Sur ma route

pimprenelle

Sur ma route

Quel est cet animal étrange qui se déplace sur deux roues et agite ses membres inférieurs ? Je vais lui montrer qui je suis, moi qui déambule normalement sur mes deux jambes, les pieds sur terre ou sur quatre roues, comme tout le monde. Je vais lui en faire voir à cette créature pas comme les autres, cette créature peu commune qui ne prend pas les transports en commun, qui va plus vite que moi, qui est libre et autonome... ah, mais !

Ce qui suit, ce sont des petites histoires de cyclistes, du cycliste parisien. En l’occurrence, ce sont les miennes, mais je crois qu’elles arrivent à tous les cyclistes de la capitale. Si certains d’entre eux se comportent comme ils ne le devraient pas, les comportements des non cyclistes peuvent atteindre des niveaux de bêtise et de cruauté qu’on ne peut imaginer. J’en ai fait ici une petite synthèse. Toutes ces histoires sont vraies à 99,9 %.

***

Un automobiliste me demande : “Vous savez à quelle vitesse vous allez ?” “Mais, à la vitesse d’un vélo, Monsieur.”

Je rentre du travail un soir et sur la dernière portion de rue avant d’arriver chez moi, un groupe de trois jeunes traverse la rue sans regarder. Je me signale et de ce fait, les insultes fusent (on notera que c’est la réponse classique au fait que vous manifestiez votre présence à vélo). Une fois dépassés, je leur fais un doigt, sans me retourner. Quelques secondes après, l’un d’eux m’a rattrapée en courant et attrape mon porte-bagage, ce qui a pour résultat de me faire tomber. Juste avant, d’un autre petit groupe qui était devant un immeuble, un autre jeune (pas plus de 13 ans) s’était avancé au milieu de la route pour me ralentir. C’est fou, la solidarité…

 Il me regarde droit dans les yeux et s’empresse de traverser devant mes roues pour me forcer à m’arrêter en m’assénant un “Bonjour Madame !” pète-sec. Le problème c’est que ce n’est pas un débile mental mais un cinquantenaire bien propret... et bien frustré.

Ils sont deux à traverser la piste cyclable sans regarder, mais ça, c’est quinze fois par jour. Je klaxonne pour leur rappeler mon existence et j’entends : « Eh ! Tu te crois à Amsterdam ? », tout ça avec un accent parigot à couper au couteau…

Il y a eu pire, mais j’en découvre tous les jours, je me lasse pas. C’était sur ces pistes cyclables à la con, sur les trottoirs, là où les piétons en rajoutent pour nous emm... Et bien là, il s’est pas gêné celui-là. C’est un couple qui s’apprête à traverser sans faire attention, je sonne, et là, lui se jette devant mes roues en gonflant le torse, un vrai coq devant sa poule. Je ne sais pas ce qu’il lui a prouvé ce jour-là mais j’ai du mal à me dire qu’un jour elle est tombée amoureuse de ce truc.

Je grimpais en ahanant la rue Jeanne d’Arc et une voiture me rase de très près alors qu’elle avait la place de s’écarter d’au moins un mètre de moi. Arrivée au feu, j’interpelle le conducteur. Il me répond avec aplomb que je devrais me rapprocher du trottoir (j’étais dans le caniveau !). J’insiste pour lui mettre sa connerie en face et il en rajoute une couche. Je crois qu’à ce moment-là, j’ai sorti mon pistolet-laser et je l’ai désintégré.

Une grosse berline grise me double en me rasant et je la rattrape au feu rouge. Je fais remarquer au conducteur qu’il m’a doublée d’un peu trop près et là, je vois sur le pare-brise : POLICE ! Je ne me démonte pas et je lui fais remarquer qu’en plus il est de la police. Un peu gêné, il essaie de m’humilier en me disant d’aller me calmer à la campagne et démarre fier de lui.

Elle me regarde arriver au feu vert, elle est encore sur le trottoir, mais traverse de façon à me passer devant les roues. Je l’insulte et c’est elle qui me dit que ça va pas…

Il se gare à l’entrée de la piste cyclable, bien comme il faut pour que je fasse un écart. Il me voit arriver et ne vacille pas. Je lui envoie un « et bien j’t’emmerde aussi dans ce cas ! ». En réponse et en m’éloignant, je perçois des bribes « …t’faire foutre… bonne femme… »

