Plus qu'une visite

laurentcz

rencontre lors d'une visite d'un appartement; l'homme va finalement trouver bien plus que ce qu'il souhaitait.

"Non, désolé mais ce n'est vraiment pas ce que je recherche. Merci quand même". J'avais décidé de rester diplomate face à l'agent immobilier bedonnant mais ça me démangeait vraiment de le traiter de crétin. De guerre lasse, il avait soupiré façon phoque.Lui et ses collègues féminines, aussi aimables que les grandes portes à battants de la prison Saint-Michel m'avaient entraîné toute la semaine, sous une pluie torrentielle, à la recherche de ma future demeure ; j'avais un budget conséquent et un cahier des charges peu exigeant mais précis et cette équipe de professionnels avait été systématiquement à côté de la plaque. Comment rester calme quand on vous pré-vend un appartement avec vue imprenable empestant la moisissure où qu'on propose à un partisan de la marche à pied, célibataire endurci, une villa de douze pièces, au réseau électrique datant visiblement d'avant-guerre et "juste" à cinquante minutes en voiture de toute civilisation ? Je décidais de rester optimiste malgré tout, jetant un coup d'oeil sur ma Planet Ocean ; j'avais une autre visite à 17 heure et mon chauffeur occasionnel allait à coup sûr battre des records de vitesse pour me débarquer.

Nous étions arrivés en retard tous les deux et notre signe de reconnaissance avait été nos deux cellulaires dégainés au même moment dans le hall de l'immeuble. "Mademoiselle Cindy R, enchantée."La poignée de main était fraîche et ferme malgré des doigts délicats et le sourire était lissé façon commercial aguerri. J'appréciais. Tout comme son élégance étudiée et son maquillage discret. Je dois avouer que, en homme qui se respecte, j'ai failli me noyer dans ces yeux verts. 

 "C'est par ici, au deuxième étage". "Bien évidemment, l'immeuble date de 2015 donc on est bien dans la parfaite habitation dite passive ; c'est un critère de choix, vous en convenez n'est-ce pas ?". Je ne voulais pas avouer mon ignorance, je voyais mal une habitation être active de toute façon. "Vous pouvez constater que tout le corps de bâtiment est en bloc coffrant isolant, c'est assez inhabituel pour des appartements mais l'architecte Rolland est un excellent avant-gardiste". Le peu que je comprenais, c'est que l'énumération de ces termes barbares était censée me convaincre .Ce que je retenais, surtout, c'était que j'allais visiter une construction quasi-neuve ; n'étant pas bricoleur pour deux sous, il était important que j'ai un bien clé en main.

"Je vous en prie, après vous". Elle et son tailleur beige s'effaçaient avec grâce, me laissant découvrir un lieu insoupçonné. L'immeuble, à vrai dire, m'avait paru peut-être trop moderne, trop propre, trop récent mais, une fois passé la porte gris métal, apparemment blindée, je rentrais dans un monde à part. Un salon magnifiquement ouvert peint en un doux orange laissait entrevoir une magnifique baie vitrée ; malgré la pluie de plus en plus intense et toujours tenace, j'avais l'impression d'avoir rendez-vous avec un soleil de printemps. « Que pensez-vous de la peinture ? Excellent choix, non ? Je crois savoir qu'ils ont appliqués un savant mélange de teintes glycérophtaliques, aisément lessivables. Très pratique pour des parties improvisées. » Je décidais de ne pas rétorquer, elle était, vu sa petite trentaine de jolie commerciale dynamique, coutumière de ce genre d'événements; moi, après ma rupture avec Gabriella , je fuyais comme un dératé ce genre d' invitation. Je voulais vivre en ours mais dans une « caverne » confortable. La cuisine, entièrement équipée, était dite sur la brochure « intelligente » comme d'ailleurs l'appartement tout entier. « Regardez !!!Tout se pilote avec ce petit bidule, vous pouvez régler les éclairages, les volets roulants, le chauffage et le système d'alarme ». Elle avait l'air de beaucoup s'amuser à m'exhiber la télécommande rectangle entièrement tactile. Je me prêtais au jeu. « Il y a une fonction aspirateur ou ménage de printemps sur votre jouet ? ». J'avais décidé de sortir un humour à deux balles, sûr qu'elle allait minauder. Étonnamment , elle éclata de rire. Dans la pièce crème, de plus de seize mètres carrés quand même, l'écho était délicieux.  Le reste de la visite fût pour moi un véritable enchantement, ma guide était devenue aussi un bon public; naturellement, la visite des deux chambres et du bureau passèrent comme un songe.

Evidemment que j'ai emménagé, il ne m'avait fallu attendre qu'un petit mois pour que les démarches aboutissent, le temps nécessaire aussi pour que Cindy accepte de partager ma  vie.

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