Prague ou Mortelles les chambres ! Meilleure sera la chute de chutes

koss-ultane

                                                 Prague ou Mortelles les chambres ! Meilleure sera la chute de chutes

     J’avais économisé, épargné, thésaurisé, chouravé, truandé, troqué, truqué, mis de côté, sous le sommier, dans la boîte à thé, la boîte à café, boîtes à autres trucs à infuser, échangé, planqué au fond du confiturier, du gaufrier, sous le mûrier, le framboisier et les groseilliers, bref, je m’étais débrouillé avec la grise crise qui nous les brise depuis que les surpuissants de Wall street en avaient eu marre de passer pour de petits joueurs à côté des nouveaux riches russes, chinois et indiens, comparés auxquels, malgré toutes leurs fraudes institutionnalisées, ils n’étaient que des richards aux petits pieds. J’avais la tune et savais exactement où je voulais retourner. Avec l’Ecosse, c’était Budapest qui m’avait le plus plu mais c’était un hôtel de Prague que je voulais accrocher à mon palmarès de touriste intégriste du bien être à ne rien faire, contemplatif ascendant mollusque. Lors d’un premier séjour, résident d’un hôtel de moyen lignage, mais qui avait le bon goût de donner sur un “Eros center”, nous visitâmes la ville, un camarade et moi, disparu depuis lors d’un tragique accident de machine à laver le linge en famille. Une grand-mère Alzheimerisée, qu’il visitait pourtant régulièrement, l’avait piqué en plein sommeil avec un plantoir entre les yeux et deux, trois, heures du mat’, pensant repousser un cambrioleur alangui ou je ne savais quelle chimère de cervelle faisandée. J’étais de retour et client du plus prestigieux hôtel de la ville pour les initiés qui savent pertinemment que descendre à celui auquel vous pensez n’est que fadaises à côté. Un amoureux de la peinture comme moi ne pouvait se rendre qu’au Gartenslave. Enfant chéri d’Adolf Gartenslave. Paix à son âme et son goût des arts. Certes, je n’avais que les finances modestes d’un client de la chambre la plus abordable au cœur de la formule la moins onéreuse mais quand même. J’allais me poser là. Je retrouverai la Vltava, rivière quasiment innavigable mais affluent de l’Elbe, cela vous classe un ru, ses ponts magnifiquement sculptés, ses cohortes de touristes italiens pré-pubères caractérisés par la discrétion de leur âge et leur culture, bouchonnant des Japonais esseulés persuadés de visiter Vienne, et soupesant ce que valent les travaux des différents artistes exposant sur le “Karlùv most”. Celui qui n’a jamais contemplé les toits de Paris méconnaît le nid du romantisme non sirupeux, celui qui n’a jamais regardé les toits de “Mala Strana” ignore souffrir d’une carence en fantaisie héroïque. Les douces pentes et sous-pentes parisiennes sont autant d’invitations à la sieste et à trouver la crapule qui va avec. Les écailles oranges et noires des toitures praguoises, mâtinées de gothiques par leur découpe à la serpe, sont autant de rampes de lancements vers le carrefour de tous les occidents. Car les vrais alchimistes du lieu furent ses architectes successifs. La transmutation du plomb en or fut de la sombre masturbation mais celle de la nostalgie en douce euphorie n’y est référencée dans aucune brochure et pourtant. Ici, ne vous faîtes aucune illusion, la “ville dorée” les fera pour vous. Le plus timide des balcons est un plongeoir sur les siècles, la plus anodines de ses ferronneries le crochet d’un atome qui vous alpague le cœur. Cette “Rome du nord”, plus on s’y frotte, moins on y croit, plus il y a friction, plus il semble y avoir fiction, vous n’en aurez jamais fini avec elle, on