Petite Fugue Andrésienne

peter-oroy

Au coeur d'un méandre de la Seine, Le Paradis!

Petite Fugue Andrésienne

 

Quelle est donc cette surprenante nostalgie qui se cache derrière la porte de mes souvenirs ? Au crépuscule d'une cinquantaine déclinante, je me croyais à l'abri d'une si soudaine mélancolie. Seraient-ce là les prémices d'une sénescence proche ou, le désir enfoui de revivre ce bout de terre de France qui a vu fleurir ma jeunesse ?

Les longues années de l'existence n'ont jamais terni le souvenir quelque peu désuet de ma mémoire. Ô Andrésy, il me revient un serment d'adolescence murmuré au jour de mon départ vers l'Est.

« Je reviendrai toujours m'abreuver aux sources de ma jeunesse »

Au fil de ces longues années, mes pas m'ont toujours reconduits vers Andrésy avec la même constance, avec le même amour, avec le même attendrissement.

Andrésy c'est mon berceau. Andrésy c'est aussi mon premier amour. Andrésy tu es mon port, mon refuge quand, à l'issue d'une trop longue année de labeur, de fatigue et de lutte pour exister, je reviens avec celle qui accompagne ma vie, me glisser dans tes rues calmes et pleines de souvenirs.

Alors commence la belle chronique des mémoires du temps jadis.

 

J'aime à me promener le long de ce chemin bordé de marronniers presque séculaires, dont un fruit ramassé un matin d'automne chamarré a donné naissance à un arbrisseau sur un balcon là-bas vers l'Est.

Comme il est apaisant de longer la Seine où viennent s'ébattre des cygnes craintifs ! Je revois en toile de fond les longues saisons passées au bord du fleuve constamment en transhumance. Je tisse sur l'écran de mes souvenirs ses douceurs alanguies et océanes quand, sillonné par les grandes barges chargées de sable, il me prodiguait douceur et calme.

Dans les brumes du passé, je me souviens aussi de ses furies la faisant gonfler, déborder et envahir les rues, les jardins, les maisons. Et puis un jour, par petits bons, tout à reculons, en catimini de petits clapotis, comme pour s'excuser, elle consentait à se retirer. 

Je retrouve ces maisons, qui pour moi portent presque toutes un nom. Celui d'un garçon, celui d'une fille. Copain ou amie avec qui je partageais mes heures laborieuses d'écolier ou ma tendresse cachée envers une petite brune ou blonde. Je m'arrête. Je plonge mon regard indiscret au travers du rideau de verdure, dans l'illusoire espoir de voir s'ouvrir au fond d'un jardin un passé révolu qui parfois me hante.

Sur l'eau miroitante, les grosses péniches immobiles semblent assoupies sous les larmes ombragées des grands saules pleureurs de la rive.

Déjà l'avenue de Fin d'Oise laisse la place au Boulevard Noël Marc. Le Moussel ou Villa Namur, dont les vieilles pierres témoins de l'histoire s'effritent, laisse entrevoir sa splendeur passée.

Un peu en contrebas de la route, derrière le parapet de béton je m'imagine avec quelque peine, le panache blanc du Tacot du Pontoise-Poissy dissous depuis bien longtemps. Je n'ai jamais connu ce témoin du passé, ce Train des Halles des maraîchers de la région. Désaffecté en 1933, il ne m'en reste à l'esprit que les vestiges des rails, qui au temps de ma jeunesse émergeaient encore du sable devant les grilles du parc de la mairie, et le souvenir ému de la petite gare en pierre meulière, à côté du cinéma « Family » qui parfois comblait nos dimanche après-midi désœuvrés.

  

Le couvert de verdure fraîche et ombragée du parc de l'Hôtel de Ville nous invite à fuir la chaleur naissante et, je me réfugie dans une flânerie méridienne sous le murmure des oiseaux nichant dans la ramure.

