Porter un cadavre

comeisso

Episode 1

"Enfin!" François referma pour la dernière fois le coffre de la voiture, s'assurant qu'ils n'avaient rien oublié.

Eté 2009. 20 août. Chaleur écrasante depuis près d'une semaine. Des orages étaient annoncés. Enfin! Comme ces vacances tant attendues, tant méritées. Maintenant trois semaines que la famille Guénodé comptait les jours qui la séparaient du grand départ. Presque cinq années que la famille n'était pas partie en vacances. Travail prenant, chômage, manque de moyens, impossible sérénité.

Depuis bientôt cinq ans, Alice et François tentaient de remonter la pente. A presque 30 ans, Alice n'avait rien vécu et à la fois tout supporté. Elle avait usé les bancs de la Faculté pour tenter de devenir avocate, mais avait échoué au concours d'entrée au Barreau. Elle avait renoncé à son projet, s'était retrouvée assistante juridique. Après deux ans de travail acharné, pour un salaire de misère, les avocats qu'elle aurait aimés seconder l'avait remerciée. Des heures acharnées à répondre à leurs moindres exigences, dans des délais toujours plus improbables, sur un ton mêlé de sarcasme et d'arrogance. Elle avait donné, oubliant de prendre soin d'elle, laissant de côté ses activités sportives et artistiques, ramenant toujours un peu plus de travail à la maison. Elle avait délaissé son mari, l'avait assailli en lui assénant des critiques toujours plus cinglantes sur son métier et ses bourreaux, mais sans parvenir à se détacher de leur emprise. Elle s'était laissée aller chaque jour davantage. Un matin, dont elle ne souvenait plus la date, ses jambes ne la portèrent plus, sa bouche refusa de laisser sortir le moindre mot et sa tension chuta à 9. Alice fut admise aux urgences. "Burn out'" fut le diagnostic du psychiatre. La dépression la gagna jusqu'à avoir raison d'elle. Elle prit du retard dans les dossiers, oublia des informations, de passer des coups de fil. Petit à petit, son état se dégrada jusqu'à ce que ses employeurs lui ordonnent de partir. Il lui fallu une année pour se reprendre et entreprendre de réaliser son rêve : devenir kinésithérapeute. 

Aujourd'hui, elle sortait de l'école, le diplôme convoité obtenu et une installation réussie en libérale. La blancheur pourtant naturelle de sa peau, accentuée par sa chevelure brune, donnait le sentiment qu’Alice avait puisé en elle la moindre source d'énergie pour réussir. Elle paraissait affaiblie, malade. C’en était ainsi depuis toujours. Ses parents, les professeurs dès la primaire, et chaque inconnu ayant croisé son chemin, l’avaient ainsi toujours jugée. Fragile, faible. Malgré sa lutte, aujourd'hui, comme toujours, elle se sentait forte et ragaillardie.

Cette année, le couple Guénodé avait décidé de s'offrir un vrai plaisir en famille : le village Conga, près de Besançon. Ce village de vacances, spécialisé dans la détente, avait été créé de toutes pièces, pour venir passer quelques jours à quelques semaines. Il représentait un véritable paradis sur terre pour les enfants : piscines, toboggans, rivières tumultueuses, activités en tout genre. Le site Internet avait fini de convaincre Alice et François. Une petite maison parmi un ensemble dans un parc de 10 000 hectares. Il leur était promis une prise en charge et un service des plus remarquables. Alice et François avaient souhaité ne rien se refuser : un "Cottage" avec un hammam, une salle de bains avec un jacuzzi, une terrasse avec vue sur le lac. Alice et François offriraient des activités nouvelles aux enfants : tir à l'arc, Paintball, accro-branche, circuit VTT, ateliers de cuisine... A leur arrivée, ils savaient que tout serait prévu : de la récupération des clés dans un temps record, jusqu'aux  petites attentions à leur égard dans le cottage (lits préparés, fleurs, bouteille de champagne dans le frigo, sets de Thalasso). Tout était pensé pour se laisser aller, ne se soucier de rien, et vivre des vacances pleines de rires et de farniente. Un séjour qui leur avait coûté les yeux de la tête, mais qui semblait indispensable à Alice et François.

- Allez, au lit! Demain, départ de très bonne heure informa François

- Heu… On peut savoir à quelle heure? demanda Guillaume, 15 ans.

- Réveil prévu à 6h.