y est toujours en contes. On ne découvre pas “la ville au cent clochers” et aux quarante surnoms, c’est elle qui vous visite. Ou pas, si vous êtes con. Vampire sanguinaire ou chaperon effarouché, sur ses tuiles ou sous ses pavés, on y est sans cesse le héros de pensées qui vous échappent. Prague est tellement belle qu’elle pourrait être la carte de visite de tous les artisans de la terre. Même touriste bas de gamme lambda, Allemand en sandales-chaussettes, débardeur putrescent et short à gros genoux, rien qu’a s’y baguenauder, fut-ce en troupeau, on a l’impression d’avoir du talent, c’est dire. A l’aéroport, je claquai négligemment le nom de mon hôtel au taxi qui me dévisagea deux fois sous l’effet de l’annonce. Eh ouais mon p’tit pote ! C’est pas de la gnognote que tu trimbales dans ton tacot. Je m’étais endimanché jusqu’à la glotte que j’avais pourtant réfractaire à tous les nœuds coulants fussent-ils en soie sauvage. J’avais biaisé en fermant mon col de chemise super classe avec un bolo arizonien en métal tout aussi étrangleur finalement. Il me demanda dans quoi j’étais. Je répondis “dans le cinéma”. Acteur ? poursuivit-il, perplexe, les sourcils en accents sir corn flakes inversés et dubitatifs. Non, scénariste, mentis-je éhontément toujours absorbé tantôt par le paysage tantôt par une revue de cinoche imbitable en allemand dont j’avais délesté mon Boeing. Je laissais un bon pourboire de manière ostentatoire à mon chauffeur occasionnel pendant que le bagagiste s’emparait de mes avoirs en s’en lestant artistiquement. Il portait ma valise et mon sac comme un barzoï son collier en diamant et son air efflanqué à la cour de Russie, parachevant ainsi aussi négligemment que parfaitement ses livrée et corvée. J’entrais dans le hall comme si j’y avais toujours séjourné. Masquant mon manque de repères en feignant la poursuite effrénée de ma germaine lecture cinéphile, levant les yeux, de temps en temps, en singeant le contremaître encadrant un nouveau venu à la chaîne de montage, je traquai les moindres faits et gestes du bagagiste qui se planta tel un clebs en carence de baballe au centre du hall. Avançant droit sur la réception, ma sale tronche en proue, je roulai soudain mon magazine en longue-vue du pauvre et jetai un coup d’œil mensonger au décorum, moitié aveugle que je suis en réalité. Je décelai néanmoins une trace de tension sur le visage du réceptionniste qui avait pourtant l’air de ne pas m’avoir attendu pour ferrailler avec les pires cons de la terre. De crainte qu’il n’embrayât sur du teuton à cause de mes lectures, je m’empressais de le saluer chaleureusement en français lent et sur-articulé afin qu’il saisisse bien que Goethe n’était pour moi qu’un ancien joueur de football, probablement alsacien, et une petite rue sombre de Paris. Il me répondit dans ma langue et enchaîna sur les courtoisies d’usage d’un œil inquiet. D’un œil inquiet !? Diable ! Soit c’était de l’obséquiosité à un niveau encore jamais étudiée en Europe, soit il y avait un testicule à charlotte qui faisait des langueurs dans le consommé du soir. Une couille dans le Fanta quoi. La fille à côté de lui me souriait à s’en faire péter les zygos. Mauvais signe bis. Ou crampes. Habitués aux richards capricieux, versatiles et autoritaires, ce n’étaient plus des gants mais le rayon moufles de chez Harrods qu’il enfilait avant, d’enfin, me faire part de son embarras et de la raison de celui-ci. Moi, j’étais juste indécemment euphorique du seul fait d’être là. On se serait cru des deux côtés du check-point inter-coréen de Panmunjom tant nos deux états faisaient péter le contraste.

