Partir en fumée

Tu es parti en fumée dans une salle enfumée. Tu as senti les méfaits des fusées dans ta tête. Fusées qui fumaient et cerveau envolé. Tu t'es attaqué aux nuages pour oublier ces fous qui tournaient. Du firmament à maman y'avait qu'une nuée. Douce et blanche, et pourtant imbibée. Jet-lagué voir carrément largué, te voilà embarqué. Et d'un ciel à l'autre y'avait qu'une feuille et un peu d'herbe. Tu t'es laissé emporter dans les fumées fumantes des gens fumants de funestes et filantes étoiles. Tu dois inspirer et l'herbe est plus verte encore. Les fourmis fourmillent et tu t'enfuis. La musique t'emporte et elle s'enfuit, des vapeurs de fumées plein le nez. Une inspiration et des nuages perdus. Un join et un beau matin. Elle est partie, toi aussi mais sans bouger. Elle sera le fantôme de ton existence qui se cache plutôt qu'il ne se fâche. Comme un coup de hache, le souffle coupé qui entame la chute. Et ce coup-ci tes pieds ne touchent plus terre, tout ça est derrière, tu t'enterres, tu te terres. La terre ne tourne plus rond, c'est bien con. C'est un univers sans bruit, sans pluie, sans vie. Tout gris. Mélancolie. Seul face à tout ceux qui sont partis, le passé ressurgit, puis elle est bien là, derrière, au delà du trépas, déjà tombée dans l'oubli. Tant pis. Tant que le temps défile, et s'enfile autour de tes doigts qui roulent. T'as perdu la boule, t'as perdu l'amour. En Juin, un beau matin, tu te souviens. Dans un lit, ou peut-être pas, t'es pas certain. Un matin ou un prochain. Tu crains, en vain. Dans un lit fleuri, une prairie jaunie, la tête qui s'effrite, tu évites la suite. Pour un souvenir, un soupir, qui dure et qui s'allonge dans le temps. Fumées envolées dans le vent, passé noyé dans un crachin étonnant. Va et vient de ta main à ta bouche. Sensualité droguée, corps abandonné. Vibrant au rythme des basses, t'as perdu ta cuirasse. Fragile enfant dans la foule, petit oiseau maboule. Tu te laisses porter, la gorge asséchée, les yeux embués, tu vas t'écraser. Mais tu te sens si léger, comme allié aux notes qui s'échappent. Pas la peine que tu les rattrapes, tu les happes et les plaques. Les minutes semblent durer une éternité, tu voudrais presque crever là. Le carton dans la bouche, dénudé de ton âme, en homme infâme. Rien n'arrêtera la folie qui t'emplit, à chaque bouffée, à chaque pas de danse. Tu te balances, balances ton corps et ton cœur dans le naufrage des douleurs. Les fumées toxiques t'oxydent, direction l'Occident, la chaleur du balancement, de la cadence de ta transe confuse. Tu refuses d'arrêter, mouvement incessant, perturbant, enivrant. Puis une main, maîtresse du feu, approche la flamme de ton visage. Des doigts contagieux, qui par la violence de la rencontre brûlent tes lèvres. Un pas de plus, un pas de moins, ta bouche orpheline et c'est la fin. T'en veux encore, jusqu'à la mort, te bousiller les poumons, surtout escalader les plus hauts monts. Monts éphémères que tu gravis la corde au cou, comme un fou foutu. La lutte est perdue, alors fumes! Et le cannabis efface chacun de tes vices, tisse les liens et crisse. Tes oreilles sifflent, plus gravement encore que la musique, ce n'est pas fini, tu tires jusqu'à ne plus respirer. Tu inhales jusqu'à plus de fumées. Elle revient enfin, la lumière de ses yeux, la douceur de ses hanches. Ce n'est que son ombre, qu'une illusion dans la pénombre. Comme un sourd tu tapes du pieds, puis quitte à craquer autant taper cette lune qui te nargue. Lune froide et insensible que tu prends pour cible. Bin oui tiens, pourquoi est-ce quelle qui est si parfaite ne t'emmènerais pas loin, loin, loin? Si loin que le retour serait inimaginable, que tu serais moins minable, plus respectable. C'est pas grave. Le soleil te prendra dès le matin. Matin qui ne vient pas, qui traîne et traîne sa haine. Tu t'ondules sur la mélodie des flûtes, la musique est revenue. A rendre fou, à faire marcher un poisson, à tuer tous les cons. Qu'on se le dise, les cons sont bien contents d'être consentant à ce compte-rendu comparable à un complot de con. Les cons sont cons quoi. Mais la drogue allonge les phrases, bouscule les mots, fait mille détour pour cent fois le même parcours. Ça marche plus bien là-haut, t'aimerais pas redescendre, ce bordel est le tien. Le tien. Pas le sien. Et pourtant un beau matin de join dans un lit jauni ses longues jambes se croisaient ou bien étaient-ce ses bras? Tu vois la scène d'un coin, et comme un coup de poing te voilà sonné. Elle n'avait pas frappé avant d'entrer, elle était rentrée, c'est tout. La frappe de la baguette sur la caisse résonne dans tout ton être, la claque musicale, qui fait mal, qui se fait la malle, qui s'emballe et qui déraille. Tu relèves la tête, ton sourire se fait sincère, tu as atteint les cieux. Pour peu tu y resterais. Fondu dans le creux de sa main, liquide au fond de son abîme, invisible sous chacun de ses pas. Encore, t'en veux encore, t'y es presque, pas grand chose encore, une dernière latte, une dernière batte, tu es éclaté. Défoncé comme un chien errant cherchant à retrouver une femme, femme qui n'existera que dans ta tête. Déchiré de ne plus savoir où aller dans toute cette fumée. Et pourtant son image apparaît comme réalité. Ça y'est, elle est là, ça y'est, elle s'en va, déjà. Course imbécile derrière un fantôme, tu suis la fugitive de manière primitive. Y'a plus rien qui t'arrête, ça fait des siècles que c'est comme ça, tu crois. Pis t'as cette excuse de malheur qui en fait n'est qu'un leurre. Tu t'es laissé embarqué dans le fantasme de son pouvoir, dans la fantaisie de ses courbes, dans le bonheur de sa rareté. Tomber amoureux d'une drogue, c'est pire qu'aimer tout court, c'est une vie qui se dérobe. Pourtant tu fumes, et tu penses atteindre le nirvana, la musique reprend, les balancements, les crissements. Décollage réussi, reste à tourner la page. Ses jambes nues ne s'agitent plus devant toi, son rire ne résonne plus. L'orage est passé et tout seul tu n'y serait jamais parvenu. Les éclairs se taisent, tu es repu. Encore quelques uns, pour faire durer le plaisir, pour ne surtout pas te ressaisir, pour continuer d'en rire. Ton être est creux, qui veut? Tu pourrais vendre ton corps, ce serait un beau coffre fort, bijoux, vêtement, et de l'or aussi. Tu veux de l'or. Plus de sang, plus de cœur, rien qu'une coquille vide. Oui, tu n'es plus là, ni là-bas, tu sais pas.