PESTBOOK CHAPITRE 2

oliveir

Robert, mon boss, m’a conseillé de faire constater l’abandon du foyer par un huissier. Quand Robert m’a demandé si Patricia avait quelqu’un, je lui ai dit que je n’en savais rien. « Moi, je peux te dire que si ma femme avait quelqu’un je le saurais », m’a-t-il répondu sous forme de reproche. «C’est qu’elle ne doit avoir personne alors», lui ai-je dit. Il allait ouvrir la bouche mais il s’est retenu. Il voulait certainement me dire quelque chose de désagréable.

J’ai cru que Patricia reviendrait lorsqu’elle serait fatiguée de ses voyages mais elle n’est pas revenue. Elle est allée voir Jean à Philadelphie et puis elle a mis le cap sur la mer Egée. Je ne sais pas ce qu’elle fait, ni si elle a trouvé quelqu’un pour lui remonter le moral. On se voit le moins possible.

Je joue les détachés maintenant parce que le temps a passé mais à ce moment-là je n’en menais pas large, je n’avais pas vraiment envie de cette séparation, j’avais envisagé mon avenir avec elle, je prévoyais de passer ma retraite en sa compagnie. Elle s’était remise à jouer au tennis et je m’étais dit que j’allais m’y remettre et que nous aurions pu jouer ensemble. Nous aurions eu nos vies séparées et notre vie commune partagée entre nos amis, nos voyages… Nous avions des goûts différents, nous n’étions pas ce qu’il est de coutume d’appeler un couple fusionnel mais la plupart des couples vivent dans notre situation et ne se séparent pas. Je savais que je n’étais pas facile à vivre mais personne n’est parfait. J’ai voulu me battre par principe, j’ai discuté avec elle plusieurs fois mais elle était résolue. Je n’ai pas voulu jouer la carte des sentiments, nous n’avions plus l’âge ou nos sentiments étaient morts.  Nous avons vécu la tristesse d’une séparation sans esclandres, à l’image d’une vie sans éclats. Elle utilisait un ton de voix désagréable, un peu professoral, un peu condescendant, pour me faire comprendre que je ne savais pas ce qu’était la vie. Elle avait en elle la force de sa résolution, je ne savais pas ce qu’elle voulait, elle ne me disait rien sur la façon dont elle envisageait de vivre. Elle me disait ce qu’elle ne voulait plus, elle n’évoquait pas le futur, ce qu’elle ferait après la séparation ne me concernait pas, je ne faisais plus partie de ses intimes, j’étais presque un étranger, déjà rangé dans la case des hostiles.

Je lui ai proposé plusieurs fois de l’emmener manger en ville mais elle ne le souhaitait plus, elle avait ses occupations, elle voulait vivre sa vie… Je ne savais si elle envisageait de vivre avec quelqu’un. Je me suis posé la question mais je dois reconnaître que Patricia est discrète. Elle a proposé que nous vivions chacun de notre côté et que nous faisions le point dans un an sur ce que nous souhaitions l’un et l’autre. J’ai cru à ce moment-là qu’elle n’avait personne sinon elle ne m’aurait pas dit cela. Nous nous accordions une période de vacance, de liberté, des loisirs… Une récréation pour égayer notre vie. Pas très positif, mais pourquoi pas, et de toute façon il n’y avait plus rien à perdre. 

Patricia était partie et cette séparation me pesait. J’avais besoin de parler, de faire le point, peut-être pace que je ne comprenais pas la raison du départ de Patricia. Je me suis naturellement rapproché de Béatrice. J’ai connu Béatrice sur les bancs de l’université. Nous avions apprécié de converser ensemble à cet âge où l’on se pose beaucoup de questions et où l’on aime avoir un alter ego pour être sûr d’être dans la norme de ce monde que l’on découvre. Nous lisions souvent les mêmes livres, nous affinions nos goûts. Nos yeux étaient ouverts sur le monde, le regard de Béa me permit de mieux le comprendre. J’aimais ce rire qu’elle n’essayait pas de contenir, j’aimais son côté nature, elle n’était pas très coquette, pas très sophistiquée mais sa confiance en elle donnait à son sourire une force singulière. Nous nous sommes toujours bien entendus, peut-être trop bien… J’ai toujours eu l’impression d’être issu de la même pâte qu’elle. Nous étions trop semblables, cela aurait été trop facile… Peut-être craignions-nous la monotonie ?