     _ Monsieur Pandantag, (appréciez le pseudo), vous aviez réservé une chambre “executive” malheureusement toujours occupée pour de tristes raisons, entama-t-il la tête légèrement inclinée comme s’il allait faire une micro sieste sur un oreiller nuage invisible.

     _ Perdu les clefs des menottes ? poursuivis-je, aucune réaction de “Tire-la-tronche”.

     _ Une personne très malade y demeure…

     _ Au point d’être intransportable ?! Mince, elle y meurt et demeure donc. C’est très fâcheux.

     Malgré cette allitération fort à propos, je n’arrachai pas une ridule de début de risette au chef larbin.

     _ Mais une solution avantageuse a été trouvée pour vous, monsieur Pandantag, je crois,…

     _ L’euthanasie ?! risquai-je, toujours pas rictus.

     _ Nous allons vous loger dans une de nos suites nuptiales pour l’instant disponibles, le temps qu’il sera nécessaire.

     _ Laquelle des trois ?

     _ Celle sous les toits…

     _ Super ! C’est ma préférée ! J’accepte bien volontiers.

     Le type commença à se détendre un brin.

     _ Vous m’en voyez ravi pour vous, se crut-il permis de rajouter faux-cul.

     _ Mais une grave question reste en suspend, l’upercutai-je d’une fulgurance.

     Le type se crispa à nouveau en deux millisecondes.

     _ Grave question à laquelle vous devez absolument répondre.

     _ Monsieur ?

     Le type déglutit une demie tonne de graviers biseautés par mes soins. Je me grattai furieusement l’oignon sans même le réaliser tout à fait, sans rapport avec l’histoire, juste témoignage honnête. Suis pas un de ces auteurs qui trichent moi.

     _ Cette personne mourante a-t-elle mangé au restaurant de l’hôtel ? assénai-je bien fort à la cantonade.

     Croyant sourire, le type me fit la grimace du mec qui essaye de donner le change post pet foireux en espérant remettre urgemment la main sur le sien. De change.

     _ Terezie va vous conduire à votre suite, me fit-il en tendant un bras de mouche au-dessus de l’accueil en direction d’une tâche claire à ma gauche.

     Je pivotai sur mes talons et découvris une de ces perles de la nature qui sont tellement au-delà du sexy que vous ressentez immédiatement des décharges électriques dans la verge à leur seule et sommaire observation. En dépit d’une blondeur regrettable pour l’homme de goût que je suis, elle était gaulée comme une amphore. Je marchais volontiers un demi pas en retrait derrière elle et lui matais un joufflu qui n’avait jamais si bien porté son argotique surnom. Elle avait beau être de pelage clair rien n’était fade chez elle, ni vulgaire. Un joli sourire naturel, un regard franc et amusé par ma trogne, mon humour et les choux blancs qu’il avait aligné au comptoir d’accueil l’avaient distraite pendant qu’elle faisait le pied de grue derrière moi. Face à face dans l’ascenseur, à cause de la présence du bagagiste et de mes avoirs, j’attaquais le tournedos Rossini qu’elle représentait pour l’affamé que j’étais.

     _ Puisque vous emmenez le célibataire géographique que je suis dans une suite nuptiale, dois-je comprendre que vous êtes incluse dans le paquet ?! la titillai-je les yeux grands ouverts, en l’absence de décolleté superflu, sur deux obus de cent-quarante qui pointaient effrontément en direction de mes épaules.

     Elle eut un rire cascade sincère et joli. Je commençais à avoir Titus qui me grimpait déraisonnablement dans le falzar.

     _ Non, je regrette, mais nous ne pratiquons pas cette formule, finit-elle par sourire.

     Je déboulais dans le loft au moment où elle pensait m’en faire la visite puis lui grillais la politesse pour accéder à l’escalier. J’avais déjà exploré cent fois la suite préférée de mes hôtels étrangers via le site web du Gartenslave qui permettait d’en faire un tour complet. Mon côté rat de bibliothèque, estompé par l’irruption d’internet dans ma vie, avait muté en syndrome du chat perché pour être bien. Sous ou sur les toits, tout m’allait pourvu que je fus au-dessus de la mêlée. Je grimpai la dizaine de marches à la volée puis découvris le coin baignoire, enchaînai par les entrelacs des poutres porteuses de charmes et charpentes puis envisageai un plongeon sur le lit forcément point fort d’une suite nuptiale. La blondasse intirable, pour un mec de mon physique ou mon compte en banque, peinait à me suivre dans mon dédale intime de pensées souvenirs et réalité palpable qui se confrontaient devant mes yeux brouillards et ma cervelle électrisée par cette situation tendue et inattendue. Il y avait des arches de bois faites d’échardes géantes partout qui donnaient à ce plateau d’un seul tenant des airs de foire exposition pour cachettes enfantines et de compartiments ferroviaires affranchis de leur enfermement. L’incertaine vision du lit, là-bas au fond de la pièce, striée par des allumettes de quelques quintaux verticaux, horizontaux et traviolos, version mikado, ne m’empêcha pas de courir vers lui. Même orphelin de blondinette, c’était un super king-size au matelas moelleux comme le remord qui n’espérait que moi à cette seconde. Je feintais les obstacles, slalomais entre combles et mobiliers et, dès l’entrée symbolique de la chambre, marquée par une paire d’étais au garde-à-vous, plongeais de tous mes puissants mollets de marcheur invétéré en sa direction et pensais immédiatement : “tu vas te faire très mal, c’est la fin de ton séjour, connard !”. En effet, durant ces quelques secondes d’apesanteur, j’eus tout le loisir de découvrir que cette couche, supposée nuptiale donc somptueuse, n’était en fait que deux lits jumeaux dont la césure à l’hémistiche m’avait été obstruée par une poutre de soutènement et non une litière surdimensionnée pour tireurs en rafales. Ayant visé le milieu du lit, je m’affalai entre les identiques juste sur la pointe de l’épaule gauche qui, avec le coin de la fesse, est une de ces régions anatomiques aussi douloureuses qu’improbables. La notion de point de chute en pays étranger venait de se cristalliser soudain autour de moi. La “Slavette” catastrophée déboula sur mes talons juste après le boum. Affleurant le quintal, même en pièces, je parle ici de mon petit corps brisé, vous comprendrez que la pelle fut lourde et la relève du crétin longue à se dessiner. Elle avait les mains devant la bouche, mi amusée mi atterrée, par ma performance de trapéziste amateur. Toujours à genou, là où j’avais chu, la main droite sur l’épaule gauche, le rictus en coin et l’air con en bandoulière, je m’adossai à un des deux plumards.

