Prostituée

lubine-marion-ruaud

Une prostituée sur son lit, un verre de whisky à la main et un petit tube de somnifère ouvert sur la table de nuit... Il fait nuit. De temps en temps, elle boit et avale quelques comprimés.
 
Je veux qu'on m'parle. Je veux qu'il me parle. Mais non. Il a fui, il est parti. Loin.
Je m'étais pourtant juré. Craché. (Elle crache) Elle me l'avait bien dit, Tina : "Ne tombe jamais amoureuse, jamais !". Elle n'est plus là non plus, Tina.
Mais qu'est-ce qu'il m'a pris ? Qu'est-ce qu'il avait ? Rien. Rien de plus.
Et ce silence, putain. Quelle torture ! Stop, arrête ! J'veux du bruit, de la foule ! Faut qu'je sorte... Faut qu'je crie, putain ! (Elle se lève, essaie d'aller jusqu'à la porte. Elle cogne contre la porte)
J'en ai pas voulu d'son fric . Je ne voulais rien garder de lui. Mais quelle conne !
Sauvez-moi ! Quelqu'un ! Mais y a plus personne, tu parles... plus personne. (Elle se retourne et regarde vers son lit) Que des étrangers qui me regardent mal. Qui me jugent de leur regard, qui me salissent de leurs paroles. Mais qu'est-ce que je ferais à leur place, hein ? Ouais ben justement j'y suis pas à leur place. Je les emmerde. (Elle retourne vers son lit, énervée, elle s'assoit)
Et lui aussi, j'l'emmerde, lui et son putain de fric qui pue. Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Faut qu'j'y r'tourne dans cette rue sombre, mouillée, souillée par tous les pas de toutes les filles qui marchent à la même cadence que moi. Qui font les mêmes trucs que moi pour le même tarif...
Alors pourquoi moi ? Pourquoi m'a-t'il choisie moi ? Qu'est-ce que j'avais ? Rien. Rien de plus.
J'ai froid, putain !
Je sais même pas son prénom. Robert, il m'a dit qu'il s'appelle Robert. C'est pas possible qu'il s'appelle Robert, ça lui va pas c'prénom.
Je n'aurais jamais du accepter qu'il revienne, et qu'il revienne... "Ca ne vous embête pas que ce soit encore avec vous ?" qu'il me dit ! Et en plus il m'dit "vous" !
Mais non, penses-tu, ça m'embête pas, justement, j'ai b'soin d'fric ! Et puis lui ou un autre, c'est pareil... c'est pareil, c'est... pareil... NON ! C'est PAS pareil ! C'est PLUS pareil.
Bon Dieu, mais qu'est-ce qu'il m'a pris ? (Elle se lève et reste en place)
Je les lui ai balancé à la gueule ses billets ! Ouais ! Il a rien compris ! Evidemment, une pute qui refuse du fric, son fric, une pute qui tape une crise parce que son client se casse, une pute qui a joui comme elle n'avait jamais joui, et qu'a pas fait semblant... une pute comme ça, ça courre pas les rues... Humm, moi je les arpente... Une pute comme ça, c'est pas une pute ! Et puis, lui, il voulait s'faire une pute, rien qu'une pute... c'est tout. L'amour qui s'accroche et qui l'étouffe, il a d'jà ça chez lui... Tu parles qu'il a fuit ! Il a détalé, oui !
S'il vous plait, quelqu'un... quelqu'un, s'il vous plait... y a personne ?... (Elle s'agenouille lentement)
J'te r'joins Tina. Regarde-moi, je suis bientôt là. Attends-moi. T'avais raison ma Tina, t'avais tout compris, toi. Faut pas tomber amoureuse, jamais, trop dangereux, trop risqué, et puis ça fait trop mal...
J'ai froid. (Elle finit agenouillée à côté de son lit, les bras et la tête sur le lit)
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