- Ah oui, quand même!

- Vous êtes surs d'avoir bien préparé toutes vos affaires? Questionna Alice auprès de Guillaume et Jeanne.

- Ouais t'inquiètes, répondirent-ils en cœur

Guillaume et Jeanne, les enfants de François, étaient nés d'un premier mariage. Ils s'entendaient particulièrement bien avec Alice, qui faisait partie de leur vie depuis maintenant 10 ans. Ils étaient très jeunes lorsque François et leur mère avaient décidé de divorcer et que François avait été séduit par Alice. Leur union avait commencé en 1998, au départ, dans le pêché. Alice avait tout juste 19 ans lorsqu'elle avait rencontré François, de 15 ans son aîné. Le lien s'était très vite établi, la connivence vite installée. Elle n'avait pas été attirée par son physique, ni son humour qu'elle estimait plutôt lourd. C'était autre chose. Une sensation. Comme si elle l'avait toujours connu, comme une évidence. Un an après son divorce, François avait demandé Alice en mariage. Ils s'étaient unis devant Monsieur le Maire en 2000 et depuis, ils ne se quittaient plus. Au fil du temps, Alice avait appris à regarder François. Brun aux yeux noisettes, une barbe de trois jours, un corps de rugbyman qu'il avait été, le rendait sexy à ses yeux. Et elle avait apprivoisé son humour, elle parvenait à en sourire, se surprenant même parfois, à rire aux éclats.

Alice était telle une grande sœur pour les enfants. Ils lui posaient les questions qu'ils n'osaient aborder avec leurs parents. La mort, les amis, l'amour, la cigarette, la drogue, le respect, les rêves …. Autant de sujets dont elle discutait avec simplicité, tentant de leur répondre le plus loyalement possible, avant tout dans l'écoute et le respect de leurs interrogations et positionnements. Elle faisait un point d'honneur à ne pas se comporter avec eux comme une mère, même si quelques fois "il y a quand même une éducation à faire", aimait-elle rappeler.  

Il était 7h lorsque la famille monta dans la voiture ce 21 août. François se mit au volant. Comme toujours. Malade, fatigué, qu'importe, c'était à lui que revenait le privilège de la conduite. Comme à l'accoutumée, il avait repris la carte de France maintes et maintes fois pour s'assurer de la meilleure route à emprunter pour rejoindre rapidement et à moindre coût leur destination. Alice avait essayé, comme avant chaque départ, de donner son avis, conseiller François. Et comme il en était l'usage, il n'avait pas écouté, ou seulement d'une oreille. Il glanait les informations, les retenait, les répétait, hermétique à toute intrusion dans sa volonté de décision et de maîtrise.

L'autoroute 666 avait été choisie. Directe entre leur domicile et le Village Conga. Nouvelle autoroute tant attendue par Alice. Elle vociférait à tout va que la France n'aspirait qu'à une chose : relier la Capitale à la Méditerranée et aux Alpes, au prix d'innombrables dépenses toujours plus faramineuses pour des parisiens friqués et dans des demandes incommensurables, destructrices d'un paysage riche et se fichant royalement des populations expropriées. "Rien n'et jamais pensé pour rapprocher l'Ouest et l'Est". Son vœu avait été exhaussé : une autoroute traversant la France à l'horizontale. Depuis deux ans, l'autoroute 666 était empruntée par des milliers de véhicules. Un pari : une réussite. "Une victoire" pour Alice.

A peine la porte du péage fut-elle empruntée qu'Alice raconta :

- Vous savez ce que l'on dit sur cette autoroute les enfants?

- Nan? demanda Guillaume, très intéressé.

- On dit qu'elle conduit en enfer.

- Ah ouais? Renchérit Guillaume, toujours sur le même ton.

- Il y a beaucoup de légendes autour de celle-ci. Déjà pour sa construction…

- Ah ouais, du genre?

Effectivement, plusieurs histoires avaient sillonné les voies du net depuis la mise en place du projet, en 2000. 2000, l'année fatidique, l'année du bug informatique, l'année où le monde aurait du changer, comme catapulté dans une autre dimension apocalyptique. Ce fut vrai pour l'A666.

- La construction de l’autoroute a commencé en 2005. Des hommes sur le chantier ont disparu, ce qui selon moi est davantage du à du travail dissimulé, clandestin, qu'à une quelconque malédiction. Du retard, des plans perdus, des animaux sauvages échappés d'un zoo à proximité de l'autoroute… Certains racontent qu'un puma s'est sauvé et qu'il rode toujours sur les aires qui jalonnent les 700km de voies.

