Plume et bitume (concours)

elizabethderet

                                                       ** Plume et Bitume **

« Dans le théâtre des humains, les places des spectateurs sont réservées à Dieu et à ses anges » Pythagore

- Tu crois que cette maudite autoroute A666 va se terminer un jour ? demanda Ariel en faisant la moue.
 J’esquissai un sourire à ma jumelle et croisai le regard de ma mère dans le rétroviseur. Celle-ci me fit un clin d’œil, signe qu’elle comptait bientôt s’arrêter mais s’amusait en laissant mariner ma sœur.
 Ariel avait toujours eut un tempérament fougueux, pareil à celui de notre mère et en total opposition avec le mien, toujours calme et pondéré. Pourtant, à nous voir toutes les trois, on aurait pu nous prendre pour des triplettes.
 Nous étions de parfaits clones : des yeux verts, un nez retroussé, un visage rond avec des joues roses comme celles d’un poupon, et des boucles châtains qui cascadaient sur nos épaules.
 Si ce n’était les quelques rides à la commissure de ses lèvres, rien n’aurait pu nous différencier de notre mère. Florina était loin de faire son âge et elle en jouait en s’habillant comme nous : jean moulant, débardeurs colorés et une paire de Converse aux pieds. Pas étonnant donc, qu’on la prenne plus souvent pour notre grande sœur, que pour notre génitrice.
- C’était supposé être des vacances tranquilles, à deux pas de chez nous, alors pourquoi on se retrouve à slalomer entre des chauffards depuis bientôt deux heures ?
- C’était censé être un raccourci, répondit Florina, d’un air penaud. Maintenant que je suis engagée, je n’ai pas d’autres choix que de continuer.
 Elle lâcha un soupir à s’en fendre l’âme, et ajouta :
- J’ai dû louper une sortie…
- On est perdues ? Gémit Ariel, prête à se taper la tête contre la vitre.
- Je connais une autre route sinon, il nous suffit de continuer encore un peu et de prendre à droite au carrefour. Ou bien, est-ce à gauche…. ?
 Je vis l’éclair de malice brillait dans ses yeux lorsque ma mère lança la dernière remarque, et je décidai d’abréger les souffrances de ma sœur.
- Elle te fait marcher, Ari. Elle sait parfaitement où l’on se trouve.
- C’est vrai ce que dit Anaëlle, maman ?

- Peut être. Toutes les routes mènent à Rome, répondit-elle laconiquement.
 Ariel fulmina quelques instants, avant de se mettre à sourire à son tour. Malgré son caractère tempétueux, elle n’était pas du genre à bouder.
 Ma jumelle avait toujours eut horreur des trajets en voiture, c’est pour cette raison que nous avions choisi de passer nos vacances dans une petite bourgade pas très loin de chez nous plutôt que de partir dans un autre pays, ou département. Le nôtre avait déjà suffisamment à offrir pour nous occuper le temps d’une semaine. En outre, la chaleur modérée du début de juillet promettait un séjour paisible et agréable.
 
