Pour combien de temps

tang22

                                 Pour combien de temps

                Si on m’avait dit qu’un tel endroit existait, je ne l’aurais pas crus. Dans cette petite vallée à l’allure de paradis, j’y étais. Je l’ai vu. Dans cette petite vallée entourée de montagnes se dressait un lac. Un petit lac, parfait. Une eau si claire que je me suis senti indigne de m’y baigner. Un lac où la vie regorge. Un endroit que l’homme n’a pas encore asservis. Ici, seule la nature domine, seule la beauté subsiste.

            Il m’arrive d’y retourner, en pensées. Il m’arrive de me promener dans mon jardin d’Eden. Nue, au milieu de cette force qui me prend au cœur. Il m’arrive de passer des heures là-bas, assis dans l’herbe, contemplant la beauté, la vraie. J’ignorais le vrai sens de ce mot avant d’avoir vu cet endroit. J’ignorais même à quel point j’étais en dessous de la vérité quand je prononçais ce mot auparavant. Il règne ici un calme sans nom. L’air est tellement pur, pour la première fois, je respire. Pour la première fois, je suis vivant. Le lac est bordé d’une vaste forêt aux allures de jardin entretenu. Sur le flanc gauche de ce lac, une petite clairière qui semble avoir était dessinée pour moi. Elle est parfaite. Si j’attends un peu, en silence, immobile, il m’arrive de voir passer la vie. Des cerfs, des daims à la robe brune. En toutes insouciances, en toutes ignorances. En paix.  Les oiseaux sifflent et effectuent un balai aérien, juste pour moi.  Les papillons s’élèvent et me caressent le visage, viennent se poser sur mon épaule en toute confiance. Les abeilles butinent en toute tranquillité. Ici la vie est riche, ici, la vie est telle que je l’aime. Je contemple ces immenses montagnes, je regarde leurs élégants chapeaux blanc immortel. Quelle force, elles se tiennent à l’extérieur de la forêt telle les gardiens de ce lieu. Les protecteurs de toute la vie qui s’y trouve.

            J’y retourne, souvent. En pensée. J’y construis ma maison. En bordure de la clairière, elle s’y dressera. Rien d’excessif, rien de dénaturant. Une maisonnée au bord de l’eau, une pièce principale suffira. Un petit ponton partira de la façade sud et marchera sur l’eau sur une petite distance. Je ne veut gêner personne. Je mettrais mon potager à côté, je le partagerais avec ceux qui vivaient ici avant. Je ne suis pas chez moi. Je suis chez eux et l’on me surveille. Mes journées seraient faites de promenades, de culture, de rêves, de partage. Je pêcherais, sans excès, seul mon repas sortirait de l’eau, rien de plus. Je lui en serais reconnaissant de me nourrir. Je me mettrais sur le ponton, assis sur une longue chaise, me plongeant dans un livre, avec mon chapeau sur la tête et ma canne à pêche dans l’eau, dégustant une liqueur de ma fabrication. Je ne prendrais pas plus que nécessaire. Jamais. Le soir j’allumerais un feu. Je l’entendrais crépiter, les braises et petits éclats s’envoleront vers le ciel comme attirés par les étoiles. Comme attiré par ce ciel magnifique.

            Mais ce rêve est de courte durée. Un jour l’homme viendra et détruira ce lieu. Si j’y allais, ma présence suffirait à le détruire. Je n’irais jamais. Ce lieu restera intact. Mais, pour combien de temps…

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