- Comment aurait-il pu survivre? Demanda Jeanne.

- C'est justement là que l'histoire ne tient pas la route. Depuis tout ce temps, comment aurait-il pu se nourrir? Boire? La légende est toujours là, malgré tout.

Elle est sans doute nécessaire, pensa-t-elle.

- L'autoroute a des forêts à côté, comme chez nous. Et le puma, il a pu se nourrir des bêtes qu'il y a dedans, insista Guillaume.

- Mouais, je ne sais pas. Un animal qui a toujours vécu en captivité, qui…

- C'est quoi en capitivité?

- En captivité. C'est à dire dans un zoo, pas dans la nature. Il n'a connu que ça. Il n'a donc jamais vraiment appris à chasser, se débrouiller tout seul. Peu de chance selon moi qu'il ait survécu.

- Hum, hum, abdiqua Guillaume. 

10h. L'heure de la pause café pour les adultes, et du coca pour les jeunes arriva. A 10h30, la famille fut de nouveau dans la voiture, pour une autre discussion. Les enfants ne connaissaient pas la destination de leur voyage. Cette surprise avait été pensée par Alice. Elle prenait le plus grand soin à organiser des moments à ceux qu'elle aimait. Et elle le faisait bien, en quête de connaître ses proches, cherchant le meilleur moyen de leur faire plaisir. Chacun autour d'elle appréciait ses présents. Qu'il s'agisse d'objets ou de déplacements, de soirée ou de déjeuner-barbeccue, de noël ou d'anniversaires. Quelque soit l'occasion, quelque soit le choix de la surprise. Elle aimait donner, elle savait donner.

Ainsi, les échanges reprirent sur le but ultime de ces 8h de route. Guillaume et Jeanne  cherchèrent, interrogèrent : est-ce qu'il y a la mer (pas vraiment), une piscine alors (plus d'une), est-ce que c'est un camping (est-ce que t'as vu des tentes dans la voiture?), on va dormir dans un bungalow (un peu mieux que ça), est-ce qu'on connaît (oui, on en a parlé ensemble il y a quelques temps)… Puis d'un coup, ça fit tilt. Les cris de joie laissèrent la place à la discussion. L'excitation monta davantage, d'un cran, puis d'un autre. Pour tous. Des plans s'élaborèrent : à telle heure on fera ça; quand on arrive, on va s'inscrire à ça et aussi à ça mais pourquoi pas à ça? Trop jeune, ah oui, mince.

- Tiens, on va s'arrêter à la prochaine aire pour déjeuner

- On mange au restaurant? Demanda Jeanne

- Oui.

- Yes!

L'aire était déjà bien pleine. Beaucoup de vacanciers étaient sur la route. Et bon nombre de personnes avaient eu la même idée que le couple Guénodé : lire les différents guides et regarder sur Internet pour s'assurer d'un routier au rapport qualité-prix irréprochable. "La Halte" était recommandée par Le Michelin, le Routard ainsi que certains forums.

Le repas fut complice entre les convives. Parfois, certains moments furent emplis de silence, chacun semblant rêver au séjour qui les attendait.

- T'as vu où sont les toilettes? Demanda Alice

- Au fond de la salle à gauche, répondit François.

Alice se leva et commença à se diriger vers les toilettes lorsque son téléphone sonna. "Ah, je m'étais jurée de ne pas l'emmener. Pourquoi faire, un portable en vacances? Déjà que je déteste ces engins." Elle lu le nom qui s'affichait : "Marie". Sa meilleure amie. "Elle sait pourtant que nous sommes en vacances…" Peut-être avait-t-elle oublié, comme cela lui arrivait souvent. Elle écoutait, discutait, puis venait le moment où les informations engrangées repartaient. Dans un ailleurs dont elle seule avait la clé. Mais elle n'aimait pas y retourner. Ainsi, elle oubliait. Car elle avait besoin d'un service, d'une réponse à une question, sans que cela ne puisse attendre. Ou peut-être qu'elle n'imprimait pas, car ces informations lui importaient peu. Le primordial pour elle était sans doute la personnalité de l'autre, et être présente, dans l'instant. Ni dans un avant, ni dans un après; juste là au moment présent.