 Contrairement à ce qu’elle avait annoncé, ma mère ne roula pas plus de vingt minutes. Nous fûmes bientôt arrivées presque au village, et Florina repéra un petit relais routier, où nous décidâmes de nous arrêter pour déjeuner.
 Son architecture typique, avec son toit en ardoise et ses murs en colombages, lui donnaient un côté pittoresque et qui s’accordait parfaitement à l’esprit du village.  Je remarquai qu’il n’y avait pas l’air d’avoir beaucoup de monde. Juste un camion et deux voitures sur le parking, ainsi que quelques vélos posés négligemment sur le côté, et qui devaient appartenir aux touristes ou aux locaux.
 Nous entrâmes à l’intérieur, et fûmes placés à une table dans l’angle par un grand serveur brun au regard sombre. Ma sœur le fixa avec intérêt et tenta d’attirer son attention en faisant une réflexion désobligeante à voix haute sur la déco. Elle fut immédiatement rappelée à l’ordre par Florina et le type l’ignora froidement.
 Pour ma part, je trouvais la déco plutôt mignonne. Je n’étais pas fan du bois dominant et des vaisseliers massifs, mais les bouquets de fleurs sèches, les vieux outils paysans accrochés aux murs, et les tomettes, achevèrent de me convaincre.
  Nous savourions le plat du jour, quand ma sœur fut prise d’une migraine foudroyante. A sa mâchoire crispée et son teint blême, je compris qu’Ari ne jouait pas la comédie. Florina interpella immédiatement le serveur et demanda où se trouvait la pharmacie la plus proche. Hélas, il fallait faire une quinzaine de kilomètres avant d’en trouver une. Conciliant, le jeune homme proposa d’aller voir en cuisine si quelqu’un avait de l’aspirine.
  Lorsqu’il revint, ce fut pour annoncer une bonne nouvelle. Un des commis avait bien un tube dans son sac. Ma mère et ma sœur lui suivirent pour décrocher le Saint Graal. Ariel laissa sa pochette à côté de moi en lançant un « surveille-là » avant de s’enfuir, la main sur le front. 
 Au début, je ne m’inquiétais pas et patientais en écoutant les gens autour de moi. Mais au bout de trois quart d’heure, je dus admettre que je commençai à me demander où elles étaient passées.  
 J’eus soudain un mauvais pressentiment. Il n’y avait aucune raison de m’en faire, nous étions dans un resto bondé, et elles étaient juste parties chercher un cachet à quelques pas de là. Pourtant, les minutes s’écoulèrent, et mon trouble grandit.
 Mon instinct me criait que quelque chose n’allait pas.  Je fus parcourue par un frisson, alors qu’aucune fenêtre n’était ouverte. Une boule d’angoisse se forma au creux de mon estomac, et la peur monta en moi au rythme des battements erratiques de mon cœur.
 Tentant de rester calme et logique, je serais les poings sur mes genoux et fis de mon mieux pour ne pas laisser la panique l’emporter. Je n’avais aucune raison de m’en faire, m’admonestai-je. Mais je n’avais non plus jamais eu de telles crises d’angoisse auparavant…
 Un flash me parcourra l’esprit, ce fut comme un éclair blanc traversant mon cerveau. J’eus une vision, très brève mais très nette. Je vis les graviers blancs du parking rouler sous mes Converse, et mon corps chuter brutalement au sol. La douleur explosa dans mon crâne, me laissant tremblante et vacillante.
 Bon sang, mais que… ? Confuse, je clignai des paupières en reprenant mes esprits, et je remarquai que Florina revenait à notre table. Ma mère me sourit, puis fronça les sourcils en voyant ma mine perplexe.
- Désolée pour le retard, il y avait la queue aux toilettes.
- Comme toujours chez les filles. Mais avant vous êtes parties le chercher au Pérou, cet aspirine ? A moins qu’Ariel ne soit toujours aux toilettes ?
 Ma mère me lança un regard étrange.
- Ma puce, de quoi est-ce que tu parles ?
- Elle n’est pas allée avec toi aux toilettes ? précisai-je.
- Qui ça ?
 Je me raidis en sentant de nouveau un frisson me parcourir.
- Comment ça « qui ça » ? Tu sais très bien, ton autre fille, la plus ingrate et bruyante des deux, celle qui à l’instant souffrait d’une terrible migraine.
 Cette fois-ci, Florina me regarda carrément comme si j’étais folle.
 Je plissai les yeux en sentant une nouvelle vague d’images dans mon esprit. J’étais à terre, j’essayai de bouger la main et de pousser sur mes jambes pour me relever, mais je n’y parvenais pas. C’était comme si tous mes membres étaient paralysés. Je fus surprise un instant quand mon regard se posa sur la bague d’aigue-marine brillant à mon index. Ariel avait toujours refusé de me la prêter, alors pourquoi…
 Un pique de douleur me vrilla le crâne, comme une pointe chauffée à blanc. Le phénomène se dissipa aussi rapidement qu’il était survenu, me laissant une fois de plus étourdie. Je me concentrai sur les lèvres de ma mère, captant ses paroles en faisant fi de la douleur.
- Ma chérie, je ne sais pas ce que tu vas inventer, mais ce nouveau jeu n’est pas très drôle.
- Qu…quoi ? Je suis sérieuse, maman, où est Ariel ? Où est ma jumelle ?
 Interdite, je vis les couleurs déserter son visage de madone.
- Anaëlle…tu n’as pas de sœur, tu sais très bien qu’elle est mort-née, expliqua-t-elle calmement. L’aspirine, c’est toi qui viens de le prendre.
 L’espace d’un instant, je le crus qu’elle se fichait de moi. Je fus sure qu’elle plaisantait, qu’elle et Ariel s’étaient liguées pour me faire une blague. Que toute cette histoire n’avait été qu’une mise en scène… sauf que je  me souvins de l’expression de ma jumelle.
 Ari n’avait pas joué la comédie, pas plus que ma mère en cet instant. Florina me regardait comme si j’avais un sérieux problème psychologique. Ses yeux rieurs étaient devenus froids, remplis d’inquiétude pour moi.
 Le malaise que j’avais ressenti avant se décupla, explosant en moi comme un geyser. L’obscurité s’empara de mon champ de vision, et je me vis tomber avant de perdre connaissance.