Tiens ! Les lions de pierre gardant l'entrée me semblent avoir bougé. Mon souvenir les repoussent dans l'ombre des grands arbres, plus près des imposantes grilles de l'entrée.

Assis sur un banc, je coule dans un océan de passé advenu. Je ferme les yeux. Un adagio ruisselle dans ma tête.

— Vois-tu, ma douce, c'est ici-même, à l'ombre de ces arbres que l'on venait, en fin d'année, recevoir des mains de notre directeur d'école Monsieur Paradis, les magnifiques livres reliés récompensant nos réussites scolaires. Plus de cinquante ans ont changé le monde. C'est peut-être pourquoi j'aime toujours et encore m'évader avec émotion entre ces pages odorantes qui m'ont tant fait rêver.

J'entends encore sa voix parfois grasseyante, déclamant les noms de ceux d'entre nous qui recevaient un prix d'excellence, un prix d'honneur. Je ressens encore cet émoi de petit garçon endimanché, en culottes courtes, allant chercher sous les applaudissements de l'assemblée, son prix sur l'estrade érigée à cet effet.

 

Une sirène de péniche me sort de ma rêverie. Vite ! Il me faut aller humer l'odeur du gasoil et du goudron qui sert à calfater les coques.

Ah ! J'avais oublié que l'on ne circule plus sur ce bras de Seine. L'Île du Devant me cache la vue des bateaux. Tant pis j'irai les voir sur les Quais de l'Oise.

 

Les petites roses sauvages de la promenade déclinent leur parfum farouche. Le parvis de l'église dévoile le rempart de la vieille porte qui ne cèdera pas sous la pression de ma compagne, captivée par mon récit des secrets des tableaux et des trésors architecturaux de l'Eglise Saint-Germain-de-Paris.

 

Devant les façades des maisons de la promenade menant vers l'ancienne école communale, je dresse un bref portrait des commerces d'antan. Là, il y avait le magasin d'électroménager Franchino. Le bâtiment faisant l'angle avec la rue de l'Eglise abritait le commerce de vins Nicolas et, un peu plus loin le garage Mouge. Mes talents de peintre m'aident à dessiner le geste ou à trouver les nuances et les mots qui font ressurgir le passé sur la toile du présent.

 

Nous nous engageons sous l'ombrage du marché couvert, simple et pourtant magnifique réussite architecturale, admirablement mis en scène dans ce cadre de verdure menant à la Place du 8 Mai où s'érige le monument aux Morts, juste devant ce superbe édifice qui fut pendant fort longtemps l'école communale Saint-Exupéry, flanquée de sa tour métallique servant à sécher les longs tuyaux des pompiers après une intervention.

Là, derrière l'abribus, se tenait un petit bâtiment puant que nous nommions les latrines. Plus en arrière, le préau nous abritait les jours de grand froid pendant les récréations. Dans cette cour, nous jouions à la balle au prisonnier vers la fin de l'année scolaire.

Alors, refluant des confins des limbes de l'oubli de ma mémoire, des anecdotes, des rengaines, des odeurs, des cris resurgissent derrière les grandes grilles aujourd'hui disparues. Il y a des noms qui résonnent dans ma tête comme les souvenirs évanouis d'un passé fané. Des noms qui fleurent bon l'encre violette et la craie qui crisse sur le tableau. La façade s'anime dans le brouillard diaphane de ma mémoire.

Derrières ces fenêtres du rez de chaussée, Monsieur Laforgue donnait ses cours à l'école préparatoire, puis la progression nous menait vers la droite, chez Monsieur Fraisse. Le CM2 nous faisait, par ce charmant escalier tournant de pierres polies, monter à l'étage vers Monsieur Désobeau et enfin Monsieur Paradis.

Montons à la rue des Ecoles en gravissant les escaliers qui nous étaient interdits. Interdits parce que, en haut, se dresse l'école des filles et que l'époque n'admettait pas la mixité.