     _ Je comprends… pourquoi le client de ma chambre… est mourant… si vous lui avez fait le même coup qu’à moi, exhalai-je d’une voix de vieillard en vidant le peu d’air résiduel de mes poumons brûlants.

     Elle continua de glousser sous cape.

     _ Est-ce qu’une infirmière est comprise dans le prix de la suite d’ordinaire ? enchaînai-je en hissant mon popotin sur un des lits.

     _ Non. Non plus, réussit-elle à articuler en tentant d’être la plus aphone possible.

     Je me relevai tout à fait et vins me placer à côté d’elle, face à la doublette de puciers farceurs. Je la regardai, nous nous dévisageâmes, et ne pus m’empêcher de pouffer à mon tour et son unisson.

     _ Des lits jumeaux… dans une suite nuptiale… il a prononcé ses vœux le patron ou quoi ? lui demandai-je interpellé.

     _ Non, elle rit encore de bon cœur, ce qui la rendait sublimissime, le couple précédent a cassé le lit, m’expliqua-t-elle, sans oser me regarder trop longtemps, en pinçant ses lèvres en guise de ponctuation finale, et acheva de rosir tout à fait.

     _ Bel effort. Vous l’avez retenu sur leur note ?!

     _ Je crois, oui. Parce qu’ils sautaient dessus quand cela s’est produit.

     _ Et oui, quoi d’autre ? dis-je un rien ailleurs, absorbé par des réminiscences d’art nippon sous forme d’estampes.

     Je fixais longuement l’endroit puis la fille superbe en me penchant à son oreille comme si nous étions espionnés.

     _ Dans mon pays, ils auraient été décorés pour cela, pas surtaxés. Apparemment, Prague a encore du chemin à faire pour être aussi romantique que Paris, j’ai l’impression.

     _ Si vous le dîtes, rit-elle. Comment va votre bras ?

     _ Vous n’aurez qu’à dire que j’ai essayé d’abuser de vous et que vous m’avez tordu le tentacule. Après tout, vous êtes une bombe anatomique et je suis français, on vous croira sans peine, et ce sera un plus sur votre curriculum vitae, jeune fille.

     _ Je n’ai pas forcément envie de finir videuse, marivauda-t-elle encore.

     _ Mais “executive woman”, non ? Pour être “executive woman” faut exécuter ma p’tite dame, y a pas.

     _ Oui, pouffa-t-elle décidément distraite par mon humour débile et tous azimuts.

     _ Regardez, moi, je suis plongeur et je plonge même en milieu sec pour ne pas perdre la nageoire.

     Nous demeurâmes mutiques à la fin de cette guirlande d’inepties à apprécier ces quelques secondes de silence complice et qu’on supplie de durer toujours… jusqu’au moment où l’on s’emmerde et, avec tout ce sang cognant les grosses veines bleues de son système veineux, l’on se dit : peut-être y a-t-il autre chose à faire ?

     _ Chez nous, les couvreurs disent qu’il faut toujours regarder du bon côté de la tuile et là, il y en a un évident, non ? repris-je d’une voix douce.

     _ Ah ? Le quel ? Vous ne vous êtes pas assommé pour le compte ?

