter un nom ? Je n'y ai même jamais songé. Cela paraît une idée si étrange, rétorqua Friedrik.

— Oui, c'est normal, cela fait partie de ses dons. Les noms possèdent du pouvoir, surtout pour ces créatures. Sait-on où il vit, quand il doit venir ? A-t-il des habitudes ? questionna Lockhtar.

— On imagine que sa tanière se situe en haut de la montagne, près de la cime. Nul n'a plus osé s'aventurer trop loin du village depuis des décennies. Ceux qui partent ne reviennent jamais. Il nous rend visite à chaque solstice pour prendre son dû, mais parfois il arrive sans prévenir. Il veut que nous vivions dans la peur constante.

— Très bien. Le klanmeister serait votre père ? intervint Ulrich.

— En effet.

— Il a trahi la nation et son peuple.

— Oui, en effet.

— Qui me dit que vous n'êtes pas un traître également ?

    Les gardes se montrèrent immédiatement hostiles et s'approchèrent des captifs. Friedrik les calma d'un regard.

— Mon père a négocié la paix avec le Seigneur. Il a entériné notre reddition et accepté les termes de ce contrat horrible qui nous lie à lui. Beaucoup de gens sont persuadés que le klanmeister est un héros, qu'il a sauvé notre cité. D'autres croient que les sacrifices s'avèrent nécessaires, que le mal de certains ne compte pas tant qu'il sert le bien de tous. Je ne pense pas de cette façon. Pour valider le pacte, le Seigneur a demandé de sacrifier ce que nous avions de plus cher. Il a dévoré ma mère et mes trois frères et sœurs. Il a exigé que nous assistions à cette scène. Mon père n'a pas bronché. J'ai voulu protester, crier, me rebeller, mais il m'en a empêché. Il a jeté l'opprobre sur mon peuple. Il mérite la mort !

— Pourtant je crois qu'il a opté pour le bon choix, Friedrik, affirma Ulrich.

    Le jeune agitateur resta interloqué.

— Sur le moment, vous deviez vous rendre, vous n'aviez plus aucune chance de gagner. Sacrifier des hommes de toutes les façons condamnés pour sauver le plus grand nombre est signe de sagesse.

— Mais s'il n'avait pas cédé...

— Non, le Seigneur vous aurait tous massacrés jusqu'au dernier. Il a tenté un chantage similaire auprès des gobelins. Ces derniers étaient gouvernés par un monarque bien trop imbu de sa personne pour abandonner son pouvoir, dut-il périr lui et tout son peuple dans la pire des déchéances. Le Seigneur, patient, n'en a épargné aucun. Seul leur roi a survécu, se nourrissant de ses sujets. Et finalement, il est mort. Il n'aura que retardé l'inéluctable. Votre père le savait.

— Alors vous vous rangez de son côté ? Vous approuvez sa trahison ?

— Je reconnais la sagesse de se rendre. Cela dit, il aurait dû nous demander secours, d'une façon ou d'une autre. Laisser son peuple dans cette situation est pire que tout. Mieux vaut périr que vivre pour toujours des chaînes aux pieds.

— C'est votre opinion. Reviendrez-vous avec une armée ?

— Non. J'ai autre chose à faire.

    Tous s'offusquèrent de la réponse, incrédules. Des regards d'incompréhension se lisaient sur les visages. Friedrik de coutume si loquace fut soufflé.

— Je dois d'abord libérer mes compagnons. Ensuite, je dois mener une mission, une quête pour tous les peuples de ce monde, pas seulement notre nation. J'ai juré fidélité à plus que la couronne, et cet engagement prévaut. Je suis navré que cela te désole mon gars. J'enverrai mes meilleurs hommes auprès de la reine. Ils reviendront avec des armées, tous les nains de cette terre si nécessaire, et vous libéreront du joug de ce tyran. Cela je peux te le promettre.

— Vous ne pouvez pas retourner les sauver. Nous ne pouvons plus rien pour eux. Ils vont être livrés au Seigneur, gardés dans les geôles en attendant qu'il se présente. Ce serait déclarer la guerre à la cité ! Nous ne pouvons pas vaincre la garnison.

— Nous serions morts sans ces hommes : je ne les abandonnerai pas. Nous devons les sauver, ou au moins essayer !

    Lockhtar avait les yeux brillants de larmes en proférant ce sermon qui retentit comme une prophétie funeste.

— Si nos vies doivent s'arrêter ici, ainsi soit-il. Nous tomberons fièrement, et en guerroyant ! s'exclama Ulrich, joyeux.

— Pauvres fous ! cria Friedrik. Vous rendez-vous compte de ce que vous dîtes ? Votre sacrifice n'aboutira à rien, vous périrez en vain ! Vous n'aurez rien sauvé, ni nous ni vos amis. Ce combat est perdu d'avance. Autant vous donner la mort tout de suite, le résultat serait identique.

