Purifié

ttr-telling

Loué soit le juste. Béni soit le clément. Accepté soit le repenti... Mais défait soit l'incroyant.                                                                                                                                                       Verset douze du Blanc.


Un vent féroce sifflait dans la foret avoisinante, étouffant les quelques chuchotements des villageois attirés par le spectacle, mais peinant à amoindrir les suppliques hurlées par la pauvre âme attachée au pilori. Une créature squelettique, d'apparence humaine, était solidement attachée à un piquet de bois planté au milieu de la place centrale. Une épaisse corde tressée cisaillait le cou, les poignets et les chevilles du démon qui tentait farouchement de s'en libérer.

Le silence explosa subitement sur la place, ne laissant entendre que le claquement, lourd et lent, du destrier de l'Ordre qui progressait dans la boue spongieuse du petit village forestier. L'animal était d'une taille phénoménale, protégé par une barde complète, et recouverte d'un carapaçon blanc et rouge, frappé du blason en forme de croix des Immaculés.

Son cavalier semblait tout aussi gigantesque, enfermé dans une armure en acier parfaitement entretenue, malgré des éraflures visibles par endroit. Il portait la cervelière typique des Immaculés : un heaume en forme de cloche, dont une partie amovible venait protéger l'ensemble du visage, laissant comme unique ouverture une fine fente au niveau des yeux. Chaque cervelière de l'Ordre était faite sur-mesure, ornée de l'animal représentant l'Immaculé.

Certains villageois se mirent à trembler, reconnaissant le lion rugissant.

Alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres du pilori, la créature squelettique se remis à implorer grâce. Le cavalier s'arrêta alors, toisant la pauvre âme qui geignait devant lui.
- "Qui est le chef de ce village?" Une voix lourde et grave tonna à travers le heaume au lion.

Un petit homme grisonnant et fripé s'approcha prestement du chevalier, les épaules voutées et la tète baissée, comme s'il craignait autant pour lui-même que pour la créature attachée.

- "Bonjour Monseigneur, je suis Talquin, le chef de ce village. Nous sommes honorés de.." Il fut coupé par un sifflement agacé.

- "De quoi est-il coupable?" Interrogea l'Immaculé alors qu'il quittait sa selle, atterrissant dans une explosion boueuse.

- "Hum... Eh bien... Cela faisait plusieurs lunes que nous le soupçonnions de pratiquer des rites blasphématoires dans la forêt, et nous avons fini par trouver ceci dans sa demeure..." Il présenta un fin collier en cuir, supportant un pendentif représentant un homme de paille.

Le chevalier pris le symbole des Incroyants avant de se rapprocher du condamné.

- "Est-ce que ceci t'appartient?" Demanda-t-il à travers son heaume, tenant le collier face au visage émacié du villageois attaché.

Le condamné avait les yeux révulsés par la panique. Il était ligoté, nu, affichant les stigmates violacés de la violence des villageois. Décharné comme il était, il devait être attaché ici depuis quelques jours. Ses lèvres étaient craquelées par la déshydratation.

- "Je vous en supplie... Je vous jure sur tout ce qui m'est cher que ce n'est pas à moi... Je suis un fidèle de l'Ordre, je vous le jure..!" Sanglota-t-il face au chevalier.

- "Je te crois mon ami." Dit l'Immaculé d'une voix compatissante alors qu'il sorti sa lame de son fourreau. Elle paraissait étrangement petite dans sa main, alors que le chef du village aurait eu du mal à la manier de ses deux bras.

Le visage du condamné s'illumina un instant, les yeux écarquillés, alors qu'il se répandait en remerciements.

- "Oh.. merci mon Dieu... Loués soient les Immaculés..!" Pria-t-il en pleurant.

- "Loués soient les Immaculés." Répéta le Chevalier, alors que sa lame trancha net la tête du fidèle, dont les yeux restèrent exorbités sous l'effet de la surprise et de l'incompréhension. Il se retourna ensuite vers Talquin, qui semblait lui aussi sidéré par la scène, alors qu'il rangeait sa lame dans son fourreau après en avoir essuyé le sang contre son tabard.

- "Avez-vous une bâtisse suffisamment grande pour y accueillir tout le village?"

- "Euh... Nous avons la Salle de Cérémonie... Mais..." Bredouilla le chef qui semblait perdu.

- "Où est-ce?" Coupa le chevalier.

- "C'est le bâtiment que vous voyez là bas, au bout du village..." Répondit Talquin, pointant un doigt noueux vers une longue bâtisse en bois.

- "Réunis tout le village au plus vite. Il ne doit manquer PERSONNE." Ordonna l'Immaculé avant de se remettre en selle dans un mouvement impossiblement fluide, armuré comme il l'était.