     _ Aussi. Non, mais deux lits pour un seul occupant signifie que je vais avoir deux petits chocolats sur les oreillers à suçoter avant de m’endormir ce soir, non ?

     _ Oui. C’est très probable.

     _ Je suçote divinement. Je vous l’avais dit ?

     _ Non, m’avoua-t-elle en me mangeant des yeux, visiblement plus “accro-bite” qu’acrobate elle aussi.

     _ Bon, bah faîtes moi visiter quand même, lui susurrai-je taquin en lui tendant mon bras valide.

     Et pas que ça d’ailleurs.

     _ Ici, donc, le…

     _ J’ai hâte que nous soyons séparés, l’interrompis-je l’air grave.

     Elle me dévisagea, ébahie.

     _ Par quelques microns de latex, repris-je fripon et croustillant dans un souffle rauque deux octaves plus bas que mon timbre de fausset ordinaire.

     Elle gloussa et fronça ses fins sourcils et plissa un peu les yeux de s’être fait prendre… par anticipation si je puis dire.

     Un homme doit toujours, surtout s’il est laid, narrer sa plus belle conquête et moi j’en ai deux, comme papa ! La Tchèque donc et une autre, encore plus improbable car connue, à New York. Je vous rassure, connue de ses fans uniquement. A l’occasion d’une énième célébration de cette pseudo amitié franco-américaine par le truchement, j’adore ce mot, d’une branlette de l’ego de nos créatifs, respectifs et partagés, en matière de cinéma, me voilà embarqué dans une de ces soirées pingouins et robes longues, fendues, décolletées, onéreuses et souvent ridicules qui ne font pas même le zizi tout dur tellement on s’y emmerde. Bref. J’étais là, englué, parce que transatlantique par contrats, et attendais ma conjointe partie “giving a piss a chance” à quelques encablures de moi avant que les redondances en séries ne commençassent. J’avais mis ma cervelle sur pause, autant dire que j’étais à deux doigts de l’endormissement mirettes ouvertes avec filet de bave en guise de légion d’honneur. Nous, les scribouillards de scénarios, tous plus remaniés les uns que les autres par des cohortes de peigne-culs sans talent, nous, les fils de l’ombre donc, dont seules les nécros sont publiées, et encore dans des revues spécialisées qui n’intéressent personne, n’avons que très rarement des marraines événementielles de première main avec peu de kilomètres au compteur. D’ordinaire, elles ont toutes quarante ans et plus, beaucoup plus. Comme si les actrices n’apprenaient à lire que sur le tard. On avait eu tous les rogatons des deux côtés de l’océan depuis l’instauration de ce rendez-vous annuel. Toutes les vieilles actrices auxquelles vous pourriez penser, encore au travail ou toujours en travaux, nous les avions eu. Pour la première fois, et sous prétexte qu’elle tâtait aussi un peu de la plume, nous avions droit à une jeunette amerloque classée troisième au box-office de l’année précédente, la seule qui intéresse les producteurs, et première chez les devantures de mercerie, les bourgeonnés, les ados donc. Je méconnaissais totalement “sa-vie son-œuvre” ayant juste été rencardé par un collègue que cette année la viande sur podium serait fraîche et que les lauréats des nombreux prix bidons ne risqueraient pas de rester accrocher à une rafale d’agrafes chirurgicales en cas de bisou fougueux à l’hôtesse du jour. Encore qu’avec les Etats-uniennes, on est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. Ainsi, faisais-je une crise suraiguë de stoïcisme juste après la raide carpette, derrière les portes vitrées et filtrées du grand cinéma new-yorkais qui nous accueillait depuis des années paires. Je jetais machinalement un coup d’œil depuis le haut de la vertigineuse volée de marches qui allait nous enfouir et dévisageais d’un regard fixe de lobotomisé un luisant Charlie Kaufman expliquant les subtilités de son futur script à un Jean-Claude Van Damme saignant du nez sous l’effort neuronal. Il y avait de la vieille actrice en veux-tu en revoilà, comme vous l’avez compris, de ces grandes dames auxquelles il ne viendrait à l’idée de personne de sensée de taper dans le dos de peur de se retrouver en face d’un Sharpey pour le reste du dîner si jamais les sutures dermiques venaient à lâcher. Sottement persuadée que ce n’y était pas sa place, ma cavalière ressortit des chiottes. L’expression “se poudrer le nez” n’a jamais été aussi vraie qu’avec les actrices nord-américaines. D’un signe du bras, je l’invitai à entamer la descente du-dit escalier. Elle obtempéra. Bonne fille ça madame ! Ayant gagné, de basse lutte, un prix l’an dernier, j’étais le premier remettant de la soirée et abandonnai “tarin fardé”, au pied de la fricassée de marches, qui s’en alla visser une rondelle à notre table. Enfin, la maîtresse de cérémonie, qui en avait fini avec les figures imposées du tapis rouge, déboula en haut de l’escalier puis en bas avec la même célérité désordonnée. Un escarpin était resté sur la marche numéro trois, un étage du chignon sur la neuf, un bracelet de diams pendait de la dix sur la contremarche de la onze, la seconde tatane avait fait ses adieux au convoi de viandes talées au quinzième dénivelé, et je vous épargnerai les rognures de faux ongles persillant “l’espalier de la moooooort” comme on l’appelle désormais dans le métier. Des “oh !” et des “ah !” de stupeur et d’effroi accompagnèrent la descente d’organes. Le cavalier dépassé de “miss crash test” tenta de descendre les marches aussi vite qu’elle les avait débaroulées afin de la secourir mais n’y parvint jamais et ne fit que piétiner quelques unes de ses pièces détachées. Le truc qui m’avait distrait le plus furent les sons forcément chevrotant qu’elle émit tout au long de son interminable dégringolade. La notion, relativement récente, de “bling bling” prit à cette occasion toute sa résonance. Le ras du cou finit ras du c.. et à peu près toutes les parties détachables de la jeune personne s’affranchir de leur support trémulant. L’organisateur de l’événement et le manager du cinéma hôte firent office de voiture-balais et descendirent, prudemment, les reliquats de “mademoiselle carambole”. Elle eut de la chance dans son malheur car acheva sa démonstration de ski nautique “bare-feet” en roulé-boulé pile derrière le podium où je me tenais. Les convives n’aperçurent d’elle que ses pieds nus d’un côté d’une console, qui portait bien son nom, et un morceau de chignon, reconvertit en pendentif facial de l’autre, influence grille de burka, leur cachant son honteux et grimaçant faciès fort à propos. Je branchai le micro dans la foulée, si je puis dire, sans attendre aucun feu vert de qui que ce fût, et repris la main avant que la poudre n’eut le temps de retomber en narine.

