Poule ! (chronique olympique)
o-negatif
Les jeux olympiques offrent l’occasion au téléspectateur de s’intéresser à des sports incongrus, et c’est bien leur principal intérêt. Le ball-trap, par exemple. Le Ball-trap… - comment expliquer - cela consiste à tirer au fusil sur des assiettes volantes. On serait légitimement en droit de soulever la question des origines de ce sport. J’ai entendu dire qu’il avait été crée par une bande de chasseurs ivres morts qui, au terme d’un pique-nique délirant, auraient eu la flemme de porter la vaisselle au retour. Le cas de vétérans du Vietnam blindés d’amphétamines est également évoqué, mais rien n’est certain dans cette histoire. En tout cas, c’est passionnant à regarder. On peut avancer dans son repassage en même temps, sans problème. Ou rester immobile la main dans le froc, c'est selon.
Je me suis quand même demandé qui étaient ces gens, relativement nombreux, ayant pris la peine de se déplacer jusqu’à Londres pour assister à l’épreuve de ball-trap. Ce sont les même que vous pouvez retrouver dans les tribunes des épreuves de Curling, en hiver. Des rebuts de l’humanité. En y réfléchissant plus longtemps, je me suis dit aussi qu’ils avaient peut-être été piégés par le CIO :
Vous avez gagné deux places pour les jeux olympiques, félicitations. Quelle épreuve ? Oh, ça vous parlera pas mais c’est gratuit et on vous paie même l’hôtel, attention. Non, c’est pas la finale du cent mètres, non, ni le saut en longueur. Je vous rassure, ce n’est pas le trampoline mixte synchronisé. On est pas des sauvages. Maintenant, arrêtez de faire la fine bouche, montez dans ce bus et on vous douchera en arrivant, allez.
Éthiquement, le ball-trap, c’est limite. Dégommer autant d’assiette à une époque où tant de gens meurent de faim… Je sais pas. Symboliquement, ça pique un peu. Quoi qu’il en soit, la responsabilité des sportifs ne saurait être ici engagée puisque même s’ils ne touchent pas leur cible, une assiette qui vient de faire un vol de quinze mètres, en général, tu boufferas plus jamais dedans. A moins d’être un vrai dégueulasse. On un excellent jongleur. A l’époque, les ball-trappeurs, ou quelque soit leur nom, tiraient sur des pigeons vivants. Je dis « vivants » mais ce serait complètement idiot d’organiser un concours de tir sur pigeons morts. Ou alors éventuellement, longue distance, les pauvres animaux empalés sur des piques. Bref, aux jeux olympiques de 1908, trois-mille huit cent quinze pigeons connurent une fin tragique, sous la mitraille internationale réunie. Véridique. Le type supposé nettoyer les lieux après l’épreuve s’est foutu en l’air deux jours plus tard. Légèrement dégouté par le carnage, il s’est enfoncé un oiseau dans la gorge, égalant ainsi le record du monde du suicide le plus tordu de l’histoire olympique.
Pendant les JO, on vibre pour de parfaits inconnus parce qu’ils sont français. Yannick Agnel, par exemple. Au début du mois de juillet, Yannick Agnel, tu t’en foutais complètement. Si, tu t’en foutais, avoue-le. A la limite, en le croisant à la piscine municipale, tu te serais dit « Ouais, il nage plus vite que moi, certes, mais son slip est ridicule ». C’était le mec qui faisait pas de vagues. D’ailleurs, dans cinq ans, tu pourras le recroiser à la réception de nuit d’un hôtel Campanile et le confondre avec un gars de Loft Story. Mais dans ton salon, pendant le 200 mètres nage libre, tu étais bel et bien couché à plat ventre sur ton canapé, comme tour le monde, à remuer les bras dans tous les sens, vivant l’épreuve à fond, au bord de la noyade, en train de hurler comme un possédé « Vas-y Yannick, allez mon petit ! Nage comme le vent. On va se les faire, ces enculés d’américains. Yannick, allez ! Avance, mon couillon ! ». D’ailleurs, si au début du mois de juin, tu avais eu le choix entre regarder de la natation à la télévision ou confectionner une cinquante de colliers de perles fantaisies, tu aurais hésité longtemps. Mais face au cocktail Jeux Olympiques/patriotisme/chômage de masse, qui pourrait bien résister. Du judo ? Fantastique, à quelle heure ? Du canoë Kayac biplace ? Épatant. La finale du dressage de canasson, avec une chance de médaille de bronze pour la France, ce pays que je conchie tout le reste de l’année ? C’est vendu. Du quatre-sans-barreur ? Du cheval d’arçon ? Belote et rebelote.
Tout le monde s’ennuie profondément en été. C’est pourquoi on a inventé le sport à la télévision. Et le Ricard. Depuis que les Jeux Olympiques sont terminés, les rues sont envahies de hordes de zombies téléphages, privés de nourriture. Ils déambulent sans destination précise en prenant la pause d’Usain Bolt à l’occasion d’un feu rouge, ou lancent des javelots imaginaires dès qu’ils se trouvent sur une grande place. On ne peut rien pour eux avant la reprise du championnat de football, qui est d’ailleurs déjà relancé, dans la foulée, comme quoi rien n’est laissé au hasard dans l’exploitation scientifique de la torpeur.
Point positif néanmoins, les performances des athlètes français créent des vocations parmi nos jeunes, si bien que l’on assiste à chaque rentrée scolaire suivant une olympiade à une explosion spectaculaire du nombre des licences enregistrées dans les clubs de judo, d’escrimes ou autres disciplines sans intérêt pour la marche de l’univers. Heureusement, dès le mois d’octobre, ces graines de champion se lassent généralement de ces activités fatigantes, puis retournent à leurs consoles de jeu, ou au visionnage de porno sur Internet, comme tout gamin de onze ans normalement constitué.
Personnellement, et pour en finir tout à fait avec cette sale chronique, j’ai voulu, en père aimant et responsable, initier mon fils au ball-trap. Il se trouve que je tiens en héritage d’un oncle braconnier, un fusil de chasse non révisé, ainsi qu’un lot de cartouches qu’il fabriquait lui-même avec un peu de lessive et des tubes de colle. Nous avons donc pris la bagnole et foncé jusqu’à Ikéa afin d’acheter un lot d’assiettes premier prix, avant de rejoindre un terrain vague sur lequel vivent une poignée de clodos qui ne demandent pas mieux que de lancer de la vaisselle bon marché à la verticale, en échange d’un pack de vinasse en brique. J’ai donc confié l’arme à Daniel, puis je me suis réfugié en vitesse dans la voiture, car un accident est vite arrivé. A mon coup de klaxon, comme convenu, l’un des traine-savates a balancé la première assiette. Il se bouchait les oreilles quand la balle lui a traversé la gueule. Comme quoi, le danger ne vient pas toujours d’où on l’attend. A cause du recul, Daniel a été quant à lui projeté en arrière. Il s’est fêlé le coccyx mais j’estime que nous nous en sommes sortis à bon compte.
J’ai offert à ma femme ce qui restait du lot de vaisselle.
Elle était ravie, on la comprend.
Le ball-trap...et dire que je me préparais à en faire une chronique avec les autres absurdités ambiantes et olympiques.
· Il y a plus de 12 ans ·Bravo, très bon texte. Enfin tant que ce ne sont que des assiettes suédoises et pas le lot de l'arrière belle-mère...
Mathieu Jaegert