Peut-on rire de tout ? Débat !

Sylvain Begon

32 jeunes entre 15 et 18 ans ont débattu de cette question : "Peut-on rire de tout ?". Voici un compte rendu de leurs échanges, de quoi alimenter notre propre réflexion sur le sujet !

Article à retrouver ici :

https://leblogdeloralite.wordpress.com/

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Avec 32 personnes présentes, nous venons de battre un nouveau record de participation, qui nous a valu de changer de salle, direction « Le Parloir », une salle plus grande et plus à même de répondre aux exigences de l'oral.

Trois débats ont été proposés par les élèves :

Peut-on rire de tout ? (26 voix)

La galanterie est-elle un frein au féminisme ? (18 voix)

Pour ou contre le droit de vote à 16 ans ? (13 voix).

Pendant ce débat, plusieurs thématiques ont été abordées comme le rire, la caricature, l'altérité, la culture, la liberté, la religion, la censure, l'humour, le droit, la morale, la discrimination et enfin l'empathie.

Dans un premier temps, certains semblaient défendre l'idée que le rire signifiait une forme d'ouverture d'esprit, de lâcher prise et qu'il pouvait être une œuvre de mémoire, parce qu'il participerait à la perpétuation du devoir de mémoire par la culture orale. Certains avancent même l'idée d'une « culture du rire et de l'autodérision » française voire occidentale, qui aurait pour principe premier la liberté d'expression, dont l'historicité remonterait à la Renaissance, avec comme figure de proue Molière et ses nombreuses comédies, sans oublier également des journaux comme « La caricature » créé par Balzac mais aussi bien sûr Voltaire et son « Traité sur la tolérance », dont la maxime apocryphe (puisqu'elle ne vient pas de Voltaire) raisonne encore chez les partisans du rire « je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à l'écrire. ».

Cette culture du rire s'opposerait à une « culture du cadre », notamment présentes en Afrique et au Moyen-Orient. Certains rappellent alors les évènements suites aux caricatures de Charlie Hebdo, condamnables au plus haut point, mais qui vont exister dans un contexte difficile, qui limiterait plus grandement la liberté du rire. Exactement dans la lignée de T. Adorno dans « Prismes » qui affirmait que « Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d'écrire aujourd'hui des poèmes. », il y aurait un contexte à prendre en compte qui limiterait la liberté du rire, et à certains de le préciser : la Shoah, les discriminations envers les musulmans ou le deuil.

Certains ont voulu aussi rappeler que la blague n'était pas similaire à la caricature, qui a pour objectif de dénoncer, de choquer, de faire réagir et qui contient aussi un contenu plus politique, ce qui était le cas pour Charlie Hebdo (cf : caricatures du prophète Mahomet). Et à d'autres d'ajouter : n'est-ce pas le but d'une caricature, que de provoquer une réaction, résister à la propagande, ouvrir la pensée, choquer pour faire réfléchir (cf : les caricatures pendant les guerres).

De plus, intervient dans l'analyse une différence entre le rire et la moquerie, différence qui à l'instar de la technique se porte non pas sur la forme mais bien sur la fin, c'est-à-dire sur l'objectif final de l'humour comme technique. Ainsi, si le rire a pour objectif d'amuser, de divertir alors il est utile et il faut pouvoir défendre cette liberté. Mais si le rire a pour finalité la discrimination, l'acharnement, la blessure, alors il est une moquerie et n'a pas sa place dans notre société.

Cependant, certains propos peuvent être « piquants » comme l'humour noir, la satire, et pourtant l'indignation a été analysée comme étant « subjective », c'est-à-dire personnelle, propre à chacun. En d'autres termes, comment gérer alors cette limite au rire, tandis que les limites de cette liberté ne sont pas les mêmes pour nous tous ? Ou comment alors concilier droit à l'humour et gestion de la subjectivité de chacun ?

Certains demandent d'agir avec empathie. Connaître l'autre pour rire avec lui de ce que l'on sait comme acceptable. Empathie d'abord, mais auto-censure ensuite, qui serait au fondement d'une considération morale issue du « Surmoi » Freudien. Autocensure que les élèves ont vu sans le dire comme un « code social », c'est-à-dire comme une capacité de l'individu à se censurer par rapport à un espace social et une interaction, dans laquelle l'engagement pour l'humour qui est le sien pourrait « blesser », être irrespectueux etc. Être pleinement un individu social, c'est maîtriser les codes sociaux (on ne peut pas rire dans toutes les situations : un enterrement, un entretien d'embauche … etc) de la société dans laquelle il s'insère.

