Peut-être ainsi deviendrait-elle un jour un écrivain renommé.
silvy-nocturne
Il fait froid dehors. Un froid qui glace les os des passants. Florence sent le vent glacial fouetter sans aucune pitié son blanc visage et malmener ses lèvres carmins. La jeune fille esquisse une moue pincée, la semaine dernière les températures étaient douces et prolongeaient délicieusement l'automne -sa saison préférée-, à présent tous se cachent sous d'épais manteaux. L'Homme est curieux ; Il se prétend supérieur à la Nature et pourtant il n'est que son esclave, il doit agir en fonction d'elle. Car ce jour-là qui aurait eu la sotte idée de ne pas sortir couvert et d'affronter ainsi la puissance de l'air?
Florence était rentrée dans une période où elle remettait tout en question. Le monde était gangréné d'entités qu'elle trouvait injustes. Elle prenait donc un malin plaisir à y apporter des solutions pour tenter de le changer. Personne ne la comprenait et d'ailleurs il lui arrivait parfois d'avoir du mal à se comprendre. Cette situation paradoxale la frustrait quelque peu. Elle ne trouvait pas de soutien extérieur, elle se repliait donc seule parmi ses livres. Ces derniers constituaient une constante fierté pour elle. Anciens, ils avaient appartenu à différents membres de sa famille qui avaient tous fini par les donner à sa mère, grande passionnée de littérature française. Ces ouvrages imposants, austères et complexes, peuplant les grandes étagères de la bibliothèque de leur maison familiale –où elle et ses parents avaient emménagé– avaient alors créé une fascination au sein de la jeune adolescente qu'elle était. Les longues journées d'été elle s'installait confortablement à l'ombre du grand chêne qui, se distinguant des autres arbres par sa taille majestueuse, la protégeait vaillamment du soleil. Lorsque les jours s'écourtaient et se refroidissaient, elle se réfugiait dans le minuscule pavillon planté près du grand étang qui ornait son jardin. Comparable à Gargantua, elle dévorait non pas les aliments, mais tous les livres qui avaient la bonne fortune de lui tomber sous la main. Ses lectures avaient premièrement constitué un complément aux joies que lui procurait sa vie quotidienne, puis elles s'étaient peu à peu transformées en un exutoire, Florence vivait à travers de ses livres. Elle se distinguait de la plus part des personnes de son âge car elle s'était forgée, grâce à ses nombreuses heures de lecture, une solide culture littéraire, et cela ne cessait de la ravir.
Florence n'appréciait guère l'époque dans laquelle elle vivait et encore moins sa littérature, qu'elle trouvait dénuée de profondeur et bien trop commerciale. Elle savait qu'il lui était impossible d'y remédier mais, afin de combler sa frustration, elle avait développé un intérêt particulier pour les romans et ouvrages historiques. Il lui semblait que cette passion remontait au premier souvenir littéraire de son enfance : les succulents instants passés à admirer les images et à déchiffrer les mots difficiles –qu'elle ne comprenait pas vraiment- du petit livre d'Histoire de sa grande sœur. Initiée à la lecture de livres historiques, bien que cette notion lui paraissait vague, elle appréciait énormément les faits révolus et par conséquents inatteignables qui lui étaient contés. Exaltée par la grande figure de Louis XIV, homme qu'elle trouvait arrogant et dur, mais intéressant et emblématique, Florence pensait pouvoir mieux comprendre son règne en étudiant sa politique. Elle était persuadée que ses nombreuses lectures l'avaient bien préparée aux grands ouvrages, c'est pour cela qu'elle décida tout naturellement de se pencher sur les Mémoires de Saint-Simon. Cet ouvrage fut soporifique, l'amour qu'elle portait à l'Histoire et à la littérature dut se battre contre la séduisante option de tout simplement cesser sa lecture. Florence lisait depuis ses sept ans, elle comptait près de neuf années d'expérience, il lui était tout à fait inconcevable de s'avouer vaincue et pourtant l'ombre de la lassitude planait sur elle. La jeune fille partait du principe que de nombreuses personnes de son âge avaient auparavant lu ce livre et sûrement avec plus de facilité, elle était donc peinée de ne pas avoir eu une éducation stricte et particulièrement littéraire, malgré ses nombreuses lectures elle avait échoué et refermé son livre. Peut-être était-elle trop exigeante envers sa propre personne ou peut-être ne pas réussir ce qu'elle entreprenait était le mal de sa génération.
Florence rêvait d'époques lointaines animées par des intrigues complexes ou des aventures rocambolesques, elle s'était formé une carapace face à cette vie quotidienne qu'elle trouvait trop morne, intéressante et stagnante. Mais elle se rendit compte que cette vie tant rejetée était la sienne, et qu'elle ne pouvait prendre une place dans les fictions qu'elle lisait. Elle devait continuer à lire tout en s'imposant dans le monde dans lequel elle vivait. Rompant avec les romans de son temps et imposant son style –alimenté par de nombreux siècles de littérature-, peut-être ainsi deviendrait-elle un jour un écrivain renommé.
Il fait toujours froid dehors. La jeune femme entre dans la grande et prestigieuse librairie, par laquelle elle passait autrefois lorsqu'elle était adolescente, à présent elle ne s'extasie plus sur les jolis et anciens livres qui trônent devant la vitrine, ce sont les siens qui les ont remplacé.
Un rêve qui dans bien des cas restera, selon moi, fictif.
· Il y a presque 10 ans ·Oui, c'est fait exprès, on ne peut pas se battre contre le courant efficacement!
silvy-nocturne
Le rêve de plusieurs écrivains amateurs...
· Il y a presque 10 ans ·Mais cette chute contredit un peu le reste du texte puisqu'au final, Florence profite elle aussi de la commercialisation littéraire de notre siècle...
ella