 « Où suis-je ? La question se répercuta dans mon crâne mais resta sans réponse. Tout était sombre autour de moi, j’avais beau cligner des yeux, je ne voyais rien. Un voile obscurcissait ma vision, me laissant dans le noir le plus complet.
 J’étais sur une surface dure et rugueuse, et je ne pouvais pas à bouger. Mon corps ne répondait pas, bien que je sente la chaleur étouffante autour de moi. L’odeur de pourris qui emplissait mes narines me donnait envie de vomir. Je n’avais jamais senti une telle puanteur.
 La peur me tenaillait, et la bile me monta aux lèvres lorsqu’un rire sinistre résonna derrière moi.
- C’est elle ? demanda la voix hilare et triomphante.
- Oui.
Une réponse froide et lapidaire.  Ils étaient deux, mon dieu. Ou étais-je ?!
 Puis, des doigts s’insinuèrent sous mon débardeur, et je me mis à hurler le nom de ma sœur. »

- Anaëlle ! Anaëlle, réveille-toi !
 L’injonction de ma mère me fit reprendre connaissance. Je me redressai en sursaut, un cri muet sur les lèvres, et le cœur battant à cent à l’heure.
- Ana, est-ce que ça va ? demanda Florina, en me caressant les cheveux d’un geste maternel et apaisant.
- J’ai fait un cauchemar, répondis-je, l’esprit embrumé par la terreur ressentie. J’ai rêvé qu’il était arrivé quelque chose à ma sœur…
 Le silence pesant qui suivit me fit prendre conscience de mon environnement. J’étais par terre, et tous les clients me dévisageaient.
 Un serveur blond était penché derrière ma mère, l’air préoccupé.
- Que s’est-il passé ?
- Tu t’es évanouie, ma puce. Est-ce que tu as encore mal au crâne ?
- Non, je…
 Je m’interrompis, et fronçai les sourcils.
- C’est Ariel qui avait mal à la tête, pas moi.
- Oh non, elle recommence, soupira ma mère.
 Elle se retourna vers le serveur, tout en m’aidant à me redresser.
- Je crois qu’il faut appeler un médecin, elle divague.
- Pardon ? fis-je, bêtement.
- Chérie, tu n’as jamais eu de sœur, m’expliqua-t-elle, en me tapotant la tête comme si j’étais débile.
 Florina adressa ensuite un regard tranchant au garçon de salle.
- Je ne sais pas ce que vous lui avez donné, mais si ce n’était pas de l’aspirine, je vous jure que je vais…
 Les protestations du jeune homme et le reste de leur conversation se perdirent dans le brouhaha. Mon regard fut attiré par un détail sur la table : il n’y avait que deux couverts. Et comme si ça ne suffisait pas, je vis de la poudre blanche pétiller dans le fond de mon verre.  
 Incrédule, je fixai bêtement la table, et réalisai peu à peu ce qui se passait. Ma mère n’avait aucune idée de ce dont je parlais, il n’y avait que deux  couverts à notre table, et pas de trace de la pochette d’Ariel.
 C’était comme si elle n’avait jamais existée.