Une réflexion manquante, et que je souhaite ajouter pourrait concerner l'éthique de l'excuse. En d'autres termes, la morale de l'individu n'est pas forcément dans sa censure mais peut se retrouver aussi dans sa capacité empathique à se mettre à la place de l'autre (quel qu'il soit), à saisir son mal-être, et à faire preuve d'éthique et d'humanité en s'excusant en toute responsabilité (res-pondere en latin : répondre de ses actes) quand sa blague a blessé ou gêné. Cette idée relativiserait aussi la pensée qui consiste à dire qu'une personne qui n'aurait pas pratiquée l'autocensure ne serait pas « moralement juste » pour reprendre les formulations des impératifs catégoriques de Kant dans « Fondements de la métaphysique des mœurs », que nous n'avons pas eu le temps d'aborder.

Ainsi, certains ont rappeler à juste titre que la possibilité du dialogue et donc d'une certaine maîtrise de l'oralité, permettait aussi de gérer les divisions que peut provoquer le rire, notamment en désamorçant les conflits.

De ces débats, plusieurs questions ont été abordées sans qu'elles n'aient pu offrir de réponses très claires :

Le rire est-il un outil pour fédérer ou un instrument de division ?La dénonciation peut-elle passer par le rire ?Faut-il légiférer sur le rire ou faire confiance à la morale de chacun ?Peut-on rire des croyances ?

Enfin, pour revenir sur Charlie Hebdo, une conviction plus personnelle me pousse à raisonner ainsi. Et si, Charlie Hebdo, par son entreprise de « rire de tout », de « s'indigner » de tout, et de caricaturer tout le monde, était le pouls de la liberté d'expression, en même temps qu'il produit la possibilité, à cause de sa radicalité (qui n'est pas l'extrémisme), pour tous les autres journaux d'user de ce droit de rire et parfois de tourner en dérision les penseurs et la pensée de notre temps, à l'instar de Lafontaine dans « Les Fables » ou de La Bruyère dans « Les caractères » ?

Dans tous les cas, rien n'empêche ceux que cela gêne de ne pas lire Lafontaine, de ne pas acheter Charlie Hebdo et de ne pas aller rire avec Jérémy Ferrari (un des maîtres de l'humour noir), de là à les interdire, il y a un pas qu'il ne faudrait peut-être ne pas franchir …


  • Perso je pense que le rire est le propre de l'Anima, il ne sert à rien de discerner le politique du culturel ou de la religion qui sont d'un autre degré de la conscience, dite plus élevée mais bien de provoquer dans la peur de la différence et de l'inattendu, cette pantomime du cocasse qui éveille en nous le basique spontané du rire qui se confronte au rire analogique du vécu dans sa plus pure spontanéité ;0:

    · Il y a plus de 3 ans ·
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    flodeau

    • Le rire est-il freudien ?

      · Il y a plus de 3 ans ·
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      Mario Pippo

    • Oui je pense qu'Anna O serait plus que d'accord sur ce coup là ;0D

      · Il y a plus de 3 ans ·
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      flodeau

  • On peut rire de tout, ? Mais c'est qui "tout" ?

    · Il y a plus de 3 ans ·
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    Mario Pippo

  • on peut rire de tout, tant que ce n'est pas de moi ! :o))

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • J'aime bien l'analyse ! Perso, je trouve que notre époque, à trop se chercher des poux dans la tête oublie un peu de cultiver son cerveau. Il existe un truc inné qui se situe au delà de l’intelligence et même de la réflexion que l'on appelait avant "le bon sens" qui semble avoir totalement disparu ! Il est passé où à ton avis? et pourquoi a t il disparu subitement ?

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Approximative l'analyse. Ne peut-on rire d'un entretien d'embauche? dans la même phrase d'un"enterrement"
      Cela dépend de qui disparaît

      · Il y a plus de 3 ans ·
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      Gladys Crepin

    • Le rire est la seule chose qu'il nous reste lorsque tout est perdu.

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Gaston

      daniel-m

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