Je double un autre vélo sur une voie de bus réservée aux seuls bus et vélos et un bus arrive tout klaxon hurlant derrière moi, me double violemment à peine rabattue sur la droite, pour aller me coincer contre le trottoir au feu rouge. J’aperçois des flics un peu plus loin et je vais vers eux pour les alerter, mais l’autre taré se dépêche de repartir. Je le retrouve au feu d’après et je lui promets qu’il ne va pas s’en tirer comme ça. Je vais écrire à la RATP pour lui signaler cet état de faits qui sont légions sur un parcours parisien à vélo et je recevrai une réponse courtoise et attentive d’une personne qui prendra même le soin de m’appeler pour entendre ma version, car la version du conducteur différait sensiblement. En effet, il a signalé avoir pris peur parce que je n’avais pas tendu mon bras, alors que je doublais déjà depuis un moment quand il est arrivé en trombe derrière moi ! A partir de son affirmation, on peut d’ailleurs s’interroger sur ce que la peur peut provoquer : aller coincer quelqu’un contre le trottoir parce qu’on a eu peur…hum…Dans les propos de mon interlocutrice, j’ai bien senti que le zigoto n’était pas le fleuron des chauffeurs de bus et qu’elle abondait dans mon sens, car je ne suis pas la première à lui signaler ce genre de chose.

J’arrive à un feu rouge et comme j’en ai maintenant l’habitude parce que c’est préconisé par la prévention routière, je reste au milieu de la chaussée pour éviter d’être bloquée et polluée par la voiture qui me dépassera. Mais je tombe sur un impatient qui klaxonne. Impatient de quoi, je ne sais pas trop puisqu’il va être inévitablement arrêté à 20 mètres. Je le remets à sa place en lui disant qu’il est très avancé, maintenant, et il insiste en me disant que je dois me mettre sur le côté, tout ça pour me prosterner et laisser passer monsieur l’automobiliste... Je ne lâche pas l’affaire et lui rétorque que ce que je fais est même préconisé par la prévention routière. Il hausse le ton et le feu passant au vert me lâche un "sale pute" !

Boulevard Sébastopol, partager la voie des bus, c’est un parcours du combattant, avec les bus qui, au mieux, font ce qu’ils peuvent pour nous doubler sur cette voie trop étroite, au pire nous rase avec jouissance (ah ! s’ils pouvaient nous envoyer valdinguer…), mais aussi avec les taxis qui, eux, sont seulement tolérés sur ces voies mais se les approprient avec arrogance et malveillance envers les cyclistes, oubliant qu’ils n’ont jamais roulé aussi bien depuis la mise en place des mobiliens, car auparavant, lorsqu’il n’y avait pas de séparation entre les voies de bus et les voies normales, les automobilistes prenaient les voies de bus qui finissaient par être aussi bouchées que les autres. Mais quand les piétons s’en mêlent… comme ces deux qui, comme d’habitude, sont debout dans le caniveau, et que je dépasse en faisant un écart avec un tacot qui me double. Je balance mon bras à l’un des deux qui me jette un "salope"…

Il roule sur une moto large comme une voiture et près du caniveau, alors que la place des deux roues motorisés c’est à gauche. Je l’engueule en arrivant au feu parce qu’il me bouche le passage et qu’il me pollue, la vue et les voies respiratoires. Je tombe sur une grosse brute style biker caricatural. Après mon énervement, ça finit par m’amuser cette caricature, car il réagit comme un beauf en me gueulant « qu’est-c’t’as ta ? » et m’insulte. Je finis par lui dire « mais qu’est-ce qu’il y a, t’as pas fait caca ce matin ? ». Ça dure une minute, puis quelqu’un arrive à pied derrière moi et nous montre… sa carte de police, c’est un flic en civil ! Il demande ce qui se passe et je crois déceler sur son visage l’ombre d’un sourire qui passe furtivement, ayant dû entendre une partie de la conversation. Alors que l’autre s’énerve mollement, moins sûr de lui, le feu passe au vert et je les laisse tous les deux en tête à tête.

Je passe rue de Crimée sur le pont du bassin de la Villette et une camionnette me fait une queue de poisson pour prendre le quai de Loire, qui longe le bassin, suffisamment lentement pour que j’arrive à frapper un grand coup de la main sur la tôle ce qui le force à s’arrêter et à descendre de son véhicule. Je l’engueule et il me rétorque que je n’ai qu’à prendre la piste cyclable ! La piste est située en parallèle de la rue de Crimée, elle vient de part et d’autre du pont et on ne l’utilise sur le pont que pour bifurquer à droite. Venant de la rue de Crimée pour suivre la rue de Crimée, je n’avais qu’une chose à faire : continuer rue de Crimée ! Il faut donc comprendre son raisonnement : comme je n’étais pas où il estimait que je devais être, il avait le droit de me foutre en l’air…

