Prière du soir

Caïn Bates

      Ma petite fille est très pieuse. Depuis sa plus tendre enfance, sa mère et moi l'avons orientée vers la foi en Dieu et lui avons donné une éducation catholique. De ce fait, tous les soirs, elle fait sa prière avant d'aller se coucher. Un simple notre Père, suivi de ces quelques mots:

        "Mon Dieu, veillez sur ma maman et mon papa." 

      Mais, alors que j'allais entrer dans sa chambre pour aller lui souhaiter bonne nuit, un soir, elle était en pleine prière. J'ai attendu un peu devant la porte qu'elle finisse pour ne pas la déranger. L'habituel notre Père, puis, les quelques mots habituels. Enfin, pas cette fois. Quelque chose avait changé:

   
       "Mon Dieu, veillez sur ma maman et mon papa. Et accueillez mon tonton près de vous." 

       Je suis entré et je lui ai demandé pourquoi elle avait parlé de son oncle dans sa prière. Elle m'a juste répondu qu'elle ne savait pas, ça lui était venu comme ça. Je n'avais pas insisté plus que ça mais, le lendemain matin, on a retrouvé le frère de ma femme mort chez lui, foudroyé par une crise cardiaque.
      J'ai immédiatement fait le lien avec la prière de ma fille de la veille, mais ça ne pouvait être qu'une coïncidence. Alors j'ai gardé tout ça pour moi. Pendant la semaine qui a suivi, j'ai écouté à la porte de la chambre de ma famille ses prières, et, Dieu merci, elle ne disait que les mots habituels. Enfin, jusqu'à la semaine dernière, où, à nouveau, elle a ajouté quelque chose:


      "Mon Dieu, veillez sur ma maman et mon papa. Et accueillez mon papy près de vous."  

        Comme mon beau-père était déjà mort, j'ai immédiatement téléphoné à mon père pour lui demander si tout allait bien. Il m'a assuré que oui, il se sentait en pleine forme, et qu'il était content que je m'inquiète pour lui. J'étais soulagé de voir qu'il n'avait rien qui laisserait présager à une mort imminente, mais je n'ai quand même pas dormi de la nuit. 
         Le lendemain, mon téléphone a sonné très tôt. Mon père était décédé durant la nuit. D'une crise cardiaque. Je n'en revenais pas... Ce n'était donc pas une coïncidence. Ma fille pouvait prévoir la mort d'un proche. Je ne savais pas par quel miracle ou malédiction. La mort de mon beau-frère, ainsi que celle de mon père, m'avait profondément choqué. Je n'ai parlé de la capacité de ma famille à personne, de toute façon, personne n'allait me croire. Je n'en ai même pas discuté avec elle, ma fille ne savait sans doute pas la portée de ses paroles. Puis, avant hier, alors que je faisais ma prière avec elle, elle a de nouveau recommencé.

     "Mon Dieu, veillez sur ma maman. Et accueillez mon papa près de vous." 

      Je l'ai regardée avec de grands yeux ébahis. Les larmes ont coulé le long de ma joue. Ma fille m'a demandé ce qu'il n'allait pas. Je l'ai serrée dans mes bras en lui disant que ce n'était rien, avant de la mettre au lit. Je me suis préparé cette nuit-là, j'ai fait la paix avec moi-même. J'ai vécu une vie honorable, pieuse. Je savais que c'était le paradis qui m'attendait. J'ai fait mes adieux à ma femme, à ma fille, sans leur révéler mon destin imminent. J'ai passé la nuit à prier... et je me suis finalement endormi... pour me réveiller le matin, frais comme un gardon. Je n'étais pas mort! Peut-être que mes prières m'avaient sauvé. Je remerciais Dieu, et j'embrassais ma femme, qui était toute blême. Je lui ai demandé d'un ton jovial:

      "Et bien, qu'as-tu?! On dirait que tu as vu un fantôme!"

       Elle m'a répondu, d'une voix triste:

      "J'ai quelque chose à te dire... Quelqu'un a appelé ce matin. Ton frère est mort d'une crise cardiaque cette nuit..."

Signaler ce texte