     _ Bienvenue à tous à la vingt-huitième nuit de la glisse new-yorkaise, ne pus-je m’empêcher de rire un bon coup.

     Je me détournai pour voir où elle en était de sa partie de jonchet et puzzle mélangés.

     _ Quel talon ! dis-je en m’adressant micros ouverts à fond à l’assistance mi catastrophée mi distraite par la gamelle longue durée que la jeune pousse venait de nous offrir.

     Lorsque je me retournais pour l’aider à se relever, elle était la stupéfaction faîte femme. L’assistance découvrit un «o» parfait formé par sa bouche sous de grands yeux verts qui tentaient d’imiter la rondeur buccale sans y parvenir tout à fait. En guise de préambule, je confiai plus à l’assistance rieuse qu’à mon avalanche encore toute tourneboulée :

     _ Vous faîtes vos cascades vous-mêmes ?! J’apprécie cela. Monsieur Tarantino nous a appelé pour vous faire savoir qu’il vous veut pour son prochain carnage… comme ouvreuse.

     L’ai-je bien défendu, pensai-je. A la manière qu’elle avait de se dandiner d’un pied sur l’autre, je voyais qu’elle avait mal à son… corps. Elle était sincèrement hilare désormais mais secouait toujours ses mains de façon inconsciente comme pour mélanger des doigts dérangés par la chute. Un rien sonnée, soit par un coup sur le carafon soit par le stress, elle tanguait un peu aussi. Mais je n’osais la toucher de peur d’accentuer une douleur. Mes mains déjà en garnison de part et d’autre de ses hanches, par réflexe protecteur, je décidais de la ceindre tout à fait sans même l’effleurer au niveau de la poitrine et d’incliner ma tête à distance de son épaule, les yeux mi-clos et le sourire béat. L’hilarité de l’audience devant mon attitude maladroite, mais sécuritaire quant à la prévention d’une nouvelle voltige, la réconforta tout à fait.

