Pen - Chapitre Quatorze

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

-          Pourquoi « Pen » ?

Nous étions dans le bus depuis une dizaine de minutes. Pen n'avait pas décroché un mot depuis la sortie du centre. Elle avait encore les joues rouges de pleurs. Je ne l'avais jamais vue pleurer. Vraiment pleurer. Elle m'a regardé. Elle ne comprenait pas. J'ai répété ma question.

-          Pourquoi « Arthur » ?

J'ai soupiré. Elle a détourné la tête et a regardé par la vitre. Elle avait le front collé à la vitre. Du doigt, elle dessinait sur la buée. Elle dessinait des étoiles à cinq branches. Je l'ai regardé faire. J'ai hésité à reposer la même question. J'ai fini par tourner la question autrement.

-          Le diminutif habituel de « Pénélope », c'est « Penny ». Pourquoi « Pen » ?

Elle a continué à dessiner. Elle n'était pas décidée à me répondre. J'ai pris mon mal en patience. J'aurai ma réponse. Quand, je ne le savais pas. Mais je l'aurai. Nous n'avons rien dit de tout le trajet. J'ai regardé les gens descendre, les gens monter. Les gens discuter. Un bus est une microsociété en soi. Un mini monde avec ses hommes et ses femmes, ses enfants et ses ancêtres.

Je suis rentré à l'appart, sans Pen. Elle avait du travail pour l'agence. Un joueur de poker qui n'avait pas remboursé ses dettes. Elle faisait le sale boulot aujourd'hui. Elle me rejoindrait plus tard. Nous nous sommes toisés quelques secondes. J'ai espéré qu'elle répondrait à ma question. Mais elle a tourné les talons.

J'ai commandé chez le japonais du coin. J'ai mangé mes sushis dans le silence. Ils avaient changé leur recette. C'était moins bon qu'avant. Je ne recommanderai plus chez eux. J'ai mis au frais les sushis restants. Pen en voudrait peut-être. J'ai allumé la télévision. Je n'ai pu m'empêcher de sourire en reconnaissant le générique de Dallas. Ma mère regardait Dallas. Je regardais Dallas quand j'étais gosse.

J'ai regardé deux épisodes. Je me suis endormi pendant le troisième. Je me suis réveillé en sursaut sur les coups de quatre heures. J'ai repoussé mon plaid, dégoulinant de sueur. Je me suis essuyé le front et ai retiré mon tee-shirt. J'avais beaucoup trop chaud. J'ai ouvert la fenêtre. J'ai allumé une clope et je suis resté ainsi une vingtaine de minutes, profitant du calme de la nuit. J'ai refermé la fenêtre au premier frisson.

Je suis allé me servir un verre d'eau dans la cuisine. J'ai remarqué l'emballage vide des sushis. Il trônait à côté de l'évier. Je l'ai jeté et je suis revenu dans le salon. J'ai surpris un rai de lumière sous la porte de ma chambre. Pen était rentrée. Un peu plus coupable qu'hier mais bien moins que demain.

Je me suis approché. J'ai collé mon oreille. J'ai écouté un moment avant de toquer. Je n'ai pas entendu de réponse mais je suis quand même entré. Pen était assise en tailleur sur le lit. Des feuilles et des dossiers étaient disposés tout autour d'elle. Elle m'a regardé. Elle a haussé un sourcil. Elle est retournée à ses dossiers.

Je me suis assis sur une chaise, à côté du lit. J'ai attendu. Ça l'a agacée. Ça m'a fait sourire. J'aimais quand elle était agacée.

-          Qu'est-ce que tu veux ?

Elle a lâché ses dossiers. Elle m'a toisé. Elle voulait une réponse et elle n'en démordrait pas. Je l'ai observée à mon tour. Ses yeux cernés. Le bleu fatigué de ses iris.

-          Pourquoi « Pen » plutôt que « Penny » ?

Elle a soupiré. Elle était moins agacée. Elle était lasse. J'ai attendu sa réponse. Moi non plus, je n'en démordrais pas.

-          Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

J'ai haussé les épaules, sans rien dire. Ça ne changerait pas ma vie de savoir. Mais je voulais savoir. C'était plus fort que moi. Je devais savoir. Pen a soupiré, plus longuement. Elle a examiné un de ses dossiers, sans vraiment le regarder. Elle a repoussé une feuille de la main. Elle m'a observé.

-          « Pen » signifie « stylo ».

J'ai attendu la suite. Je ne comprenais pas. Elle a mordillé sa lèvre inférieure, les yeux baissés. Elle a relevé la tête.

-          Tu peux faire tellement plus de choses avec un stylo qu'avec un penny[1].

Elle a souri et a haussé les épaules. J'aimais sa réponse. C'était simple mais efficace. Comme elle. Simple mais efficace. Je lui ai demandé si je pouvais l'appeler Pénélope ou Penny. Elle a juré qu'elle m'arracherait les ongles un à un si je le faisais. J'ai levé les mains en signe de reddition.

J'ai remarqué une photo de Jim sur la table de chevet. Pen l'avait posée devant celle de Barbara et moi. J'ai observé la photo. Pen l'a remarqué. Elle a observé la photo à son tour et a souri. J'aimais le sourire qu'elle avait quand elle pensait à son frère. Elle a pris le cadre dans ses mains.

-          C'est la seule photo de Jim que je possède.

Elle m'a tendu le cadre. Je l'ai pris. J'ai dit que c'était une belle photo. Pen le pensait aussi. Je lui ai rendu le cadre. Elle l'a reposé sur la table de chevet. Elle m'a dit que c'était Mary, l'infirmière, qui avait fait la photo. Elle l'avait ensuite imprimée et elle la lui avait donnée. J'ai dit que c'était gentil de la part de Mary. Pen a acquiescé. Je lui ai demandé pourquoi elle n'avait pas d'autres photos de Jim.

-          Mes parents ont brûlé celles qu'ils avaient.

Il y avait tellement de rancœur et de haine derrière le mot « parents » chez elle. Elle avait eu un rictus en le disant. J'ai demandé pourquoi. Pen a regardé la photo de son frère. Elle se donnait du courage en le faisant. Elle a ensuite planté son regard dans le mien.

-          Ils ont renié Jim quand ils ont su qu'il était autiste.

Pen m'a dit qu'ils l'avaient placé dans un centre insalubre mais gratuit. Ils voulaient le sortir de leur vie. Ils en avaient honte. Pen n'a découvert son existence qu'à quatorze ans et par hasard. Ils ne le lui auraient jamais dit sinon.

-          Je me suis enfuie à quinze ans de chez eux.

Elle a cherché un logement mais a fini par dormir quelques temps dans la rue. Elle voulait aider son frère et lui permettre d'être pris en charge et soigné. Elle a cherché un emploi mais elle avait besoin de beaucoup d'argent, rapidement. Puis elle a rencontré Robert Growney. Il a aimé le désespoir dans son regard. Il lui a offert un job. Elle a accepté.

-          C'était soit tueuse à gages, soit prostituée. J'ai perdu mon innocence mais ma dignité est sauve.

Elle a observé un silence avant de me conseiller d'aller me coucher. Il était presque cinq heures. J'ai hoché la tête. Je me suis levé mais je ne suis pas sorti tout-de-suite. Cette gamine me fascinait. Je l'ai regardée. Elle m'a regardé également avec un sourire. J'ai ouvert la porte.

-          Bonne nuit, Penny.

J'ai quitté la chambre en ignorant le regard faussement choqué de Pen. J'aimais mieux « Penny » que « Pen ».

 

[1] « You can do so many thing with a pen and so little with a penny. »

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