 Les heures qui suivirent furent pour moi un véritable cauchemar.
Lorsque le médecin demandé par ma mère arriva pour m’ausculter, il ne trouva rien d’anormal. Et surtout pas de fièvre. Il mit ma crise sous le coup du stress et de la fatigue, et m’ordonna de me reposer.
 D’autre part, le cachet étant ce qu’il paraissait et non une quelconque drogue hallucinogène, Florina dut s’excuser auprès du garçon…qui n’était pas celui qui nous avait servi. J’eus beau faire la remarque, personne ne me prêta attention.
 J’essayai de visualiser ce premier serveur dans mon esprit, mais à part l’uniforme rigoureusement identique, j’étais incapable de me souvenir de ses traits ou de la couleur de ses cheveux. En outre, Florina m’assurait que c’était bien le blondinet qui nous avait servi.
 Inutile de dire qu’elle refusa d’appeler la police pour la disparition d’Ariel. J’eus beau crier et protester, pour elle, je n’avais pas de sœur jumelle. Et les clients du relais lui donnèrent raison, confirmant tous au médecin n’avoir vu qu’une seule fille avec elle…moi.
 Face à mon insistance, elle me traîna jusqu’à à l’auberge de jeunesse et s’enferma dans l’une des chambres que nous avions louées. Me laissant  seule dans la mienne, alors que j’aurai du la partager avec ma moitié.
 J’eus beau me torturer l’esprit toute la nuit, je compris vite qu’il n’y avait pas trente-six solutions à mes problèmes. J’avais beau être quelqu’un de rationnel et pragmatique, comment expliquer que ma sœur disparaisse soudain de la mémoire de tous ?
 Soit, comme ils le pensaient, j’étais folle à lier et je m’étais inventée une sœur jumelle toute ma vie sans que personne ne s’en aperçoive avant aujourd’hui, ni ne remarque que je parlais dans le vide pendant tout ce temps. Soit il s’était produit quelque chose quand Ariel et ma mère avaient suivi ce type.
 « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela paraisse, doit être la vérité » disait Sherlock Holmes. J’ignorai quoi, mais il s’était forcément passé quelque chose d’improbable  pour expliquer cette disparition autant physique que psychique.
 Florina n’avait jamais voulu nous parler de notre père, et chacune de nous en avait tiré ses conclusions, et là, c’était comme si je perdais pour la seconde fois un être important. Sauf que cette fois, celui-ci avait grandi avec moi et partagé ma vie.
 Je ne pouvais pas laisser tomber comme ça, je devais en avoir le cœur net. Il me fallait déjouer la vigilance de ma mère et retourner au relais par mes propres moyens. A cœur vaillant, rien d’impossible, dit-on.
 Je m’aperçus pourtant que la tâche s’avérait plus ardue que je ne l’aurais cru. Ma mère m’intercepta dès mon premier essai, et je baragouinais une vague excuse du type « je cherchais les toilettes » qui ne trompa personne. Je dus attendre le cœur de la nuit, pour être sure que Florina dorme bien, avant de me glisser hors de ma chambre à pas de loup, et gagner la sortie de secours.
 L’arrière-cour de l’auberge donnait sur la route, et par chance le relais se trouvait à l’entrée du village. Je n’aurai pas à faire plus de 2km pour le rejoindre. Sur le qui-vive, redoutant à tout moment que ma mère se réveille et décide d’aller jeter un coup d’œil dans ma chambre, j’avançai rapidement vers mon objectif, éclairée par la lune et prenant soin de rester derrière les arbres pour éviter d’éventuels témoins.
 Lorsque le relais fut en vue, je fis le tour par derrière, essayant de ne pas faire de bruit au cas où les propriétaires dormiraient au-dessus.
 Une chose me taraudait l’esprit. Je ne m’expliquais pas ce qui s’était produit avant la disparition d’Ariel. C’était comme si j’avais eu des visions, des prémonitions. Mais était-ce réel ?
 J’eus ma réponse en scrutant attentivement les graviers au sol. C’était la cour du parking que j’avais vu dans ma vision, alors que le corps de ma sœur gisait au sol, incapable de bouger. J’avançai jusqu’à remarquer un petit point brillant à quelques mètres de là.
 Par terre, je me penchai pour ramasser un minuscule éclat d’aigue-marine, provenant de la bague de ma sœur. Florina nous avait offert la même pour notre anniversaire, sauf que j’avais hérité d’une pierre de jade, et que je préférai l’aigue-marine d’Ariel. Pour l’avoir fixé avec convoitise, je savais pertinemment que c’était la même pierre.
