Pen - Chapitre Dix-Sept

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

Pen a tué les deux derniers membres peu avant Noël. Elle était partie le 22 décembre à dix-huit heures. Elle n'est pas rentrée le lendemain matin ni sur les coups de trois heures. Elle n'est pas rentrée. Je me suis inquiété. Je suis parti travailler, comme je le faisais depuis une semaine. Je lui ai envoyé des messages. Je l'ai appelée. Pas de réponse. Le numéro n'était plus attribué.

Je suis rentré à l'appartement vers quatorze heures. Il y avait une enveloppe sur la table. Elle m'était adressée. J'ai reconnu l'écriture de Pen sur l'enveloppe. J'ai posé mon sac et mon manteau. J'ai ouvert l'enveloppe. J'y ai trouvé un carton. La même écriture élégante y avait tracé deux mots.

            C'est fait.

Ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Ça ne pouvait se terminer comme ça avait commencé. J'ai retourné le carton. J'ai soupiré de soulagement. Pen ne s'était pas contenté de ces deux mots. Elle avait pris le temps. Pour moi.

            Pas la peine de me payer.

Je te fais cadeau des deux dernières missions.

            Vis, Arthur.

            Fais-le pour moi.

            Je te souhaite un joyeux Noël.

            Penny.

J'ai souri. Je n'ai pas pu m'en empêcher. Simple et efficace. Touchante surtout. Pen était tout ça à la fois. Cette gamine allait manquer à ma vie. J'ai rangé le carton dans son enveloppe. Je ne l'ai pas jetée. Je l'ai posée devant la photo de Barbara et moi, dans ma chambre. Cela m'a permis de remarquer que Pen avait récupéré ses affaires. Il n'y avait plus aucune trace d'elle chez moi. Exceptée cette enveloppe.

J'ai fêté Noël avec Pat et sa famille. J'ai rencontré sa femme et ses deux enfants, Meredith et Finn. Ils étaient mignons. Finn lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Nous avons bu du crémant à la santé de tous. A la famille. A l'amour. J'ai levé mon verre à la santé de Pen. Mais ça, personne ne le saura jamais.

Le chapon était bon. C'est moi qui l'ai coupé. Pat m'a aidé. Mais c'est moi qui l'ai coupé. Barbara aurait été fière. Elle se serait moquée de moi aussi. Mais elle aurait été fière malgré tout. J'étais fier de moi aussi. Vous savez ce qu'on dit : il n'y a pas de petites victoires.

A minuit, les enfants ont ouvert leurs cadeaux. Meredith remerciait le Père Noël tous les deux cadeaux. Finn ne comprenait pas tout ce qui se passait. Pat et sa femme se sont discrètement échangés des cadeaux. Je les ai observés du coin de l'œil. Ils étaient beaux à voir. Ils étaient touchants.

Nous sommes revenus à table. Les enfants sont partis jouer avec leurs cadeaux. Nous avons bu des cafés en refaisant le monde. Je suis sorti fumer une clope. Seul. Pat avait arrêté de fumer pour de vrai. Il faudrait moi aussi que j'arrête un jour.

Sur la terrasse, j'ai pensé à l'avenir. Il était temps pour moi de vivre et d'arrêter de me morfondre. Bien sûr que j'aimais encore Barbara. Je l'aimerai toujours. Elle sera toujours là, quelque part au fond de moi. Elle avait fait partie de ma vie. Mais aujourd'hui, j'étais résolu à avancer. J'irai doucement au début. Ce sera difficile. Mais c'était nécessaire.

J'ai pensé à la jolie serveuse du nouveau restaurant où je travaillais. Theresa. Je pourrais l'inviter à boire un verre. Pour voir. Au pire, on restera amis. Je pourrais faire une soirée à l'appart aussi. Inviter Pat et sa femme. La serveuse. Les collègues aussi. Ça pourrait être sympa. Chacun ramènerait quelque chose. Ça mettrait un peu de vie dans cet appartement.

L'idée de déménager n'était plus à l'ordre du jour. Je n'en avais de toute façon pas les moyens. Mon compte en banque faisait toujours la gueule. Je n'en avais plus envie non plus. Finalement, je l'aimais bien, cet appart. La cuisine était pratique et le salon était bien agencé. Et puis, il n'y avait pas de vis-à-vis.

J'ai écrasé ma clope. Je suis rentré. Ça parlait politique à l'intérieur. Pat et son beau-père s'engueulaient. Le premier défendait Clinton. Le second était en faveur de Trump. Je ne suis pas intervenu. Je n'avais pas vraiment d'avis sur la question.

On en est venu à parler de moi. De ce que je comptais faire. J'ai parlé de moi. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas fait. J'envisageais de partir un temps en France. Il était temps que je prenne des nouvelles de mon frère. Il était temps que je rencontre ma nièce. J'ai été voir des photos d'Aix-en-Provence. Ça avait l'air joli. Ça pourrait me plaire.

On m'a demandé où j'en étais dans mes amours. J'ai éludé la question. J'ai demandé à ce que la femme de Pat nous joue un air de piano. Pat m'avait dit qu'elle jouait du piano. Il m'avait dit qu'elle jouait très bien. Alors j'ai demandé un air. Je ne voulais pas répondre à cette question. Pas encore. Tout n'était pas encore clair dans ma tête. J'avais besoin d'un peu plus de temps. D'un peu plus de réflexion. Même si le plus gros était fait.

Nous avons écouté Anna jouer un Mozart. C'est vrai qu'elle jouait bien. Barbara ne jouait d'aucun instrument. Elle jouait avec les mots. Nous avons écouté Anna pendant dix minutes. Nous avons encore un peu parlé. Puis j'ai pris mon manteau, ai salué tout le monde et suis parti.

Dans la rue, j'ai levé la tête. J'ai regardé les illuminations. J'avais oublié comme j'aimais Noël. Je me suis arrêté en plein milieu de la rue. J'ai profité de ce moment. J'ai tâché de graver chaque sensation dans ma mémoire. Le froid qui me brûlait les mains. L'odeur de cannelle qui courait dans les rues. Les lumières. Les guirlandes aux balcons. La musique qui s'échappait des appartements. La joie. L'insouciance. Tout ce qui faisait de Noël un moment hors du temps. Une période qu'aucune guerre et qu'aucune maladie ne pouvait entacher.

J'aimais Noël. Je me souvenais maintenant. J'aimais profondément Noël comme j'aimais profondément la vie. J'ai repris ma marche. Je suis passé devant le bijoutier. J'ai sorti ma main de ma poche. J'ai regardé mon alliance. Je l'ai retirée. Lentement et avec précaution. J'ai levé les yeux au ciel.

-          Je t'aimerai toujours, Barbara.

Il m'a semblé entendre le vent me répondre. Mais ce n'était sûrement qu'une impression. J'ai de nouveau observé mon alliance. Je l'ai rangée dans ma poche et je suis rentré chez moi. Il était trois heures.

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