POUR LUI FAIRE PASSER LE GOUT DU PAIN, J'AI TUE MON BOULANGER

Isabelle Revenu

Sous l'emprise d'un joli baladin, j'avais accroché plein de beaux rideaux devant mes yeux. 

Par petits morceaux, si petits que je n'ai rien vu venir, la lune s'est empressée de ronger les belles couleurs qui me plaisaient tant.

Et de mes rideaux ne sont restés que des lambeaux. 

Lambeaux laids, lourds et lents, qui ne peuvent lui cacher tout ce que j'ai du mal à retenir.

Ni retenir tout ce qu'il voudrait que je lui cache.

Le barrage va céder, aussi sûr que les fèves ne sont pas des pois.

J'en ai gros sur la patate et je me traite du même nom.

Désormais, le terrain est miné, accidenté. 

Pas encore de glacier à franchir mais le désert n'est jamais bien loin.

Au choix du roi, mon baladin a toute latitude pour m'empêcher de danser sur ses plates-bandes. Il lui reste  :

1 - Mon excommunication aux confins du Negev

2 - Mon  bannissement en Antarctique avec les manchots  pour qu'il soit certain que je ne puisse plus lui écrire

3 - Des vacances à crédit du côté de Tanger, la-Ville-des-Etrangers 

4 - Un séjour sur une quadrirème (avec gîte et couvert assurés) au Sud de la Guinée Equatoriale, en pleine jungle à moustiques - j'y serai tellement occupée à crever mes ampoules aux mains que je ne pourrais pas lui écrire non plus.

5 - Il y a également l'embarquement forcé sur Columbia juste avant l'explosion.

6 - Voire même l'exil dans une équipe de manoeuvres biélorusses, sortes de Tarzan mâtinés de King Kong qui m'apprendraient à grands coups de claques sur la tête, le maniement de la Taupe sous le Détroit de Behring.

Je m'en sors pas trop mal pour le moment, il ne m'a pas encore soumise aux brodequins pour me faire avouer que tout ce que j'ai pu lui dire ne sont que des sottises. Il sait que je tiendrai bon malgré mes pieds en miettes.

Ni arraché la langue pour ne plus entendre mes Je t'aime à tout bout de champ.  (Ca ne lui serait d'aucun secours, par chance, je pratique le langage des sourds-muets.)

Ni non plus coupé les poignets comme il est parait-il de tradition dans certains pays d'Orient, qui punissent ainsi les voleurs de poules.  (J'ai un ordi qui réagit au clignement des paupières. Faut savoir être malin ...surtout quand il s'agit de sauver sa peau.)

Ni enfermée dans un sac à farine et attachée à la planche de Vérité comme les sorcières féodales. (Tant pis pour lui, je fais très bien la planche.)

Ou précipitée du haut d'une falaise d'où il me crierait :  VOLE !! (Je volerai s'il le faut....Pas très haut, j'en conviens, mais je volerai. Juste pour qu'il soit fier de moi.)

Ni comme les Boyards pendant la Révolution de 17, sectionné mes tendons d'Achille. (Manque de bol pour lui, ce n'est pas ainsi que je me prénomme.)

Non, pour l'instant, j'ai échappé à tout ça.

Je plaide ma cause devant un jury qui se bouche les oreilles, qui se voile la bouche et qui ferme les yeux....

Le bruit des bottes qui martèlent la salle des Pas Perdus me soule. 

- Moi je n'ai fait de mal à personne, m'sieur l'Juge, ni causé la mort d'aucun, ni incendié d' étable, ni kidnappé d'enfant.

J'ai juste en moi, des choses que je ne devrais pas avoir. 

Mais je tiens  pour le moins à dire que je refuse catégoriquement de me soumettre à une quelconque censure de sa part et n'appliquerai pas la licéité qu'il attend de moi.

Les limites de ses contours sont si flou-flou que je ne sais pas comment ne pas les franchir.

Je n'ai rien d'une pétroleuse, d'une casseuse de burettes.

Mais aujourd'hui, il carence grave, il dé-présence sévère.

Me déstabilise.

Sous la méprise d'un beau baladin badin, j'ai rangé mes crayons et replié mes ombrelles de papier.

................Et le soleil s'est couché.

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