 C’était minuscule, mais cet éclat constituait la meilleure preuve que j’avais. Et il suffisait de voir les graviers éparpillés, comme pour former la marque d’un corps. Certes, ce détail était tiré par les cheveux et ne pourrait jamais faire office de preuve officielle, mais pour moi, qui avait senti la peur s’insinuer en Ari alors qu’elle était allongée là, cela ne faisait que confirmer mes doutes.
  Je compris que ce que j’avais vu, c’était ce qu’elle voyait alors. Ces visions n’étaient pas des prémonitions, mais le compte rendu en temps réel de ce qui lui arrivait. Pendant que j’étais assise bien sagement à ma table, ma sœur se faisait enlever. Car il n’y avait pas de doute la dessus, je me souvenais de l’ombre menaçante qui s’avançait à côté de sa main.
 Je ne m’expliquai pas non plus ce que j’avais « vu » après m’être évanouie. J’avais senti la terreur d’Ariel lorsque ce type l’avait touché, et rien que d’y penser, mon cœur se serrait douloureusement. Je ne voulais pas imaginer ce qui pouvait se passer en ce moment, alors que son existence même avait été annihilée de tous les esprits…sauf du mien.
 Je pris ma résolution. Coûte que coûte, je retrouverai ma sœur jumelle. Peu importe qu’ils me croient folle, je savais que je n’avais pas imaginé cette histoire. Je sentais qu’Ari était encore en vie quelque part, et qu’elle avait besoin de moi.
 On disait que les jumeaux ressentaient parfois les émotions de l’autre, même à des milliers de kilomètres. Il m’était arrivé de pressentir le chagrin ou la joie d’Ari, lorsque le sentiment était très fort. Mais je savais que de son côté, elle n’avait jamais rien ressenti venant de moi. C’était donc à moi de la retrouver, quoiqu’il m’en coûte.
- Vraiment ?
 Je sursautai, surprise par la voix grave devant moi. A aucun moment je n’avais noté la présence du jeune homme, qui se trouvait pourtant à peine à deux mètres de là.
 D’une beauté insolente, avec ses yeux d’azur, ses pommettes hautes bien dessinées et ses mèches d’un blond presque argenté, il avait tout de l’éphèbe qui aurait pu servir de modèle à Michel-Ange, Botticelli ou Raphaël. Il portait un col roulé gris et un jean qui moulait ses cuisses. Le sourire suave qu’il m’adressa me fit rougir.
- Qui êtes-vous ? lui demandai-je, tout en hésitant sur quoi faire.
 Fuir ou rester ?
- Oh, tu peux fuir. Mais dans ce cas, il y a peu de chances que tu la retrouve.
 J’hoquetai, surprise par sa déclaration. Et soudain, je compris.
- C’est vous qui avez enlevé ma sœur ? m’écriai-je, en laissant la colère triompher alors que je me jetais sur lui.
- Doucement, petite chatte sauvage, railla-t-il en esquivant le coup. Si c’était le cas, serai-je toujours là ?
 Une réponse pleine de sens. Je m’arrêtai brusquement, à quelques centimètres de lui, le bras toujours en l’air.
- Alors comment savez-vous…
- J’observe, c’est dans mon habitude. Et parfois je délivre les messages. Aujourd’hui, il s’adresse à toi : abandonne, cela vaut mieux.
- Comment le pourrais-je ? Vous laisseriez tomber votre propre sœur, vous ?! Et que savez-vous sur l’enlèvement d’Ariel ? Me repris-je aussitôt, d’une voix plus calme.
- Je n’ai pas de sœur. Ou j’en ai des milliers, c’est selon. Et je sais ni plus ni moins que ce que je dois savoir.
- Alors pourquoi êtes-vous là ?
- Pour te proposer mon aide, peut-être. Ou pas. Je n’ai pas pu intervenir avant, mais rien ne m’empêche de le faire maintenant. D’autant que l’affaire entre dans un cadre privé.
 Je ne comprenais rien à ce qu’il racontait, mais si ce type était ma seule chance, je n’allais pas la laisser filer.
- J’accepte votre aide, maintenant dites-moi ce qui s’est passé !
- Ta sœur a été enlevée par un démon, répondit-il simplement.
 Je marquai un temps d’arrêt, avant de comprendre qu’il était sérieux.
- Evidemment, fis-je, sarcastique.
- Cette histoire n’est-elle pas suffisamment abracadabrante ? N’as-tu pas la preuve qu’il s’est produit ici quelque chose d’étrange ? Le simple fait que personne ne se souvienne d’elle, ou du garçon de salle…
- Comment le savez-vous ? coupai-je.
-…est une preuve en soit, continua-t-il comme si de rien était. Mais si ça ne te suffit pas, ceci devrait faire l’affaire.
 J’entendis le tissu de son haut se déchirer, et soudain une ombre se dressa autour de nous. Bouche bée, je vis la forme de deux ailes se découper dans l’obscurité. Je clignai des paupières et compris que je ne rêvais pas. Il y avait bien deux ailes blanches, striées d’or, qui sortaient de son dos.
- Tu peux m’appeler Gabriel, dit-il, en m’offrant un sourire carnassier.