Alice ne répondit pas et mis son portable en mode vibreur. Je la rappellerai plus tard, pensa-t-elle.

Alors qu'elle était assise sur les toilettes, Alice sentit son portable vibrer. Un sms. De nouveau Marie. Cela devait être important pour qu'elle persévère. Alice ouvrit le message, "Porter un cadavre" s'afficha. Alice se mit à sourire.

- Où est Alice? Ça fait un moment non qu'elle est partie aux toilettes? s'inquiéta François.

- Je sais pas, j'ai pas fait gaffe, répondit Guillaume, nonchalamment.

- Je crois qu'elle y est encore, tenta Jeanne.

Mais lorsque François poussa la porte des toilettes des femmes, appela "Alice?" d'un ton prudent pour n’effrayer personne, nul ne répondit. Il regarda à côté de la voiture, interrogea les serveurs. D'aucun ne pouvait dire s'ils l'avaient vu passer, sortir ou entrer. Elle n'était pas devant la porte du routier, pas à côté de la voiture, pas aux toilettes. Où pouvait-elle être? François tenta de la joindre sur son portable, à plusieurs reprises. A chaque appel, il tombait sur sa messagerie.

Les recherches avaient ainsi commencé. Les interrogations. Les hypothèses également. L'histoire de la famille Guénodé avait ainsi basculé, par un début d'après-midi d'août 2009. Un matin ordinaire et spécial à la fois. Un matin familial, rempli d'espoirs. Un début de route plaisant, amusant, léger, finissant par une explosion de joie. Puis un déjeuner. Sympathique. Un simple aller aux toilettes et tout ce si beau début de journée de vacances prometteuses était parti en fumée. Il s'était évaporé, laissant une impression de dégoût, d'incertitude et de désespoir.

François tourna sur lui-même, sa tête bifurqua de tous côtés, trop rapidement, ne laissant pas la possibilité à ses yeux de distinguer les visages entraperçus. Guillaume s'était assis par terre, persuadé qu'Alice allait revenir. Contrairement à ce qu'il voulait laisser paraître, il savait se montrer particulièrement patient. Jeanne regarda son père en lui tenant la main. Elle le sentit perdu, terrifié et se mit à pleurer. Du haut de ses 11 ans, Jeanne avait toujours fonctionné en miroir et semblait vivre dans une insécurité totale. Le moindre changement dans les habitudes routinières la désarçonnait et des questions sortaient en boucle de sa bouche : à quelle heure tu viens me chercher? Je viens de te le dire, à 16h30. Qui s'est qui vient me chercher? Moi. Et à quelle heure déjà? Et ainsi de suite. A cet instant précis, Jeanne fut prise d'une angoisse paternelle, qui l'habita profondément, sans qu'elle n'y puisse rien. Aucune idée ne lui traversa l'esprit, juste cette envie irrésistible de pleurer, comme détentrice de l'inquiétude de son père qui ne pouvait l'exprimer.  

Les recherches, les interrogations et les hypothèses commencèrent à s'insinuer dans chacun des membres de la famille, insidieusement, immanquablement, perturbant leur semblant d'équilibre. Le temps allait bientôt leur paraître suspendu, les plongeant dans des sentiments de vertige et de vide. Mais à cet instant, leurs visages transpiraient l'inquiétude, comme s'ils savaient d'ors et déjà qu'il était en train de se produire quelque chose d’horrible, comme s’ils savaient qu’ils n'en sortiraient pas indemnes.

***

Toc...Toc...Toc...Toc...Toc...Toc…

Quel est ce bruit?

Toc...Toc...Toc...Toc...Toc...Toc…

Bon sang, où suis-je?

Mes yeux peinent à s'ouvrir, mes paupières semblent peser une tonne. Ils ne distinguent que vaguement les objets à leur portée.

Toc...Toc...Toc...Toc...Toc...Toc…

J'ai mal à la tête. Mes tempes hurlent de douleur.

Toc...Toc...Toc...Toc...Toc...Toc…

Un réveil? Une horloge? Tic. Tac. Tic. Tac. Une montre peut-être? Collée juste là à mon oreille? C'est exactement ça, ma tête est posée sur une montre.

Mes membres refusent de répondre aux ordres que je leur donne. Hum, j'ai mal. Partout. Mes yeux sont maintenant ouverts mais je ne vois pas.