 

Par la rue des Courcieux, redescendons dans le vieil Andrésy. De nouveau, de fugitifs éclairs rappellent à ma mémoire les prénoms de copains de la communale, Patrice, Jérome, Alexandre...

Juste à l'angle de la rue, cette maison tout arrondie était occupée au rez de chaussé par un rétameur qui, les beaux jours d'été, exerçait son art sur le pas de sa porte devant les yeux ébahis des enfants se rendant à l'école par le chemin des écoliers, comme il se doit.

Plus haut, la boucherie ouvrait sa devanture, un peu en retrait de l'église dont la porte ne cédera toujours pas à la sollicitation de ma compagne. Il ne nous restera que la messe de dimanche pour admirer tout à loisir les joyaux de cet édifice où officiait jadis le bon vieil Abbé Nief.

La rue de l'Eglise fleure bon l'ambiance de ces villages d'Île de France envahis de langueurs du passé et d'humanité. Je garde jalousement un tableau que j'y ai peint pour en immortaliser et figer le souvenir.

L'enfilade de la rue de l'Eglise nous mène vers l'ancienne caserne des pompiers dont la Rosalie faisait la fierté. C'était un camion de premiers secours aux chromes rutilants, puissant et rapide. Il était de tous les sauvetages. Ils en parlaient avec tendresse et le bichonnaient avec passion.

 

Gravissons la rue de l'Hautil menant au cimetière où reposent celle et celui qui ont distillé en mon cœur cette humanité préservée malgré toutes les difficultés de la vie.

 

Redescendons par la rue du Moussel pour, sans détour, aller nous perdre dans l'ombre bienfaisante et complice de l'Avenue d'Eylau bordée de charmantes villas. La cité du Vieux Manoir a pris la place de ce château aux allures médiévales que cachait alors un rempart de verdure. Il ne subsiste qu'une tour qui suscite toujours notre admiration. Je remercie l'esthète qui a permis le sauvetage d'un tel joyau. En face, la décrépitude du petit château Empire, nous plonge dans l'histoire de la Belle au Bois Dormant.

 

Nos pas nous ramènent inexorablement vers la Seine. Par la rue du Général Lepic et la rue Desavis, qui dans mes souvenirs s'appelait, - sans que je ne sache pourquoi, la rue du Cendrier - nous longeons les petites maisons entretenues avec amour.

La perspective du bout de la rue donnant sur l'avenue de Fin d'Oise fuit vers l'allée de marronniers cachant le fleuve. Le souvenir émouvant de quelque amourette me suggère des prénoms féminins. Dominique, un premier amour à sept ans et Marie-France, émoi d'adolescence.

 

J'aime ces soirs d'été au confluent, quand au crépuscule, l'Oise s'assoupit, lisse sa robe d'eau et qu'elle devient miroir.

 

Sur le ciel constellé de mes nuits,

Un rêve ébloui s'épanouit.

Mes souvenirs se répandent en pluie,

Lorsque je pense à toi mon Andrésy.

 

Andrésy, combien de fois rêvée, aimée, adulée.

Comme un premier amour trop tôt quitté,

Qui a laissé sur ma joue le feu d'un baiser.

Je t'aime encore et le crie à l'éternité.

 

 

 

© by Olivier Blandenier

10 septembre 2005

  • Merci beaucoup Ana Lisa. Votre commentaire me touche sincèrement. J'ai encore beaucoup de "madeleines de Proust" à publier. Je garde de mon enfance ce parfum désuet du temps qui fuit inexorablement. Merci encore.

    · Il y a presque 8 ans ·
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    peter-oroy

  • Ah, je ne connais pas Andrésy, encore moins l'ancien, mais ce texte très bien écrit ressuscite à merveille une enfance d'autrefois dans un "parfum farouche"de petites roses sauvages...

    · Il y a presque 8 ans ·
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    Ana Lisa Sorano

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