Pauvre Piano

Troma Oz

Bizarre comme endroit, une petite scène pose son invitation. Déjà une guitare et un micro sont prêts à accueillir le téméraire volontaire qui pourra leur offrir quelques vibrations, et un peu d'air. À leur côté, un piano posé sur d'horribles roulettes, comme prêt à se faire expulser de cette petite scène ouverte. Comme si, trop imposant, il risquait de gêner les performances de quelques âmes sensibles venues épancher leur transe. Mais l'endroit ne manque pas de place, on y a bien suffisamment d'oxygène grâce à ces hauts plafonds qui surplombent les briques. Pauvre piano au bord de l'exclusion. Son vernis un peu abîmé n'a pourtant pas influé sur sa sonorité. Depuis des mois déjà il voit les gens passer, inviter la guitare à danser, mais il y a bien longtemps que plus personne n'ose le toucher. Son allure un peu passée le fait peut-être paraître trop fragile… Il se rassure en se disant que tous ces gens ont sûrement trop de respect pour le toucher. Mais même si cela peut le rassurer, cette idée est bien loin de le consoler. Il aimerait bien qu'un de ces jour, quelqu'un vienne tapoter négligemment sur le sourire aux touches jaunies de son clavier. Il aimerait tant pouvoir refaire vibrer les cordes chantantes, hurler une mélodie à coffre ouvert aux tympans des passants. Et même s'il semble vieux, il n'a que du vécu, son image donne une mauvaise idée de son âge. Il a encore la force et l'énergie de vous faire danser, mais pas tout seul. Un petit coup de main suffirait peut-être à lui rendre son rôle de musicien. Mais plus personne ne le touche, les seules caresses qui l'atteignent sont celles des yeux compatissant qui le condamnent au silence en souriant. Pas de haine, pas de dénigrement, une simple incompréhension, une erreur de jugement. Pauvre piano au bord de l'oubli, pas qu'on ne le voit plus, mais que sans le connaître on ne croit plus en lui.


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