Prendre soin de son intérieur

Perrine Piat

Prendre soin de son intérieur, surtout quand il fait beau, c'est rageant. J'ai envie de sortir, sentir la chaleur du soleil sur ma peau, marcher, courir. Revoir la mer. M'étourdir en chantant. Mais puisque je n'ai pas le choix, chinoiserie latente, autant ne pas faire semblant.

Les premier jours, j'étais encore celle d'hier. Avide de faire des choses, habituée à bouger, à faire du bruit, partout, tout le temps, sans répit. Un sablier dans le cœur. Un chronomètre dans la tête. Pas question de faire une pause, impossible de stagner. J'allais faire de cet endroit, où je vis à plein temps mais où je ne me repose jamais, un espace chaleureux, un cocon rassurant. Pièce après pièce.

J'ai commencé par faire de la place, par ranger. D'abord, les choses trop imposantes, encombrantes, évidentes. J'ai dégrossi la pièce principale, pilier de nos vies. J'ai oublié le travail. Et les heures de transport commun. L'esprit libéré. Je me suis ensuite consacrée à mon anti chambre. Débarrassée des bibelots intermittents. Bricoles éphémères. Babioles ordinaires. Porcelaines passagères. J'ai évacué les sorties ciné, les emplettes fantaisistes, les brunchs bobotisés, le café à prix d'or sur les terrasses chauffées. Je n'en n'avais plus besoin. Tout à coup, je me suis sentie vide. Prisonnière de l'ennui. Emmurée dans la solitude. Mais je respirais mieux. Le corps apaisé. La tête légère.

Sur l'étagère de mes remembrances, j'ai fait le tri dans ma mémoire. Réminiscences. Regrets. Impressions. Ressentiments. Sensations. Plus question de s'embarrasser du passé quand le monde nous impose le présent. Assise au cœur de moi, entourée de mes souvenirs, j'ai dépoussiéré les vestiges, apaisé les stigmates, accepté les traces. Pour aller mieux. Pour faire encore de la place.

Pour raisonner, le silence a besoin d'espace. Et pourtant, je n'arrête pas de me parler mentalement. Les lettres se fracassent contre les murs de mon esprit. Je jacasse. Je radote. Je me souviens. Je projette aussi. La lutte intérieure fait rage. Entre mon âme qui recherche le silence. Et mon esprit qui a toujours plus à dire. Colocataires ennemis. Impossibles à départager. Incapables de s'entendre. Je leur impose une médi(t)ation pour parvenir à s'écouter. En pleine conscience. Car si mon âme veut se murer seule dans le silence, écarter les murs, prendre toute la place, elle oublie que certains mots sont porteurs. Qu'elle ne peut pas s'en séparer comme ça. Qu'elle doit demandé l'avis du propriétaire. En somme, moi. Je rappelle à mon âme qu'elle doit regarder la poutre IPN qu'elle a dans l'œil avant de voir les poussières vocales dans l'œil de son voisin. Difficile cohabitation.

Pour ne pas devenir folle, ma carcasse prends souvent le relai. Coup de pompe aux bras. Les muscles squattent mes cuisses. Les fentes avalent mes fessiers. Jeux d'abdominaux, qui tombent les uns après les autres. Mon corps est une porte vers l'extérieur. La fenêtre qui m'offre de m'aérer ma tête. Je n'ai jamais eu autant l'envie de courir. De retrouver le goût amer du bitume sur mes mollets. D'apprécier les saveurs du macadam sous mes doigts de pieds. Une heure, un kilomètre. C'est déjà ça. Je me délecte de la rareté. Et du plaisir. Le plus simple soit-il. Une belle assiette, un bon repas, un verre de vin. Epicurien. Et puis, plus rien. Cela suffit.

Au balcon de mon intérieur, je prends également soin de mes plantes. Je leur parle beaucoup. Je les couvre de mots doux. Elles poussent plus vite quand on leur dit qu'on les aime. Grâce à elles toutes, plus ou moins empotées, je redécouvre l'importance des racines. Celles qui me permettent de tenir bon, de tenir debout. Les seules qui comptent finalement. Familiales. Amicales. Fraternelles, parfois. Je me réjouis de la beauté de leurs feuilles. Celles sur lesquelles j'ai envie d'écrire encore. Pour leur dire tout ce que je ressens. Je bénis le parfum des fleurs. Celles qu'on a fait naître ensemble. Le fruit de nos relations. De nos échanges. De nos aventures. De nos confidences. Mes plantes sont sublimes. Je le sais. Mais je ne le voyais pas. Je ne les voyais plus.

Dans mon for intérieur, citadelle imprenable, je suis seule et je me sens bien. Depuis que je suis contrainte de m'y reposer, je n'y ai jamais été aussi libre. Bastion de douceur. Acropole de réflexions. Château de bonheurs. Entre ces murs intimes où j'apprends à faire taire ma peur de l'avenir, mes pleurs du passé, le stress du quotidien, la petite musique de vos sourires m'accompagne jour après jour. 

Et je suis certaine d'une chose. Dans cette réclusion spirituelle à non-perpétuité, loin de m'avoir repue, la saveur de moi a ravivé le goût des autres. Le goût de vous. Le goût de toi.

Signaler ce texte