Prochain Episode, Hubert Aquin

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La révolution du Québec, révolution « tranquille » s’il en est, à toutefois joué un rôle primordiale dans l’histoire du pays, elle marque la rupture entre le Canada-français et le Québec, et une modernisation fulgurante dans tous les domaines. Dans sa lutte pour l’indépendance et la liberté du peuple québécois, elle unissait politiques et artistes engagés, dont Hubert Aquin, intellectuel reconnu et révolutionnaire acharné.

Hubert Aquin (1929-1977), est rapidement devenu le symbole québécois de l’engagement de l’écrivain sur la place publique au début des années soixante, il s’impliquait par le biais d’essais (« Profession : écrivain » et « La fatigue culturelle du Canada français »). Il s’est ensuite fait remarqué par son éclatant retrait dans la vie clandestine, annoncé par provocation ou absurdité dans les journaux et qui s’achève évidemment très tôt par son arrestation.

Il aura eut un grand rôle dans la vie intellectuelle et politique du Québec moderne, malgré ses positions parfois radicales et contradictoires et sa personnalité singulière. Il a été jusqu'à concevoir son suicide, en 1977, à la fois comme un motif de son œuvre et de sa vie. « Je ne m’accomplirai que dans la catastrophe. » disait-il.

Très vite, l’auteur est perçu comme un être mythique, légendaire, en qui se dépose les angoisses et les obsessions collectives. Il représente dans l’imaginaire collectif, la figure de l’écrivain romantique, tragique et héroïque à la fois. Et devient presque un héros national, ayant consacré sa vie à la liberté de son peuple et de son pays. Son suicide, d’un point de vue symbolique le sacralise en le faisant peu ou prou mourir pour le Québec.

En quoi le mythe dépasse la figure du héros ? En quoi la critique à peut être forgé de toute pièce cette figure révolutionnaire ? Ceci est une autre histoire (et mon sujet de mémoire) mais c’est aujourd’hui son Grand Œuvre : Prochain Episode que je veux vous présenter. En voici l'incipit :

 

« Cuba coule en flammes au milieu du lac Léman pendant que je descends au fond des choses. Encaissé dans mes phrases, je glisse, fantôme, dans les eaux névrosées du fleuve et je découvre, dans ma dérive, le dessous des surfaces et l’image renversée des Alpes. Entre l’anniversaire de la révolution cubaine et la date de mon procès, j’ai le temps de divaguer en paix, de déplier avec minutie mon livre inédit et d’étaler sur ce papier les mots clés qui ne me libéreront pas. » (p.5)

 

 Prochain épisode, nous parle d’un révolutionnaire enfermé qui écrit un roman policier lequel traite lui-même des aventures plus ou moins vaines d’un autre révolutionnaire désabusé. Mise en abyme vertigineuse ou les deux trames s’entrecroisent et se mêlent jusqu'à se confondre totalement à certains passages. La première, celle du narrateur, est le lieu de la poésie et de l’introspection. Elle nous emporte dans des envolées lyriques flamboyantes et nous jette ensuite au plus bas de la désillusion où se trouve l’écrivain enfermé, seul face à son impuissance révolutionnaire. La seconde trame quant à elle représente l’action, mais les deux, qu’elles se mêlent ou s’opposent, sont constamment vouées à l’échec. Par le biais d’une écriture fluide et d’une structure extrêmement travaillée, le son roman emporte le lecteur dans des spirales infinies. Il s’écrit au fur et à mesure, sans début ni fin, il n’a pas d’issue. Il n’est qu’un « épisode » de l’histoire ou de la littérature, d’où son titre Prochain épisode, qui à l’image de l’ensemble du roman, mélange l’espoir d’un avenir meilleur : ce « prochain épisode » où l’on verra enfin l’accomplissement de la révolution ; et la notion d’impuissance et de vanité de toute révolte qui n’est au fond qu’un épisode parmi d’autres.

« On ne m’avait pas dit qu’en devenant patriote, je serais jeté ainsi dans la détresse et qu’à force de vouloir la liberté, je me retrouverais enfermé. Combien de secondes d’angoisse et de siècles de désemparement faudra-t-il que je vive pour mériter l’étreinte finale du drap blanc ? Plus rien ne me laisse croire qu’une vie nouvelle et merveilleuse remplacera celle-ci. Condamné à la noirceur, je me frappe aux parois d’un cachot qu’enfin, après trente-quatre ans de mensonges, j’habite pleinement et en toute humiliation. Je suis emprisonné dans ma folie, emmuré dans mon impuissance surveillée, accroupi sans élan sur un papier blanc comme le drap avec lequel on se pend. » (p.22-23)

 Prochain Episode, Hubert Aquin, Bibliothèque Québécoise, 1996.

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