Tic. Tac. Ma bouche est sèche, j'ai soif. Horriblement soif. Je déglutie difficilement. Ma langue passe sur mes lèvres. Aucun goût particulier, aucune sensation spécifique.

Tic. Tac. Arrêtez ce bruit! Mais pourquoi ma tête repose-t-elle sur une montre? Je dois être couchée... Je peine à comprendre... Je suis allongée, la tête posée sur une montre qui me martèle le crâne. Pourquoi ai-je une montre, je n'en porte jamais ? Depuis la découverte de l'Afrique et du temps qui passe sans que l'on y accorde la moindre importance, j'ai décidé de m'en détacher. Je dois donc ne pas être seule. C'est forcément ça; je suis avec quelqu'un qui a posé sa montre sous ma tête. Qui est-elle? Pourquoi a-t-elle fait cela ? Qu'est-ce que je fais étendue là? Et là, c'est où?

Mes mains… sont-elles dégagées? Oui, sans problème. Merci mon Dieu. Du tissu. Mes yeux s'habituent petit à petit, retrouvent leur capacité; mon cerveau parvient maintenant à encoder et me retranscrire les informations que mes yeux renvoient. Combiné au toucher, j’appréhende ma situation: j'ai un gilet posé sur ma tête, recouvrant elle-même cette fichue montre. Enlève le gilet, qu'est-ce que tu attends?! J'ai si mal. Du tissu bleu avec de fin traits rouges se montre à présent devant moi. J'aperçois mes mains. Elles sont couvertes de sang. J'attrape la montre et la scrute. Je ne la reconnais pas. Il me semble ne l'avoir jamais vue auparavant. Ma main droite se pose sur une sorte de coussin, celui-là même de couleur rouge aux traits bleus. J'arrive péniblement à m'appuyer pour me redresser. Légèrement, tout en douceur, accompagnée d'une lancinante douleur dans les jambes. Des morceaux de verre stagnent autour de mon corps… du sang… Pars terre, j’entraperçois du jus d'orange dans une brique … des gâteaux….un tapis. Le sol. Le sol est recouvert d'un tapis. Rectangulaire. Il ressemble à un tapis de… Bon sang, je suis dans une voiture!

Regarde autour de toi, tu ne dois pas être seule. Mon cou semble coincé, ralenti par une main imaginaire fabriquée en plomb. Personne. Je suis seule. C'est impossible. Je ne peux pas être seule. Ne panique pas, arrête de chialer à l'avance, tout n'est peut être pas si catastrophique que tu l'imagines, semble me répéter mon double conscientisé. Lève la tête plus haut. Regarde sur la route. Bon sang mais tu vas te lever!

J'ai envie de pleurer, comme un bébé à l'attente de sa mère partie à dix mètres de lui, disparue de son champs de vision pour la première fois. J'ai envie de hurler.

Je sens que je peux défaillir à chaque instant. Quelque chose ne tourne pas rond. Quelque chose m'échappe. Toute la situation m'échappe. Où suis-je? A qui est cette voiture?

Je parviens péniblement à m'asseoir, mes jambes sont bloquées, pesantes, lasses, écrasées, tuméfiées de l'intérieur. Le tableau de bord du véhicule méconnu est reculé, jusqu'au milieu de mes cuisses. Oh non! Pitié, pas ça! Au secours! Au secours! Hé-ho! Je m'entends le dire, mais ai-je réussi à émettre le moindre son? J'aperçois un chemin au devant du véhicule, de l'herbe, des arbres. Pas une âme qui vive…? S'il vous plaît, dites-moi qu'il y a quelqu'un? Dites-moi qu'une âme charitable m'a vu m'écarter de la route et s'est précipitée pour appeler les secours.

Respire. Du calme. Pas un écureuil? Un lapin alors… Des oiseaux? Un chien! Où que l'on soit sur cette maudite terre, il y a toujours un chien. Un chien qui aboie, au moindre bruit inhabituel, à la moindre peur qui l'assaillie. Il va alerter son entourage, quelqu'un va arriver et me secourir.

Mais rien. Nada. Que dalle. Perdue au milieu de nul part, dans une voiture qui ne m'appartient visiblement pas, avec une montre inconnue, les jambes bloquées dans une carcasse, je suis là, seule à me demander comment je vais m'en sortir et il faudrait que je reste calme? COMMENT m'entends-je hurler!