— Mon choix te semble-t-il si délirant ? Pourtant c'est ce que tu préconisais contre l'avis de ton père... lança Ulrich.

— Vous voulez vraiment tous nous condamner ? demanda Friedrik.

— Non, nous n'allons pas foncer tête baissée comme des idiots. Nous élaborerons une stratégie, un plan de génie pour renverser une armée d'un simple coup de roseau. C'est une nécessité, pour nos compagnons, pour vous, et pour nous, annonça Lockhtar fébrile.

    Il se leva péniblement et tourna vers Ulrich un visage malicieux. Il souriait.


    Le marché battait son plein. Les stands proposaient des fromages de chèvre, de la viande de mouton, quelques fruits, et beaucoup de petits objets et bijoux. Karl et Wilhelm — deux poissonniers concurrents — tenaient leur étal tout près l'un de l'autre et s'égosillaient pour attirer les passants. Chaque semaine, les citadins se régalaient de nouveaux slogans destinés à ternir la réputation du rival ; ce jeu, qui durait depuis plusieurs années, ne lassait pas les badauds. C'était l'attraction du marché, ceux qui n'escomptaient rien acheter s'accordaient un détour pour savourer les répliques acides que s'envoyaient les deux nains. Ce matin-là, Karl lança une remarque déplacée à propos de la fraîcheur des filets de Wilhelm, et du con de sa femme. Wilhelm attrapa son couteau et sauta au milieu de la foule, prêt à en découdre. Karl ne se démonta pas et en rajouta, incluant la fille de son rival à ses moqueries. Les citadins qui retenaient jusqu'ici le poissonnier furieux furent tellement choqués par les propos de Karl qu'ils le relâchèrent. Un affrontement meurtrier démarra entre les deux nains. Les gardes appelés à la rescousse arrivèrent promptement. Alors qu'ils atteignirent les deux commerçants, la foule se referma sur eux. Les deux hommes pivotèrent, épaule contre épaule, les armes à la main ; ils affichèrent, comble de l'ironie, un sourire carnassier aux pauvres soldats piégés sous la masse des badauds.

    La garde fut débordée. La cité entière devenait folle et désirait s'entre-tuer. Les patrouilles s'éparpillèrent aux quatre coins de la ville, et tombaient dans des embuscades similaires. Qui aurait soupçonné les vieilles bonnes femmes des bas-quartiers, le petit William d'une quinzaine de printemps, le prêtre si sage et tranquille, Karla l'épouse aimante et respectable ? Qui aurait imaginé tous ces nains sans histoire appartenir à la rébellion ? Sans armes, sans armée, et surtout sans sang versé, la garnison de Raureifstadt fut neutralisée en quelques heures. Lorsque la foule des révoltés envahit le parvis du palais, seule subsistait la garde personnelle du klanmeister pour en défendre les portes.


    La folie régnait dans le salon. Le klanmeister, encore en robe de chambre, semblait désemparé, assis contre un secrétaire. Plusieurs nains en armes se disputaient au sujet des actions à mener. Le klanmeister ne réagissait pas. Son monde s'écroulait. Il savait la fin proche. Il se demandait comment organiser au mieux sa sortie.

    Des centaines de rebelles se pressaient contre les hautes grilles de fer du palais. Les gardes, inquiets et indécis, tentaient de reporter la chute du portail le plus longtemps possible en plaçant de larges bastaings contre les barreaux et les encadrements. Cette foule n'était pas des soldats, des ennemis, des envahisseurs. Elle rassemblait leurs voisins, les commerçants chez qui ils se fournissaient, des amis. Les rebelles ne comptaient pas de guerriers mais des mères ; de braves artisans ; de jeunes garçons rieurs et impétueux ; de vieux nains au crépuscule de leur vie, mais toujours animés par la flamme de la liberté, plus pour eux non, mais pour la génération future. Personne ne voulait ni ne pouvait affronter cette foule en furie. Certains gardes refusèrent de combattre et déposèrent les armes. C'était la débandade.

    Puis, les « Invincibles » entrèrent dans la cour, menés par leur chef Sigmund. Ce capitaine, réputé cruel et sans pitié, transportait les condamnés vers le Seigneur et servait de bourreau pour le klanmeister. Sigmund était un guerrier féroce et craint de tous. Il ne laissa transparaître aucune émotion lorsqu'il s'approcha des rebelles. Il scruta simplement les visages rassemblés, les mémorisant. Si la révolte échouait, chacun d'eux aurait à répondre sous la torture de son comportement. Sigmund n'oubliait jamais. La garde d'élite était vêtue de laine bleu nuit, et leurs lames teintes en noir. Un des sombres soldats décapita d'un geste rapide et habile un des hommes ayant déposé les armes. Le pauvre bougre n'eut pas le temps de voir le coup venir. Ses compagnons se précipitèrent pour reprendre leurs haches et retournèrent aider leurs camarades à soutenir la grille. Impassible et inexpressif, Sigmund scrutait la foule.

