Porter Plainte est un délit

Hervé Lénervé

La bureaucratie policière est kafkaïenne.

-         Bonjour monsieur le brigadier…

-         Je suis sergent !

-         Pardon, je voudrais porter plainte !

-         C'est votre droit ! Mais c'est pas là ! Bureau 203-B pour les plaintes.

-         Merci ! monsieur Sergent !

Bureau 203-B. 203 minutes d'attente, plus tard.

-         Bonjour monsieur le capitaine, je voudrais porter plainte.

-         Je ne suis que lieutenant !

-         C'est mieux que rien ! Mais je voudrais porter plainte, quand même.

-         Oui ! Je vous écoute. Vous portez plainte contre X ?

-         Non ! Je porte plainte contre H !

-         Pardon ?

-         H comme Hervé. Je voudrais porter plainte contre moi !

-         C'est interdit !

-         Comment cela ! Et pour quelle raison, je vous le demande ?

-         Vous avez le droit de demander, moi, j'ai le droit de ne pas vous le dire !

-         C'est un dialogue de sourd !

-         Attention ! Il y a outrage de me traiter de sourd et de mal-embouché. C'est un délit répréhensible par la loi que je représente ici par ma seule présence galonnée.

-         Aie ! je ne voudrais pas me retrouver en prison !

-         Ça vous pend au nez, triste blase, j'ai fait enfermer des petits Cyrano pour moins que cela.

Entre temps… entre dans le bureau… une fliquette en civil arme de service bien en apparence sur son gros fessier, pour signifier qu'on le la lui faisait plus depuis qu'elle était ferraillée et qu'il serait malvenu de tenter l'idée de l'esquisse d'un geste inconvenant sur son gros cul. Elle ne se présente pas et s'adresse directement à moi comme si j'étais le dernier, des derniers des délinquants.

-         Nom, prénom, profession !

-         Lénervé, Hervé, sans.

-         Vous n'avez pas de profession à votre âge, c'est louche !

-         C'est interdit ?

-         Pas explicitement, mais c'est suspect !

-         Mettez que je suis écrivain.

-         Oui ! Vous avez raison, je vais mettre sans, ça fait plus sérieux. Alors nous vous écoutons.

-         Voilà, je voudrais porter plainte contre moi-même, j'en ai le droit ?

-         Sais pas ! Je vais chercher mon supérieur.

Et elle quitte le bureau en trémoussant son postérieur, comme le ferait une gazelle stéatopyge, vexée par l'indifférence des prédateurs en sieste. Quinze minutes plus tard, elle revient avec certainement un officier supérieur, car le flic qui s'était assoupi, en attendant avec moi qui m'était assoupi en attendant avec lui que le temps s'égrène, se redresse comme un ressort maléfique.

-         A vos ordres, mon commandant !

-         Commandant Richeôas, que voulez-vous exactement, Monsieur, faire perdre leur temps aux agents de la force publique, de la Sécurité Nationale, de l'ordre et du respect de la Patrie ?

-         Mais pas du tout monsieur le commissaire…

-         Commandant !

-         Monsieur Commandant, Commissaire, Citoyen, je viens déposer une plainte, c'est tout, ce n'est pas compliqué, des tas de personnes le font tous les jours, sans que cela ne prête à conséquence et ne serve à quelque chose, pareillement. Pourquoi ne pourrais-je pas en faire autant ?

-         C'est vrai, mais ils portent plainte contre une personne autre que la leur et quand ils n'ont pas d'idée très sûr, sur l'identité de l'agresseur, ils portent plainte contre le Monde entier, Ca, c'est normal ! Ça c'est bien ! Vous, c'est pas bien ! Comprit !

-         Ok ! Alors comme j'ai un autre nom, le vrai, je vais porter plainte, moi, monsieur Hervé Lénervé contre monsieur Hervé ???

-         Il me faut le nom entier.

-         C'est ma vie privée et je vous demanderais de la respecter.

-         Sans nom, pas de plainte, sans plainte, pas de plaignant, pas d'accusé présumé coupable, pas de procédure. Allez, vous pouvez circuler !

-         Je ne vais pas en prison, alors ?

-         Pas aujourd'hui, elles sont pleines.

-         C'est bien ma chance ! Pour une fois que je pouvais profiter des largesses de l'Etat.

-         Repassez un autre jour, il y aura peut-être une place de libérée.

-         Vous pouvez me mettre en liste d'attente.

-         Pas de problème, c'est fait ! vous êtes le 104ème.

-         Merde ! Je ne suis pas passé.

-         Hé, non ! Affaire suivante ! Exécution ! Allez, allez, du rythme ! Circulez, y'a rien à boire !

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