 

Liste des chapitres :

1) Anaëlle, sa mère et sa sœur déjeunent dans un relais. Cette dernière souffre d’un mal de crâne et part chercher avec sa mère un cachet proposé par le serveur.  Lorsque la mère revient seule et qu’Ana l’interroge, elle affirme n’avoir jamais eu qu’une seule fille.  Ana comprend que les visions qu’elle a eu plus tôt sur Ariel étaient réelles. Sa jumelle a été enlevée, et plus personne ne se souvient d’elle.

2) Ana est confronté à l’Archange Gabriel, et d’après lui, c’est un démon qui a enlevé Ari.  En tant que première née, sa sœur a été promise par leur père à un ange, bien avant sa naissance.  Ana refuse de le croire et s’enfuit.

3) Malgré les réticences de sa mère, Ana tente de prévenir la police de la disparition d’Ariel. Elle reçoit toujours des visions de sa sœur, qui est torturée par Ramiel, l’ange déchu devenu démon.
 On refuse de la croire et sa mère se résigne à la faire interner dans une clinique.

4) Par ses visions, Ana apprend qu’Ariel n’est pas la seule qui a été promise à un ange. En réalité, les deux jumelles l’ont été. Et Anaëlle serait la compagne de Gabriel…ce qu’il s’est bien gardé de lui dire.
 Une nuit, alors qu’elle tente de s’échapper, elle reçoit la visite de Ramiel, qui semble complètement fou. L’ange déchu laisse tomber une plume en partant, preuve qu’elle ne rêvait pas et que Gabriel disait vrai.

5) Résignée, la jeune fille fait appel à lui pour sortir de l’asile. Accompagné de l’Archange, elle découvre que l’autoroute A666 est en réalité une porte vers l’Enfer et qu’elle va devoir y pénétrer pour sauver sa sœur.

6) Confrontée au démon Asmodée, qui a aidé Ramiel à enlever sa sœur, Anaëlle est sauvée de justesse par Gabriel, et commence à nourrir des sentiments envers lui. Ils parviennent  à retrouver la trace de Ramiel, et découvre son antre.

7) A l’intérieur, un coup de théâtre les attend. An découvre qu’Ariel est libre et traitée comme une reine. En outre, Anaëlle n’a en réalité pas été promise à Gabriel, mais à Ramiel. Ce dernier, lui préférant sa sœur plus fougueuse, aurait kidnappé cette dernière à la place.

8) L’esprit fou, Ramiel ne parvient plus à les distinguer l’une de l’autre et passe de l’amour à la haine en quelques instants. Il menace de tuer sa sœur, si Ana refuse d’effectuer le rituel d’union qu’il lui impose.
 En échange de son âme lié à la sienne pour l’éternité, il promet de relâcher Ariel.
 Anaëlle accepte et remarque que l’archange Gabriel ne fait rien pour l’aider.

9) Ce dernier a en effet prévu un plan pour récupérer sa compagne. Au moment même où Ana abandonnera son âme, Gabriel pourra briser le cercle qui les enferme et s’enfuir avec Ariel. Depuis le départ, il ne s’est servi d’Anaëlle que comme d’un leurre, pour tromper et distraire Ramiel.

10) Avant la fin du rituel, Asmodée intervient et détruit Ramiel. Il propose un marché à Anaëlle, en échange de la vie de sa sœur. Magnanime, elle accepte et regarde partir Gabriel avec sa sœur.
 Elle passera désormais tous les ans, la moitié de l’année en enfer avec le démon.

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