Point sur les i
nyckie-alause
Grain de sel,
Aujourd'hui, justement aujourd'hui, j'aurais voulu écrire sur le bannissement, quand, mais ça se produit presque toujours, un grain de sel s'est glissé dans les rouages de ma pensée.
— Du sel me diras-tu, quelle drôle d'histoire !
Histoire, tu as trouvé le mot juste. Pour l'instant. Elle ne sera pas aussi salée que je l'aurais voulue mais laissons-la aller à sa guise avant de la jeter dehors, loin, au ban des histoires vécues qui ne mènent à rien ou à l'avenir.
La première de mes pensées matinales a germé sur ce lit dur comme un banc de ma déconfiture. Je me suis levé tôt, j'ai mangé quelque peu, un bout de pain avec un œuf. Quand j'ai voulu faire le café, la machine est tombée en panne. La boîte de thé désertée de ses dernières feuilles, la cuisine sombre et désespérante m'ont poussé dans la rue pour trouver un peu de chaleur, d'humanité. L'appartement lui-même voulait se débarrasser de moi.
C'est dans l'ascenseur que le mot bannissement a germé.
J'ai acheté un café à emporter, un long pour faire du chemin et me voilà parti jusqu'au boulevard.
Je me dois de préciser que très souvent j'écris. Mais cela se passe d'une manière étrange. Les mots arrivent en vrac. Imagine des lettres de scrabble qui s'entrechoquent dans le noir de leur petit sac.
Les mots tombent et s'arrangent. Quelquefois un personnage émerge aussi et s'accroche pour exister. Les verbes se battent et se conjuguent jusqu'à occuper une place que les perdants ne pourront plus atteindre. Ils devront se contenter de places subalternes, dans le meilleur des cas, ou ils disparaitront, emportant avec eux des idées qui pourtant n'étaient pas si sottes. Si j'avais pris leur défense, ils auraient trouvé une fonction acceptable, un peu en retrait, dans la banlieue de mon esprit, dans une poche de derrière où le papier plié en huit prend une forme de coupe sans prendre un pli.
Tu me vois, tu imagines que je déambule comme si la vie me souriait depuis mon réveil. Je tiens devant moi la tasse de papier et de la fente de son petit couvercle s'échappe des jets de vapeur odorante. Je cherche, je cherche un banc. Un qui va m'accueillir sans arrière pensée. Un banc pas trop crasseux, un banc pas occupé, un banc orphelin du carton peinture fraîche, un banc délaissé et enviable, sous un arbre sans étourneau, pas trop proche du feu rouge et du passage clouté.
— Clouté ! mais ça ne se dit plus un passage clouté ! Les clous même ont disparu avec les stigmates urbains et les suies de charbon. Et pourquoi tu ne me parlerais pas de pavés, et d'hirondelles… Toutes ces détails de la ville et de nos enfances ont disparu comme un regret. Tu en étais où ? Le café, ta recherche de banc, ta marche précautionneuse pour ne pas être éclaboussé.…
J'y reviens, un peu de patience. D'ailleurs j'en aperçois un qui affiche toutes les qualités requises. Je ne veux pas me précipiter, je l'observe et je crois qu'il agit de même à mon égard. Je ne peux m'empêcher d'un petit geste de la main comme une caresse qui fait voler la poussière, je m'installe.
J'étends un peu les jambes et je repense qu'il faudra bien que je me décide à en partir de cette ville — comme le préconise ma cuisine, mon lit dur, ma connexion fluctuante avec le monde — que j'opte pour un bannissement volontaire. Les lettres, les mots, les phrases se carambolent, une majuscule dénaturée fait son apparition, je m'agite, je la corrige, elle rejoue la scène en se glissant au creux des mots les plus longs, sans s'adjoindre de point… c'est pourtant un « i ».
Et de mon bannissement imminent, une fois tous ces ‘I‘ supprimés ne reste qu'un embrouillamini de petits ponts rendus illisible. Je me tortille, je gigote, je trépigne, je m'agite, quand…
Tu dois bien convenir que supprimer le ‘I' est une chose idiote, que son absence rend le texte incohérent, incompréhensible, inepte et surtout intranscriptible. Si tu ne piges pas je peux tenter de supprimer le correcteur qui s'époumone à rajouter ce qui nous manque…
Tout se passe, mais mal.
Quand, je reprends, quand une femme — dois-je préciser belle ?, non cela va de soi —, un café dans la main qu'elle porte comme un graal fumant dit « Puis-je m'asseoir ? » et s'installe sans attendre de réponse à côté de moi « l'écriveur sans papier » confronté au problème du ‘I' majuscule qui se glisse dans ses phrases sans retenu. Elle me sourit, à moi, mal fagoté, mal attifé, mal disposé.
« Bonjour ! Iris… »
Submergé ! je suis submergé par ces deux I supplémentaires !
Mon café refroidi, j'oublie l'objet même de ma démarche matinale, je vais rentrer chez moi sans n'avoir rien « presque écrit ».
— Mais c'est quoi la morale de ton histoire ? Ou la chute ?
— Tu n'as rien compris je vais être forcé de reprendre au début mais je vais faire court. Un résumé, une énumération poétique qui va te guider.
Petit 1) Je n'avais plus de café ni de joie de vivre à la maison.
Petit 2) Je suis sorti dans la rue, dans la ville que je voudrais quitter
Petit 3) Je ne sais pas si auto-bannissement existe, mais j'ai pensé « ça suffit »
Et zut, je laisse tomber les petits 1,2,3…
Depuis un moment l'écriture, ça fonctionne pas tellement…
Sur mon banc Iris m'a rencontré et j'ai rencontré Iris.
C'est elle le grain de sel qui donne du piment à ma vie et qui me fait tressauter les rouages. En rentrant j'ai moi, j'ai ouvert les volets et j'ai dessiné sur le tableau noir du bureau une multitudes de points d'exclamation. Tu conviendras que c'est mieux que de simples ‘I' majuscules.
Quel humour et quelle agilité à jouer avec les mots ! Ils t'obéissent au doigt et à l'oeil. L'histoire est originale, poétique, j'aime beaucoup !
· Il y a environ 5 ans ·Sy Lou
J'aime vous faire sourire, toutes et tous (vivement que tous soit reconnu comme 'neutre', c'est un clin d'œil sur une discussion que je viens d'avoir avec un ami qui dit "Nyckie est écrivaine" et moi, je revendique férocement le titre d'écrivain)
· Il y a environ 5 ans ·nyckie-alause
:)
· Il y a environ 5 ans ·Sy Lou
Nickie plutôt, ah, l'écriture automatique :)
· Il y a environ 5 ans ·marielesmots
Jolies réflexions Nicole, de la profondeur et de l'humour ? J'adore te lire...
· Il y a environ 5 ans ·marielesmots
Merci de ta fidélité et aussi de tes commentaires bienveillants
· Il y a environ 5 ans ·nyckie-alause