Je rentre d’une tournée, sous la neige, et je prends la piste qui passe sur l’esplanade du boulevard des Batignolles. Il est entrecoupé de rues et si certains de ces carrefours ont des feux, l’un n’en a pas et alors que j’arrive, deux filles s’apprêtent à traverser à ma droite, sans faire attention, à gauche arrive une voiture. Alors que j’aurais eu largement le temps de passer, je freine un peu brusquement, je glisse sur la neige et je m’étale. Une statue est en face de moi, devant sa poussette, attendant pour traverser. Oui, les statues ont aussi des enfants qu’elles promènent dans leurs poussettes, mais à ce moment-là rien ne bouge, pas un cil, c’est à peine si elle m’adresse un regard quand je passe à côté d’elle. Je me retourne, les deux filles ont disparu… L’indifférence a encore de beaux jours, même sous la neige...

Ils sont un petit groupe de piétons, encore sur le bord du trottoir avant que j’arrive, mais dès que la voiture qui me devance est passée, ils se ruent comme un seul homme devant mes roues et deux flics impassibles et que j’engueule en leur demandant ce qu’ils attendent pour réagir.

Je passe au feu qui venait juste de passer à l’orange et comme le carrefour est grand, que je n’ai pas une Porsche et que les piétons commencent toujours à traverser avant que leur signal passe au vert, j’arrive sur eux et avant même que je ne réalise, un petit chien noir se met dans mes roues. Je l’entends couiner mais j’entends aussi son maître me hurler dessus : « Salope, je vais te tuer… » j’en passe et des meilleures. Je le répète, je n’ai pas une voiture mais un vélo et le chien était debout sur ses pattes, donc pas de quoi en faire un drame. Je dis à l’imbécile qui lui sert de maître d’aller se déverser ailleurs, que je ne l’ai pas fait exprès et qu’il n’a qu’à commencer par ne pas traverser n’importe comment. Là encore, tout le monde assiste à la scène sans broncher. Je suis même assez étonnée qu’il n’y en ait pas un(e) autre pour m’incendier un peu plus, tant qu’à faire…

***

Tous ces évènements peuvent sembler être des anecdotes, mais vécus au quotidien ils vous pourrissent la vie. Et ce n’est pas ça le pire. Quand on y regarde bien, on y voit, concentrés dans le rapport cyclistes/non cyclistes, l’intolérance, la haine envers l’autre qu’on va pouvoir retrouver dans d’autres situations : au travail, dans le couple, etc. Ça va si loin que, lors d’une manifestation, je l’ai faite en vélo et me suis entendue dire : « Les cyclistes, mettez-vous à l’écart, s’il vous plaît » ! Ah, bon ? Mais je manifeste, excusez-moi d’être là. En plus, je marchais à côté du vélo. Si j’avais eu le courage de débattre avec cet imbécile, je pense qu’il aurait été incapable de me dire ce qui justifiait son rejet. Et ça, ça manifeste contre les injustices, les idéaux sociaux…

Pas besoin d’avoir fait des études de sociologie ou d’anthropologie pour comprendre ces petits fonctionnements humains, si humains. Enfin, comprendre, il m’a fallu quand même quelques kilomètres dans les jambes et quelques ruminations pour y arriver, au moins en partie. Mais ce que j’ai observé a ouvert un champ si large que je regretterais presque de ne pas avoir vécu ces petites mesquineries de tous les jours qui tantôt sont risibles, tantôt pourraient vous être fatales : ouvrir sa portière sur un cycliste peut le faire tomber ou l’envoyer sous les roues d’une autre voiture et… vous voyez ce que je veux dire.

Alors, comme ça, l’humain n’aime pas ce qui est différent de lui, car c’est ça le fond de l’histoire. On est bien au-delà du quotidien de la vie urbaine. Je peux m’arrêter à la mentalité du parisien, égocentrique, stressé, frustré, totalement préoccupé par son nombril… mais si on observe à Paris ce qu’on ne verra pas ailleurs, on est obligé néanmoins de voir dans tous ces comportements le fondement de la nature humaine, quand elle n’agit que sur la pulsion et les bas instincts. Partant de là, on va comprendre que le problème, c’est la peur de la différence et/ou la jalousie. J’ai notamment remarqué ça chez les taxis : lorsqu’ils sont coincés dans les embouteillages et qu’un vélo les dépasse dans la file, le cycliste va le payer d’une façon ou d’une autre, celui-là ou un autre, soit dans l’instant d’après, soit un autre jour.

