Quittance de penser
linsolente
On n'aurait pas misé un quignon de pain sur un nom pareil. Et pourtant ! Avec soixante écrits, son nom n'est plus à faire. De poèmes en romans, en passant par des essais et des récits, il a laissé le lecteur sur le qui-vive, ravi. Ne faisons pas de quiz. Il s'agit de Quignard. Son dernier roman paru chez Grasset en 2014 est superbe. Et quid de ce titre ? Mourir de penser. Il y explique qu'il y a quatre sens de l'esprit. Rêver, lire, penser, méditer. Qu'ajouter ? Les pensées qui jonchent le roman sont comme des perles que l'on ajoute sur un fil. A la fin du livre, c'est un collier de savoir, d'intelligence et de réflexions que l'on tient entre ses mains. Ce collier prend forme, qui des locutions latines, qui des scolies, qui du vocabulaire grec.
Le roman est un mouvement perpétuel, d'avant en arrière, telle une chaise à bascule dans le temps de la littérature, dans le champ du langage. Quitte à se perdre un peu dans le dédale des mots, on ne craint rien. On tutoie la mort, thanatos, sans l'embrasser. "Une odeur de sang ancien (...) "rémane" de tous les arts", selon le mot qu'utilise Rembrandt.
Il faut reconnaître que le premier quidam n'est pas décoré du prix Goncourt, ni du grand prix du roman décoré par l'Académie française. Les Ombres errantes et Terrasse à Rome de Quignard le sont. Chacun de ses romans est une quille dressée vers le firmament des écrivains. Guignard fait un strike à chaque fois. Comme s'il courait sur un quick, il va vite : une publication par an, parfois deux. Quignard est prolifique mais pas prolixe. "Spinoza ou Rachord. Penser ou croire." Voilà le choix qui s'offre à quiconque. Lui a choisi, et la quiétude qui s'empare du lecteur à la fin de son roman ne trompe pas.
Quignard est un grand auteur français donc, mais pas que. Il est aussi musicien, ce qui explique son goût pour la musicalité des mots. Des mots graves comme la corde de do du cello qui vibre sous ses doigts de poète. On se sent quinaud de ne pas savoir qu'il a fondé le festival d'opéra et de théâtre baroques de la ville de Versailles.
Ses titres versatiles sont toujours la promesse de l'aube du bonheur : La leçon de musique, Tous les matins du monde (adapté au cinéma par Alain Corneau), Le sexe et l'effroi, La haine de la musique, Terrasse à Rome, Le nom sur le bout de la langue, Ecrits de l'éphémère, Pour trouver les Enfers, Triomphe du temps, Sur le désir de se jeter à l'eau et Sur l'image qui manque à nos jours, et bientôt - la parution est prévue pour 2015 - Sur l'idée d'une communauté de solitaires.
Bref, Pascal Quignard est un magnifique quinola de notre époque.
Bel hommage ! Et très beau langage !
· Il y a presque 10 ans ·Mishka Samarra