Il nous est arrivé de travailler plusieurs fois ensemble pour présenter des mémoires, nous étions terriblement efficaces, nous nous comprenions au-delà des paroles, il n’y avait aucun conflit à gérer, juste des détails à reprendre. Vite fait, bien fait ! J’avais l’impression de ne pas apprendre grand-chose à son contact, je ne devais ni imposer mes vues ni combattre les siennes. Elle ressentait la même chose que moi, nous appliquions la même méthode, nous n’avions rien à remettre en cause. Nous nous amusions souvent à nous interroger l’un l’autre pour vérifier la solidité de nos convictions. Il nous arrivait de travailler avec d’autres étudiants mais il fallait argumenter, convaincre, perdre du temps… Notre étrange relation interpelait nos camarades de promotion, personne ne nous comprenait vraiment, nous étions atypiques. Il était important de savoir où était l’autre pour pouvoir l’aider ou prendre conseil au besoin, recevoir l’aide de l’autre pour être sûr de rester soi-même.

Lors de nos études, un des nos amis nous avait conviés avec d’autres à passer une dizaine de jours dans la maison de campagne de sa famille. Nous avons compris lors de ce séjour que nous étions trop semblables, nous nous entendions comme frère et sœur, je connaissais les mots qui sortaient de sa bouche avant qu’elle ne les prononce, elle pressentait mes réactions. Il n’y avait même plus de curiosité entre nous. Je me souviens m’être demandé, lors de ce séjour, si ce sentiment étrange de connaître l’autre était quelque chose que vivaient tous les couples. Curieusement, je n’ai pas osé poser la question à Béatrice. Nous nous sommes écartés l’un de l’autre sans pourtant nous perdre de vue, nous apprécions d’être ensemble mais il ne fallait pas qu’il y ait d’autres personnes autour de nous.

Lorsque l’un de nous se liait, il ne pouvait s’empêcher de demander à l’autre son opinion sur l’heureux élu. Je crois que la profondeur de notre relation a effrayé plus d’un des prétendants de Béatrice. Il nous arrivait d’interroger l’autre pour avoir son opinion sur la personne qui habitait nos pensées. Ce n’était qu’une opinion mais c’était important. Un jour, elle me présenta Paul. Elle avait dû lui parler de moi, nous sommes allés à trois au restau un soir, la connivence qui me liait à Béa était forte, nous arrivions à communiquer sans les mots. A un moment, elle me demanda d’un simple regard ce que je pensais de Paul, je l’ai regardé dans les yeux une demi-seconde, elle a compris que je lui donnais mon assentiment, elle m’adressa, en réponse, un sourire franc, expression d’un relâchement intérieur. Je suis persuadé que Paul n’a jamais rien su de cet échange. Par la suite, j’ai connu Paul, je le rencontrais chez elle, nous nous entendions bien. Pouvions-nous être vraiment différents et apprécier tous les deux la compagnie de Béa ? Avant qu’elle ne s’engage avec Paul, nous avons discuté longuement, je ne pouvais pas la conseiller, ce n’était pas mon rôle mais je l’ai interrogée pour qu’elle voit clair en elle-même.

Quand je me suis engagé avec Patricia, nous avons repris nos conversations mais dans l’autre sens. Paul n’assistait pas à nos conciliabules, il n’en prenait pas ombrage, il connaissait la nature de nos relations. Béa m’a posé beaucoup de questions à son tour, j’ai compris qu’elle n’était pas franchement enthousiaste à l’idée de mon union avec Patricia. Pourtant Patricia appréciait la compagnie de Béatrice, elle était un peu jalouse aussi, elle ne comprenait pas pourquoi nous n’avions pas choisi de vivre ensemble alors que nous étions lié par une telle complicité. La vie est ainsi faite.