Il se dirigea ensuite vers la Salle de Cérémonie du village, de la même allure qu'il était arrivé près du décapité, pendant que le chef se hâtait d'ordonner à ses conseillers de regrouper tous les villageois.



L'immaculé faisait face à la Croix du Blanc, qui trônait derrière l'autel de la Salle de Cérémonie. Il avait ôté son heaume, laissant apparaitre une coupe rase et argentée, puis s'était agenouillé devant le symbole de l'Ordre, et n'avait plus bougé.
L'atmosphère était glaciale. Les gens se réunissaient petit à petit, s'agglutinant les uns aux autres dans un silence morbide, osant à peine échanger quelques messes basses.

Tous avaient entendu parler de Sir Lockfrey, le Chevalier au Lion, officieusement connu sous le nom de La Mort Blanche. On le disait sans peur, sans faiblesse, et surtout sans merci. Un homme à la force surhumaine et aux conviction inébranlables, capable de terrasser une armée à lui seul, et protégé, disait-on, par le Blanc lui-même.

Alors que les derniers villageois avaient rejoint l'assemblée, Talquin se rapprocha prudemment du Chevalier au Lion.

- "Monseigneur..? Nous sommes tous réunis." Hasarda-t-il à l'attention de l'Immaculé.

Ce dernier se redressa alors, encore une fois dans un geste anormalement fluide, pour quelqu'un resté agenouillé si longtemps, et surtout portant une armure si lourde.

Il se retourna vers les villageois qui s'étaient entassés vaille que vaille dans la bâtisse. Il ouvrit des yeux d'un bleu de glace, qui semblaient compatir avec la détresse du monde entier. Un regard emprunt de bienveillance et de mélancolie, qui embrassait la foule devant lui. Il avait un visage doux, malgré un nez droit et une mâchoire carrée. Une cicatrice lui barrait la joue gauche, et il lui manquait un bout de l'oreille droite. Il semblait impossible de lui donner un âge.

- "Mes amis, la graine de la corruption a été plantée en votre sein." Sa voix grave et puissante atteignait sans difficulté les plus éloignés de son auditoire. Alors que certains portaient leur main à leur bouche dans un geste craintif, d'autres virent leur regard s'embraser de colère. Mais tous restèrent muets.

"L'homme que j'ai libéré tout à l'heure n'était pas le véritable détenteur de ceci." Il exhiba le collier portant l'effigie des Incroyants, déclenchant des réactions diverses de dégoût, de peur et de colère dans l'assemblée. "Pourtant, il a laissé cette ignominie s'abriter sous son propre toit, ce qui l'a rendu coupable de négligence et même de protection du, ou des, hérétiques qui se terrent parmi vous." Des regards effrayés et méfiants fusèrent dans tous les sens entre les villageois. Lockfrey apaisa la foule d'un geste de la main.

"Rassurez-vous, mes amis. Je suis ici pour m'assurer que la corruption ne s'étende pas au-delà. Je vais vous purifier de la gangrène qui vous ronge." Il se mit à marcher doucement en direction de l'entrée de la bâtisse, alors que la foule s'écartait sur son passage. Lorsqu'il mit enfin un pied hors de la Salle de Cérémonie, il observa un instant la chute du soleil à l'horizon, qui se vautrait dans un lit de lueur rosée, avant de se retourner vers les villageois.

"N'ayez crainte, mes amis, car l'ordre des Immaculés a entendu votre appel."

Sur ces mots, il referma la double porte de la bâtisse, avant d'y fixer une lourde chaîne pour la verrouiller.

"N'ayez crainte, mes amis, car le Blanc est avec vous !"

Il alluma plusieurs torches au brasero qui brûlait devant la bâtisse, alors que les villageois commençaient à taper timidement à la porte, ne comprenant pas ce qu'il se passait.

"N'ayez crainte, mes amis, car Le Chevalier au Lion vous libérera !"

Il fit le tour de la bâtisse, enflammant à différents endroits les planches de bois, avant de jeter les torches sur le toit en paille...



L'immaculé resta devant le brasier la nuit entière, impassible, hermétique aux hurlements du village qu'il était venu purifier.



TTR.

  • Episode terrible et toujours tellement bien écrit.
    Plus besoin de séparer le bon grain de l'ivraie.
    Glaçant et génial.

    · Il y a plus d'un an ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Merci !
      Et oui... pourquoi s'embêter à trier lorsque l'on peut tout brûler.. :)

      · Il y a plus d'un an ·
      Tree paper

      ttr-telling

    • J'ai pensé au film: le vieux fusil, ou, évidemment, à Oradour sur Glane.

      · Il y a plus d'un an ·
      Lwlavatar

      Christophe Hulé

    • Ah, ces noms me sont malheureusement inconnus ^^
      J'essayerai de m'y pencher si je trouve le temps ! :)

      · Il y a plus d'un an ·
      Tree paper

      ttr-telling

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