     _ Ladies, peut-être vous êtes vous lassées du mâle français en tant que super amant mais comme ceinture de sécurité ? Y avez-vous seulement songé ? repris-je le plus posément du monde.

     Je mimai à nouveau ma position autour de la jeune femme, certainement criblée de micro hémorragies internes à cet instant, qui se prêta à ma pantomime en inclinant sa tête au-dessus de la mienne le même air bienheureux sur le visage.

     _ Vous ne pouvez pas être trompées sur la qualité, les meilleurs sont gaulés comme des airbags, poursuivis-je en montrant ostensiblement et exagérant ma grosse bedaine, la veste de smoking éventrée, les poings vissés sur les poignées d’amour.

     Son grand benêt de cavalier, en réalité un des plus beaux partis de la ville paraît-il, osa nous approcher furtivement avec les escarpins jolis dans une main et un morceau de moumoute morte dans l’autre.

     _ Montrez-vous, jeune homme, l’apostrophai-je la voix trémolo et le doigt inquisiteur du procureur tragédien. C’est vous le fils d’un ancien garde du corps de Reagan qui a fini régulateur chez Madoff ? Rassurez tout le monde ici ce soir, vous n’avez pas l’intention de travailler dans le nucléaire ?

     Le type, sincèrement navré, se marra et déposa les croquenots aux pieds de sa belle d’un soir qui remonta dedans illico. Je me penchais vers elle, version duo de comiques des années cinquante, pendant que le bellâtre s’éloignait.

     _ Vous aviez raison, il est incroyablement jaloux… comme tous les gays, susurrai-je au micro, un rien précieux.

     Je mimais à l’assistance qu’il l’avait poussé du haut des marches et que j’étais épaté par tant de méchanceté. Il rit et s’échappa de l’avant-scène vers sa table sous quelques huées complices. Mon “catalogue à ecchymoses” se gondolait maintenant de bon cœur à côté de moi et paraissait avoir recouvré tout son lucide. J’enchaînai déchaîné…

     _ Et le prix “Nancy Reagan” de la meilleure cascadeuse mondaine revient à…

     Aussitôt, nous fûmes terrassés par un fou rire nerveux, contre chou du coq sans doute, contre choc du… bref, nous eûmes un petit coup de moins bien. Nous en étions à faire des exercices respiratoires afin de ne pas être trop en dette d’oxygène au moment de reprendre la parole à la suite du premier récompensé de la soirée. Nous n’étions que capitaines de cérémonie et le fou rire fut général. Cette hiérarchie dans l’alcool ne nous aida pas. Une fois à peu près remis, j’embrayai à sa place.

     _ Vous comprenez maintenant pourquoi, dans un pays où les spiritueux sont une chose si importante, nous grimpons les marches au festival de Cannes… et non pas… sinon… je mimai une série de chutes en cascade avec mes avant-bras, l’air outrageusement atterré.

     Nous remîmes trois prix en rafales puis nous nous séparâmes, amis devant l’adversité. Juste avant de la quitter tout à fait et de rejoindre enfin ma place, je me tournai une dernière fois vers elle. Elle tremblait encore des pieds à la tête de sa cabriole de douze mètres en pente dure mais elle n’avait perdu ni la face ni le sourire qui l’illuminait magnifiquement. Pendant que notre dernier lauréat commun s’épanchait au micro, j’enfouis mes lèvres fines dans ses cheveux follets afin de lui glisser…

     _ Méfiez-vous, vous qui êtes coquette, demain, les seins bleus, ça ne va pas avec tout.

     Elle s’esclaffa si fort que notre ultime primé en fut dérangé dans sa bafouille. Elle s’était attendu apparemment à tout sauf à ça et me lança un regard mi réprobateur mi étonné devant autant de prospective. Elle réprimait, le plus à l’ombre possible du type qui tenait le crachoir électrique, un énième fou rire le menton sur la poitrine et les mains derrière le dos en guise de pénitence implicite.

     _ Si jamais, malgré tous mes conseils, vous ressentez demain une cruelle carence en pull-overs en votre penderie ou en massages le long de la courbature qui vous servira de corps, sachez que je suis au Blue Moon hôtel sur Orchard street. Pour encore trois jours. Et que j’ai doigts de fée, baguette magique et que je vis à l’année là où on fabrique le mohair. A bon entendeur…

     Nous nous dévisageâmes en tordant nos bouches afin de garder notre sérieux.