Alors, la peur de l’autre et de sa différence. A Paris, le vélo est quelque chose d’assez nouveau. Jusqu’aux années 90, je me souviens d’une des rares « pistes cyclables » (voire la seule), le long de l’avenue René Coty qui monte au Parc Montsouris. Elle était tracée en bleu, donc d’une couleur très peu visible pour les automobilistes et qui, avec le temps, s’effaçait de façon à être quasiment invisible. Aussi, le Parisien a été très peu habitué à voir des cyclistes, qui sont restés longtemps des espèces d’extra-terrestres ou au mieux, des promeneurs du dimanche qui disparaissent vite le long du canal de l’Ourcq ou vont faire un petit tour dans les bois, de Vincennes ou de Boulogne. L’arrivée du Velib’ est donc une vraie révolution à Paris. Cette nouvelle affluence de bipèdes à deux roues déstabilise autant les piétons que les automobilistes. On n’avait jamais vu ça ! Du coup, on s’aperçoit que les vélos existent mais pas qu’il y a un cycliste dessus. Au mieux, dans une discussion, on vous dit : « Ah, j’allais traverser quand un piéton m’est arrivé dessus… On ne les entend pas. » Oui, mais on les voit, il suffit de regarder ! Au pire, ils vont trop vite ou pas assez vite, bref ils ne sont jamais à leur place. Il faut donc s’interroger sur ce qui dérange, sans doute la perte de ses habitudes, de devoir changer de comportement et tolérer l’autre.

Le racisme commence par là. A la base, ce n’est pas une question de race, c’est ce qui n’est pas comme nous. Et quand on a le sentiment d’être supérieur on sait ce que ça donne, le pire. Comme on a pris pouvoir sur des races que l’on considérait inférieures, en leur faisant subir les pires sévices, l’abolition de l’esclavage n’a pas aboli les pires comportements puisque le problème n’est pas la race, mais la différence. Brassens chantait : « Non, les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. » Je n’ai pas besoin de développer, les exemples cités plus haut parlent d’eux-mêmes. Mais à ce sentiment de supériorité se mélange des sentiments complexes comme la jalousie. Ben oui, on veut l’exterminer cette créature, mais on voudrait bien sa peau… être dans sa peau ! J’ai vu des conducteurs de camions ou de bus entrer en rivalité avec moi : me raser de près, me faire une queue de poisson, rien que pour être devant… Est-ce que ce monde est sérieux ?

Je me souviens d’un dessin animé où l’on voyait Pluto, humanisé dans la forme d’un petit monsieur bien propret dans son costume, partant pour son travail le sourire aux babines, heureux et détendu, mais une fois au volant de sa petite voiture, il se transformait en un monstre de fureur et de méchanceté.

Je pourrais tout à fait me passer des informations quotidiennes pour en apprendre un peu plus sur la nature humaine, tout est sous nos yeux ! Mais ce que je trouve le plus pathétique, c’est que ces mêmes criminels du quotidien on les retrouve parfois dans les téléthons ou à envoyer de l’argent pour un tsunami ou Haïti, tous prêts à se racheter une bonne conscience, sans même en avoir conscience d’ailleurs ! Les gens voudraient que les choses changent à des milliers de kilomètres de chez eux, mais ils ne sont pas prêts à changer leurs propres attitudes. C’est à désespérer de l’humanité.

Alors pour terminer sur une note plus douce, voici deux petites choses délicieuses :

Je suis à l’arrêt à un feu et j’entends : pout, pout, pout... Je détourne la tête et vois un gros garçon sur une toute petite moto, mais vraiment toute petite. Il fait à peu près le double de son véhicule qui mesure à peine un mètre de long et au démarrage ce dernier ne s’écrase toujours pas, le tout s’éloignant tranquillement.

Je suis arrêtée au feu et arrive à côté de moi un motard, et sur sa moto, dans un petit sac un petit chien coiffé d’un petit bonnet qui protège ses oreilles du vent et sur le museau une paire de lunettes à la coupe très stylée, un look un peu motard des années 30 qui me fait penser à Laurence d’Arabie sur sa moto, à la fin du film. Je n’ai pas le goût de l’anthropomorphisme, mais là j’ai craqué devant ce tableau car la bête avait l’air tout à fait zen et son maître m’a dit que ça faisait presque 4 ans que ça durait !

C'est un coup de gueule sur ma vie de cycliste à Paris ! Mais avec un peu de philosophie tout de même.

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