Présentation

pecheur

Pourquoi me suis-je présenté à elle sous une fausse identité ? je ne saurais vous le dire, d'autant que je n'avais rien à craindre de cette femme. Lorsqu'elle m'a dit :
- ça ne vous dérange pas que j'ouvre la fenêtre ? ça m'a tué ! en plus, elle avait une façon plutôt comique de prononcer ce prénom, en soulevant légèrement la lèvre supérieure.
Je la sentais redoutablement intuitive sous sa distance et sa réserve apparentes. Elle me regardait d'un air intimidé et bizarre, teinté d'ironie.
Après tout peut-être qu'elle se doutait que je trichais un peu avec elle, peut-être qu'elle était beaucoup moins naïve que sa fraîcheur et sa spontanéité ne le laissaient entendre.
En vérité, je n'écoutais pas vraiment ce qu'elle racontait, je l'observais et j'écoutais sa voix.
Je me souviens d'un mot qui revenait souvent dans ses propos : incongruence, et surtout de la façon étrange qu'elle avait de me regarder en le prononçant.
Alors, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu l'impression qu'elle m'auscultait avec ses yeux, en un surprenant clivage des sens, et qu'elle avait très bien capté ce qui clochait en moi.
Oui, j'étais sûr qu'elle avait compris et qu'elle n'était dupe de rien. Peut-être même qu'elle s'en amusait un peu.
Elle était très fine, très distinguée, très séduisante, mais ce n'était pas du tout mon type de femme et je crois bien qu'elle s'en doutait.
Mais elle m'intriguait. Je la sentais beaucoup moins lisse qu'elle ne voulait le laisser paraître.
Parfaitement à l'aise dans les méandres de ma pensée parfaitement maîtrisée, pendant que je tentais de surfer avec brio sur les vagues de ses aveux et parlait d'un ton mesuré, elle regardait un tableau accroché de travers sur le mur. Puis elle suivit des yeux la serveuse qui louvoyait d'une table à l'autre.
Grande, pulpeuse, le visage criblé de taches de rousseur, elle avait la grâce dégingandée et maladroite d'un daim. A présent, elle se tenait debout dans l'impitoyable lumière de la terrasse. Son abondante chevelure rousse brillait comme un soleil ébouriffé.  Elle souriait de sa très grande bouche et, lorsqu'elle répondait aux plaisanteries des clients, toutes ses dents, similaires à des touches de clavecin, jouaient une petite musique venue d'ailleurs.
- Avez-vous remarqué que cette jolie rousse est une vraie rousse ? Ses taches de rousseur sont visibles évidemment, mais on aperçoit en transparence la rousseur de sa toison. C'est charmant et excitant.
Mais la mienne est toute brune, je vous fais cette confidence car ce n'est pas ici que je pourrais vous la montrer !
 
Fasciné par le trop, le trop plein, l'excès et l'excessif qui émanaient de cette femme, mes yeux s'accrochaient au mirage de ses pensées.
Signaler ce texte