Appeler de l'aide. Oui, c'est ça. Regarde s’il y a un téléphone. Aujourd'hui, tout le monde possède un téléphone portable. Aujourd'hui. Et c'est quand ça précisément? Un souvenir me revient. Un reportage sur les accidentés de la route. Lorsqu’un individu a un accident de voiture, les premières questions posées par les pompiers ou les médecins du SAMU sont "comment vous appelez-vous?" et "savez-vous quel jour nous sommes?" Alors, voyons où j'en suis? Je m'appelle Gaëlle. Gaëlle Forges. Gaëlle Forge et j'ai 30 ans. Oui très bien, continue. Quel jour sommes-nous? Vendredi. Vendredi 15 avril 2010. Et il est… regarde ta montre. Ce n'est pas ma montre. Regarde-là quand même. Il est 15h15. Peut-être est-elle arrêtée… Non, tu l'as entendue te massacrer l'oreille et le cerveau; t'as déjà oublié? Tic. Tac. Tic. Tac.

Bon, Gaelle Forges, en ce vendredi 15 avril, à 15h15, où te rendais-tu?

Je ne sais pas.

Regarde la route.

Ca n'est pas une route, c'est un chemin.

Et où va ce chemin?

Je ne sais pas.

Et où allais-tu?

Je ne sais plus.

Il est temps de visiter cet habitacle de malheur. Dans la mesure du possible au vu de mes jambes en vrac. Je tâtonne, soulève quelques tickets de carte bleue et là, le miracle se produit. Mon téléphone portable apparaît. Allumé. Deuxième miracle : j'ai du réseau. Un détail me revient : je déteste les téléphones portables. Passer ses journées accroché à cet engin cancérigène, pour discuter avec quelqu'un habitant à 500m de chez soi, oubliant de regarder celui assis juste à ses côtés, très peu pour moi. Je crois que je me suis dit : "au cas où il m'arriverait quelque chose en voiture". Et bien nous y sommes. Il est gris, sombre, sans personnalité. Pourquoi ce choix? Tu y réfléchiras plus tard.

Va dans le répertoire. Appelle ton mari. Mais est-ce que j'en ai un? Quelle question. Tu ne crois pas que tu si tu étais mariée, tu te poserais cette question? Sauf que là, présentement, quelque chose cloche. Rien ne ressemble à ce que je sais. Moi, Gaëlle, 30 ans, paumée, amnésique et bientôt morte. Ma main gauche n'a pas d'alliance. Très bien, don't panique. Personne pour s'inquiéter, quelque part, de mon absence, et pour répondre à cette incessante question : qu'est-ce que je fous dans cette bagnole qui n'est pas la mienne et sur ce chemin de merde?! Est-ce que j'aime les hommes au moins? Je ne sais plus non plus. Peut-être suis-je lesbienne… Non impossible, je le sens, je suis 100% hétéro. Allez 80%. N'a-t-on pas tous une part d'homosexualité en nous? Bah, après-tout, ça changerait quoi, là tout de suite maintenant?

Concentre-toi ! A défaut d'avoir un mari, j'ai une famille. Oui, ça c'est sur. Pourquoi ça ne me revient pas?… Ah si, un père, Jacques, une mère, Mireille. J'ai aussi un frère, Gilles. Il habite dans le sud de la France. Dans les Pyrénées orientales si ma mémoire est bonne. Sauf que justement, présentement, il semble que tu ne puisse te fier à elle.

Répertoire. Pas de Jacques, pas de Mireille, pas de Gilles. Hum; qui nomme ses parents par leurs prénoms dans un répertoire téléphonique? Ca se fait, je sais. Mais bon, il me semble que le plus vraisemblable c'est papa, maman, fréro ou frangin ou son pti surnom Gilou. Rien. Rien à parents non plus. Florent, Marc, Nathalie, Sylvain, Sylvie, eux sont bien là. Sauf que ces prénoms ne me disent absolument rien. Qui sont ces gens? Alors non seulement je roulais dans une voiture qui ne m'appartient pas mais je suis en possession d'un portable qui n'est pas le mien. Aurai-je pu voler cette voiture et son contenu? Je ne me peux m'y résoudre. Une autre explication est possible : j'ai emprunté cette voiture, le portable de quelqu'un pour me rendre dans un endroit inconnu pour ne pas être repérée. Repérée de qui, de quoi, pour quoi, pour qui?

Le 15. Appelle le 15. C'est par là que tu aurais du commencer.