    Une cellule de crise s'était installée autour du klanmeister. L'ambiance s'était calmée. Un des conseillers emportait les suffrages. Il criait simplement plus fort, ou du moins avec davantage de conviction. Après avoir envoyé les Invincibles dans la cour, ils devaient trouver un moyen de dissuader la foule. La présence de Sigmund enflamma le peuple contrairement à ce qu'ils espéraient. Au moins, ce dernier avait su rallier les déserteurs sous son commandement ! Ces gardes brillaient par leur stupidité : ils seront exécutés dès la situation réglée. Sigmund se montrait sans pitié, mais sa cruauté ne pouvait s'exprimer qu'avec l'accord du klanmeister, et ces deux-là semblaient partager les mêmes idées à propos de l'ordre et de la façon de l'obtenir : nul pardon.

    Les différentes portes du salon s'ouvrirent à la volée. Le quartier général sursauta et se retourna pour houspiller les intrus d'entrer avec tant de rudesse. Ulrich se tenait au nord de la pièce et derrière lui ses nains. Les elfes et les rebelles gardaient la dernière issue. Le jeu était clos. Certains firent mine de porter la main à la garde de leur épée, pour sauver les apparences plus que par réelle volonté de combattre. Le klanmeister intervint.

— Baissez vos armes, messieurs. C'est terminé. Je savais qu'un jour quelqu'un entrerait dans cette pièce et me ferait tomber. Je ne pensais pas que ce serait toi, Friedrik, mon propre fils !

— Je ne te suis plus rien. Tu n'es qu'un ennemi de la nation !

— Vraiment ? Pourtant j'ai fait bien plus pour notre peuple que toi et ta misérable bande de loqueteux. Raconte-moi ton plan ! Vas-tu affronter le Seigneur avec tes « rebelles », une armée de mioches et de vieilles femmes ? Quand comprendras-tu que les idéaux ne servent que les morts ici-bas ?

— La liberté n'est pas un idéal, c'est notre droit le plus élémentaire. Tu as vendu notre fierté, notre âme à ce démon pour sauver ta précieuse petite peau. Un sage se serait sacrifié, il n'aurait pas condamné tous ces innocents à une fin ignoble. Tu te places comme protecteur du peuple, mais tu envoies ton chien fou assassiner les gens sous le compte de la nécessité. Tes crimes ne méritent aucun pardon, et je suis venu te punir.

    Friedrik s'approcha à grands pas. Le klanmeister fit signe à ses hommes de rester en retrait et attendit, serein. La hache s'enfonça dans son cou et se planta durement dans son échine, lui arrachant un cri de surprise. Une large mare de sang s'étendait sous le corps du vieux nain. Les notables semblaient tétanisés par cet accès de violence inattendu. Le leader des conseillers s'avança.

— Jeune seigneur, ce qui est fait ne peut être défait. Mais je tiens tout de même à ce que vous sachiez certaines choses avant que tout cela ne finisse. Votre père avait un certain nombre de torts : ses choix et ses décisions demeurent discutables. Cela dit, il a toujours agi pour l'intérêt de son peuple, et surtout pour vous protéger. J'ai passé ces dernières années à ses côtés. Lorsque le Seigneur lui a demandé un sacrifice, il s'est désigné, mais le monstre a refusé.

    Le capitaine se racla la gorge.

— Le Seigneur n'a jamais eu besoin du roi pour dévorer des innocents. Ce démon voulait torturer votre père et notre peuple. Toute cette situation n'existe que pour satisfaire son sadisme. Il se délecte de nous obliger à agir tels des meurtriers, à lire notre culpabilité, à voir jusqu'où nous sombrerons dans l'ignoble pour protéger ce qui nous est le plus cher. Cette bête ne respecte rien. Il a donc exigé de votre père le sacrifice de son bien le plus précieux. Il chercha longtemps et lui offrit sa fille aînée, mais le dragon savait ce qui avait le plus de valeur à ses yeux. Il demanda le fils cadet : vous. Le klanmeister, paix à son âme, ne supportait pas de vous perdre. Il réclama votre salut jusqu'au bout, puis promit l'impensable : sa vie ainsi que celles de toute sa famille pour vous épargner. Le Seigneur lui refusa la mort, mais accepta de dévorer les autres. Voilà jusqu'où votre père pouvait aller par amour. Je peux comprendre qu'on réfute le bien fondé de ses choix, mais je ne laisserai personne salir sa mémoire, car à mes yeux ce fut un grand homme.

    Le silence régnait dans le salon. Puis Friedrik reprit la parole.

— Désormais, nous devons nous préoccuper de l'avenir. Nos amis vont lever une armée, et nous pourrons nous débarrasser de ce démon !

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