Périph' fais-moi peur

sophman

Scooty c'est le surnom de mon 2-roues. Un magnifique engin noir tout neuf. Une petite cylindrée certes, mais d'une occupation très esthétique de l'espace matériel et sonore. Un  mois à peine qu'il est entre mes mains, et déjà la révision des 1000 qui se profile à l'horizon. C'était loin d'être gagné pourtant, ce retour au 2-roues, dans la circulation parisienne, après 10 ans d'absence.

J’avoue ma  tristesse de ne  pouvoir partager  spontanément avec le plus grand nombre mon bonheur d'avoir Scooty dans ma vie. Mes chers collègues se trouvent régulièrement accusés d'anti 2- rouisme primaire à cause de conversations de sortie d'ascenseur de bon matin. Il faut dire que nombre sont ceux qui, me voyant équipée en motarde des pieds à la tête, démarrent la journée sur le thème du cousin-du-fils-de leur voisin qui vient de se ramasser en moto et ce n’était pas beau à voir, etc.

 Oui, sauf que, si nous reprenons au début, c'est-à-dire à " - Bonjour ça va ? - Oui ! Su-per je suis venue en scooter ce matin et c'est géni...", certains collègues me laissent non seulement  finir ma phrase sans entamer de macabres récits, mais  répondent par un waouh enthousiaste, suivi de  la question fatidique : " Et alors, tu as mis combien de temps ?"

 Parce qu'évidemment, le seul intérêt du 2-roues pour qui ne pratique pas, c'est le gain de temps sur un itinéraire. Pfff…. Mais nous sommes face à un interlocuteur qui ne semble pas réfractaire aux 2-roues bien que n'en possédant pas lui-même. Spécimen à ménager donc, à charmer même, car bien géré, il pourra faire partie des automobilistes qui roulent très à gauche sur la file de gauche, et très à droite sur la file du milieu, et ce, le sourire aux lèvres. Et qui, lorsqu'ils dévient de leur trajectoire et se prennent un coup de klaxon, se replacent vite et s'excusent pour cette faute d'inattention. Ceux-là donc, il faut les chouchouter. Alors pas question de lui asséner que l'intérêt de la moto ne se réduit pas à la vitesse.

 Et d'ailleurs j'ai une bonne raison pour ça: j'ai mis plus de temps que quand je viens en voiture !

J'utilise immédiatement l'argument de choc, je suis en rodage. Quelle aubaine" - Oui, tu comprends, à 80km/h sur l'autoroute, forcément ça m'a super ralentie.  Et puis tu sais j'ai pris un 125cc, c'est pas pour aller déraisonnablement vite, je veux juste essayer de ne plus systématiquement louper les 20 premières minutes des réunions à  9h à cause des embouteillages « imprévus ». Quelle idée aussi de faire démarrer les réunions à cette heure quand on est allé planter sa boîte à l'autre bout de la France (OK, OK, on est seulement à la limite du  91 là-bas, mais pour un Parisien ça revient au même) !

Ce que je ne dis pas donc, c'est que cette première sortie m'a rappelée que le motard doit allouer dans l'estimation de son temps de trajet, un temps de préparation.

Ce matin en effet,  je me rapproche le coeur battant de Scooty et là, catastrophe. Aucune logique dans l'enchaînement des gestes ! La clé dans le contact, je tourne pour ouvrir le coffre. Oui mais il faut la clé pour enlever l'antivol. Ah mais zut, le système de blocage du guidon est enclenché. Pour le désactiver faut remettre la clé. Les gants sont dans le coffre. Mais je l'ai refermé en m'appuyant dessus pour bidouiller la clé dans le contact parce que le foutu guidon refusait de se délocker. Ah ça y est j'ai enlevé le serpent de mer qui pèse un tonne et ai réussi à le mettre dans le coffre. Sauf que j'ai les mains toutes sales maintenant. Et oui j'aurais dû mettre les gants d'abord. Je sors un mouchoir jetable de mon sac-à-main, je m'essuie les mains tant bien que mal et j'enfile les gants. Sac-à-main dans le coffre, coffre fermé, gilet fluo enfilé  je mets le casque. Vous avez déjà essayé d'attacher la boucle d'un casque avec des gants d'hiver de moto ? Autant bloguer en moufles. J'enlève les gants. J'attache le casque et enfin je débéquille. A moi la route !

Je vais prendre mon chemin habituel. Le périf, le périf, le périf ! Psychologiquement je suis prête.

Enfin, c'est ce que je croyais. Je m'engage sur la file des motards, toute de gilet fluo et de warnings vêtue, et là, je me rends compte qu'après toutes ces années d'automobile j'ai acquis un réflexe conditionné très naturel : quand  je vois les feux rouges arrières des voitures s'allumer, je freine ! Et j'ai beau lutter, ce qui n'est pas facile surtout que là, entre deux voies j'ai une paire de feux arrières dans chaque oeil, rien à faire, quand ça s'allume, je freine !  Et 'à force de freiner, je suis à 20km/h sur la voie non matérialisée des motos et  derrière moi, on perd patience.

Va dire à ton collègue sympathisant que le rodage n'y est pour rien dans ta lenteur, mais qu'elle s'explique par deux phénomènes tout aussi embarrassant l'un que l'autre: incapacité à optimiser la phase de préparatifs au départ, et temps sur le périf passé à se rabattre en les voitures pour laisser passer le chapelet de motos supérieur au temps passé à essayer de faire partie du dit chapelet.

Impossible. Alors je vocifère sur le fameux rodage. Pourquoi cela existe-il encore, à notre époque, avec toute la technologie etc. " -Au fait, tu as fini tes diapos pour la réunion avec Big Boss cet aprèm' ? - non merde, t'as raison faut que j'y aille! Allez, à plus".

 Et le voilà qui disparaît. Ouf, sauvée par le Barco. Jusqu'à demain matin. J'ai 24 heures pour stakanoviser la préparation et régler cette fichue histoire de réflexe conditionné. J'ai mon idée. Je vais passer la nuit sur Scooty devant les illuminations de Noël ! Allumées, éteintes, allumées, éteintes. Jusqu'à montrer une indifférence totale au niveau des poignées de frein. Allez, direction les Champs !

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