Patrick

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Patrick était ce que l'on appelle dans la fleur de l'âge. Il venait de fêter ses quarante ans. Il n'était pas encore dans la séniorité qui le mettrait sur le tapis. Il était au zénith de ses capacités, notamment en ce qui concerne ses capacités à nuire. Bien qu'il ne fût diplômé que d'un modeste BTS en commerce, il possédait des soft skills tout aussi haïssables que redoutables. Elles compensaient largement ses lacunes intellectuelles, professionnelles et culturelles. Il était vicieux et calculateur. Depuis vingt ans, il était parvenu à griller les étapes pour se hisser dans la hiérarchie de son entreprise. Il ne s'était jamais embarrassé d'être honnête, intègre ou corporate.

Il n'avait pas d'amis, juste des variables d'ajustement qui, une fois utilisées pour servir ses intérêts, finissaient par être humiliées et jetées aux oubliettes. On le surnommait « Le solaire de la peur ». Il était mortifère de s'approcher de son sourire carnassier. Plus d'un s'était brûlé les ailes à essayer de le courtiser, moins souvent à le critiquer, même en s‘appuyant sur des éléments factuels.

Il ne manquait plus à sa panoplie de parfait parvenu que d'acquérir une voiture de sport italienne symbolisée par un cheval noir cabré. Ce ne fut guère compliqué. Après avoir atteint le poste de directeur commercial, il sut manœuvrer, qu'importe le turn-over qui s'ensuivit. Il s'arrogea tous les résultats de ses collaborateurs et les primes qui s'y rattachaient. Bien que la direction générale fût parfaitement informée de ses basses manœuvres, on ne l'inquiéta pas.

On ne peut pas nier qu'il possédait une qualité, la ponctualité. Il arrivait à 10h45 précise, moteur vrombissant. Les sous-fifres avaient eu largement le temps de s'épancher à la machine à café sur leur crainte d'être dans le prochain wagon et de se faire du mauvais sang à se demander ce qui risquait de leur tomber sur le coin du nez. Patrick était joueur. Il pouvait s'écouler des semaines. Puis, un jour, il se mettait à convoquer les chefs de service les uns après les autres. Dans les bureaux, on se rongeait les ongles, on contactait sa femme pour lui dire ô combien on l'aimait, comme pour lui faire ses adieux où on faisait des blagues vaseuses pour masquer son anxiété.

Edith possédait plus d'un secret qui la mettait à l'abri. Elle était asexuée, son mépris pour la libido coulant comme de la cyprine entre les cuisses d'une de ces victimes qui n'avait pas hésité à passer sous le bureau de Patrick pour être certaine de finir le mois. Bien évidemment, Patrick possédait une fiche qui la concernait, la soupçonnant d'être lesbienne. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il ne l'avait jamais vu aux bras d'un mâle et elle n'avait jamais cédé à ses avances. Elle était à l'abri du besoin. Elle était fille unique. Son père était un chirurgien renommé et sa mère une avocate qui, en plus de gâter sa fille, saurait déclencher les foudres de la justice si besoin. Enfin, plus que tout, elle avait un passe-temps qui la mettait à l'abri des saloperies de la vie. Elle écrivait.

Son esprit était hanté par l'idée de trouver une idée qui lui permettrait, une fois claquemurée chez elle, de s'inventer des multitudes d'existences parallèles. Son inspiration tenait de son humeur. Quand elle se sentait triste ou déprimée, elle rédigeait des textes où la noirceur était marquée du sceau de l'humour, du cynisme et de la provocation. Quand elle était sous de meilleurs auspices, elle masquait le peu de respect qui lui restât de l'humanité derrière des héros à l'existence simple mais emprunts de générosité et de compassion envers leurs prochains.

La consécration arriva enfin. Non pas une promotion interne dont elle n'avait que faire. Après des centaines de nouvelles et quelques concours gagnés, elle fut repérée par un éditeur. Il lui expliqua qu'il ne souhaitait pas éditer ses histoires courtes qui n'intéressait pas le lectorat. Il avait ciblé en elle une pépite, de celle qui polie serait un jour au firmament de la reconnaissance littéraire.

Finalement, elle ne peut pas lui reprocher grand-chose à Patrick. Il est le personnage principal du roman d'Edith qui lui permet désormais de vivre de sa plume. Comme quoi, les ordures, une fois recyclées peuvent encore servir.

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