J’ai eu raison de m’adresser à Béatrice car elle m’a aidé à y voir clair. Elle m’a soutenu, elle n’a pas eu besoin de m’aider à prendre de décision car c’était Patricia qui m’imposait la séparation. Elle m’a aidé à y voir clair, ce n’était pas difficile, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure que nous ne formions pas un couple très uni. Elle m’a regardé dans les yeux et m’a demandé si je savais pourquoi Patricia m’avait quitté. Je lui ai dit ce que je répondais habituellement, que Patricia avait besoin de prendre le large, de respirer et que nous déciderions peut-être de revivre ensemble dans un an.
-Crois-tu vraiment que cela soit possible ou même souhaitable ?
J’ai reconnu cette syntaxe pleine de doute et de respect que nous utilisions lorsque nous avions vingt ans. Béa prenait la peine de s’occuper de moi, je lui devais la vérité, je lui ai demandé de ne pas répéter ce que j’allais lui dire. Je lui ai parlé de l’avortement de Patricia et de notre décision de ne plus parler de cet évènement pour ne pas raviver notre souffrance. Elle accusa le coup et reprit le fil de la conversation. Elle dit que cela avait dû être très douloureux. Elle n’ignorait pas que nous avions essayé d’avoir un deuxième enfant et que nous avions consulté des médecins pour nous aider. Je lui ai dit ce que j’avais sur le cœur et je crois que cela m’a fait du bien. Béatrice était une personne très proche, sinon la plus proche. 

C’est aussi à cette époque-là que j’ai reçu un coup de téléphone de ma mère, elle m’annonçait le décès de tante Mireille. Elle ne voyait pas souvent sa sœur mais elle y était attachée comme à une sœur. Lorsque je lui ai annoncé que Patricia et moi allions nous séparer, elle fut à la fois désolée et surprise, elle me demanda depuis combien de temps cela n’allait plus entre nous. Cela n’allait pas plus mal qu’avant mais Patricia ne souhaitait pas prolonger notre vie commune trop peu exaltante à son goût. Ma mère était presque rassurée, elle craignait que nous agissions sous le coup de la passion. Bien-sûr, elle me demanda si Patricia était liée à quelqu’un d’autre. Elle n’était engagée avec personne, à ce que je sache et moi non plus. La tristesse que j’ai perçue dans la voix de ma mère était pleine de compassion.

Elle me parla de sa sœur Mireille chez qui, lorsque j’étais enfant, nous allions parfois passer des vacances. Elle n’a pas eu beaucoup de chance dans sa vie. Mireille est restée célibataire, quelques aventures auraient égayé son quotidien, je l’espère pour elle, au moins cela aura nourri ses rêves. Elle s’est éteinte comme une bougie, elle avait perdu quelques forces l’année précédente, elle s’est épuisée. Je l’aimais bien Tante Mireille, elle vivait dans la génération de ses parents, elle n’a jamais aimé voyager, elle se plaisait dans son univers et parcourait le monde dans les livres. Elle a enseigné quelques temps, elle était appréciée. C’est vrai, ses élèves devaient l’adorer, elle était patiente, calme, organisée, curieuse… J’aimais bien aller chez elle, c’était tellement différent. J’aimais voir ma mère discuter avec sa sœur, je les écoutais parler, elles se disaient les choses parfois vertement comme seules des frères et sœurs peuvent le faire. Ils savent que leurs chamailleries n’altèreront jamais leurs liens fraternels. C’était étrange et rassurant de voir des adultes rire, se critiquer et se disputer comme des enfants. Ma mère m’a dit que Mireille m’avait léguée sa maison. J’étais le seul de la famille à apprécier cette bâtisse construite à l’écart de tout. Nombreux sont mes souvenirs d’enfants attachés à cette bastide. Imaginez, j’habitais en ville, aller passer des vacances à la campagne, c’était le rêve. Je jouais au foot sur la route avec des gamins du hameau, nous faisions voguer nos bateaux sur la mare, on partait en excursion dans la grange des voisins, nous n’avions pas d’heure. J’étais attaché à ce lieu empli de souvenirs d’enfance. J’allais pouvoir me poser pour les vacances dans un lieu que j’affectionnais. 

  • Qu'est ce c'est triste !!
    L'avenir m'effraie à vous lire..
    J'me permet puisque c'est un peu aussi votre histoire qui m'a fait écrire de nouveau sur moi même :

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Skulltest

    apophis

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