     _ J’y penserai, murmura-t-elle dans un suprême effort d’impassibilité.

     Comme notre récompensé attaquait sa cinquième génération de gratitudes, j’étoffai mon bouquet de fleurettes au suspensoir à diamants qui lui servait d’oreille jolie.

     _ Ça y est, je m’en vais. You won’t fall apart, will you ? Sinon, afin d’anticiper toutes nouvelles chutes et, ou, de cultiver une certaine horizontalité préventive, sachez aussi que je ne fais jamais de publicité mensongère, mes bras tout entier sont véritablement à votre disposition.

     _ Et le reste ? hasarda-t-elle plus gauloise que moi.

     _ A l’hôtel. Tout à l’hôtel, on est jamais trop prudent, vous comprenez… dans ces soirées on ne sait jamais sur qui on…

     _ … tombe ? mordit-elle sa lèvre inférieure, le regard ébloui par tant de disgrâce et de rotondité rigolotes.

     Nous eûmes une œillade amusée l’un pour l’autre dans laquelle le sentiment de complicité venait de passer du stade de “on se soutient parce qu’on est à califourchon sur le même étron pour la soirée” à “nous contre les restes du monde et si possible à califourchon l’un sur l’autre à la première occase”. Elle poursuivait en appelant un autre remettant pendant que je disparaissais en des similis coulisses, en réalité, un drap noir tendu sur un côté de la scène, m’isolant de la salle mais pas complètement d’elle. A ma table, on se demanda où j’avais disparu. Avec le concours du pompier de service pour la soirée, j’enjolivai encore trois fois d’un court mime la litanie des discours et des félicités en lui proposant d’abord l’intervention d’une trousse de premiers secours blanche avec une magnifique croix rouge. Elle déclina l’accessoire et le lauréat qui bavait son sirop sur les micros cru avoir fait un bon mot pendant que la salle se distrayait de notre duo visuel en arrière-plan. Quelques cinq minutes plus tard, j’empiétai trois pieds carrés au-delà de la lisière de mon sombre drapé avec un brancard que je dépliai tel un éventail et tâtai de l’index pour vanter qualités et mérites de ce couchage furtif afin de savoir si elle pensait en avoir l’usage à court terme. Elle repoussa l’offre à nouveau en se gondolant de plus belle. Puis, une dernière fois, j’apparus au bras du pompier balaise et bodybuildé et le pointait du doigt. Elle rit encore et secoua négativement la tête après avoir hésité. Je fis signe au sapeur de dégager en coulisse en simulant une fausse mauvaise humeur qu’un large sourire forcé éradiqua. Je me désignais alors à elle en lui demandant implicitement si elle voulait de moi. Elle délibéra un peu plus longtemps que pour la montagne de muscles puis contrefit un “non”, tout sourire. Je sortis de scène sous les rires, les mains dans les poches, en shootant de rage molle dans une boîte en fer imaginaire, l’air totalement abattu.

     Sans avoir lu une pauvre ligne d’elle, je puis vous confirmer que cette demoiselle tâtait effectivement talentueusement de la plume. Jamais elle ne fut plus déesse statufiée qu’entre mes mains puisque le corps marbré pendant les trois jours que durèrent nos ébats au cours desquels les “aouch” se mélangèrent avec harmonie aux “mmm”.

     Quant à ma cavalière de début de soirée, son destin tout tracé, elle continua sur ses rails. Elle, qui avait toujours voulu être une grosse légume du métier, en devint un.

     Mesdemoiselles, mesdames, mes drames, dire non à la drogue et éviter autant que faire ce peut l’escarpin en biotope escarpé sont deux des trois leçons de la soirée. L’ultime enseignement de cette cérémonie pourrait être de témoigner à quel point il peut être bon, voire jouissif, en temps de stress et détresse, de tomber sur quelqu’un de bien qui ne veut que le vôtre. Mais peut-être me flatte-je ?

     Je ne place rien au-dessus des femmes, à part éventuellement une auréole, rarement, une couronne, de temps en temps, et une pizza, souvent. Que voulez-vous ? La force du nombre. Femme : trois orifices. Pizza : quatre fromages.

     Je sais, cela gâche un peu tout mais, que croyez-vous ?, un scénariste tuerait pour un bon maux. Ou encollerait un haut d’escalier, pour le moins.

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