-  Allo les urg…

Bon sang, ça commence très fort, j'entends que dalle

-  Allo, Gaëlle forges. Je suis dans ma voiture, j'ai eu un accident et je ne peux plus bouger. Vous m'entendez?

-   Oui (Grésillement)... Vous?

-   Comment?

-   Où êtes-vous?

-   Je ne sais pas... sur un chemin…

-   Nous allons tenter de vous retrouver par la borne par laquelle vous passer pour nous appeler

Ils m'ont promis de m'envoyer une ambulance.

Résumés des épisodes

Episode 1: François Guénodé, 45 ans, est père de deux enfants issus d'un premier mariage : Guillaume, 15 ans et Jeanne, 11 ans. Il s'est remarié avec Alice, 30 ans. Le 21 août 2009, la famille emprunte l'autoroute 666 en direction d'un Village de vacances où tout a été organisé pour passer des vacances inoubliables. Elle déjeune dans un routier. Au moment de repartir, Alice, aux toilettes, reçoit un sms de sa meilleure amie Marie: "Porter un cadavre". Elle disparaît. La famille est interloquée.

15 avril 2010, sur une route de campagne, une femme a un accident de voiture. Elle se rappelle uniquement de son nom : Gaëlle Forge.  

Episode 2: La police arrive au routier, reprend avec la famille Guénodé les évènements précédents la disparition d'Alice, minute par minute. Son mari, désespéré, nage en pleine incompréhension. Jeanne évoque une disparition mystique, Guillaume qu'elle s'est perdue dans la forêt derrière l'autoroute. 

Episode 3: François se retrouve seul dans la maison familiale, les enfants sont repartis chez leur mère. Il repense à Alice, son histoire, sa difficulté à se sentir en confiance et aimée. François joint Marie. Elle lui explique qu'elles sont fâchées, ne plus rien vouloir savoir d'Alice, et qu'elle part vivre à l'étranger avec son conjoint.

Episode 4: Une sdf atteinte d'un cancer, Gaëlle Forge, est portée disparue par une bénévole des restos du cœur de Limoges où elle venait quotidiennement. Elle a été aperçue pour la dernière fois près de l'autoroute 666. La police ne lui trouve aucune famille, aucun ami, et plonge dans une autre enquête.

Episode 5: Cela fait maintenant trois mois qu'Alice a disparu. François et les enfants sont de plus en plus perturbés. Alors qu'ils regardent le journal de 20h, un reportage sur deux disparitions près de l'autoroute 666 est diffusé. François commence à reprendre tous les faits de disparition près de l'autoroute depuis sa construction.

Episode 6: Après plusieurs semaines de recherches, François informe la police de son hypothèse : une secte. Guillaume et Jeanne sont choqués d'entendre la fragilité de leur belle-mère. La police peine à adhérer à cette idée.

Episode 7: Gaëlle Forge, à l'hôpital présente une amnésie rétrograde. Elle ne reconnaît pas son compagnon. Il se rappelle qu'avant son accident, elle avait reçu un coup de fil. Une amie, Marie, s'était suicidée lors d'un voyage.

Episode 8: Gaëlle commence à retrouver la mémoire. Elle se rappelle de sa volonté pour comprendre les raisons du geste de Marie. Elle savait qu'elle et son compagnon avaient des problèmes de couple, qu'ils envisageaient de partir pour les résoudre. Elle tenait à discuter avec son petit-ami, avait trouvé sa nouvelle adresse: un village, au bout du chemin où Gaëlle avait été retrouvée dans sa voiture.

Episode 9: L'hôpital et la police s'aperçoivent que Gaëlle Forge est portée disparue depuis un an. Sa photo est présentée aux restos du cœur. Ils ignorent l'identité de cette femme. Après une analyse de ses empreintes digitales, ils l'identifient comme étant Alice Guénodé. La police s'interroge sur le lien entre les deux femmes, pensent à une usurpation d'identité. François, prévenu, arrive à l’hôpital. Gaëlle est avec son compagnon. En présence des deux hommes, Alice-Gaëlle est perdue.

Episode 10: Discussion flash back entre Alice et Marie sur la volonté d'Alice de changer de vie, d'avoir une autre identité et sur la promesse de Marie : la lui procurer. La plan est monté : enterrer le corps d'une personne sans famille ni attache, récupérer ses papiers d'identité et les donner à Alice. Nom de code de ce plan : porter un cadavre. 

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