Quand j'avais 5 ans, je m'en ai allée

mathieub

Voici une nouvelle histoire écrite elle aussi en toute improvisation avec la complicité de SophieA, avec pour cadre de départ deux enfants de 5 ans, à la rentrée de janvier.

Son texte est en normal, le mien en gras.


 C’est la nouvelle année, dehors la neige a fondu, ça fait de la bouillasse partout. Prisca déteste ça. Va falloir qu’elle mette ses bottes. Ses bottes qu’elle perd à moitié en marchant, qui font glisser ses chaussettes en plis douloureux sous ses petits pieds. Après faut qu’elle change de chaussures pour entrer en classe, pour « pas tout salir » dit la maîtresse mais mettre ses petites chaussures avec des grosses chaussettes c’est mission impossible ou presque. Prisca soupire. Heureusement à l’école y a aussi Lucas. Lucas c’est son meilleur ami depuis la petite section. Il est grand, c’est le plus grand de la classe. Prisca c’est la plus petite. Parfois les enfants lui disent qu’elle trop mini-mini alors Lucas leur dit d’aller se faire voir et tout bas il lui dit que c’est elle la plus jolie. Y en a qui raconte qu’ils sont amoureux. Prisca ne sait pas trop ce que ça veut dire. Tout ce qu’elle sait c’est qu’elle est bien avec lui. Ils s’amusent comme des fous et ils se disent tout. Enfin jusque là. Prisca a un lourd secret. Pendant les vacances elle a apprit quelque chose de terrible. Elle était cachée sous la grande table de la cuisine. Avec la nappe qui tombe bas, ça fait comme une cabane, Prisca adore jouer là. Et alors qu’elle fredonnait une chanson à sa poupée, papy et papa sont entrés et… Oh rien que d’y penser elle frémit.

Prisca traîne des pieds sur le chemin. Sa mère lui dit de se dépêcher. De toute façon elle est toujours pressée sa mère. C’est la course tous les matins. Prisca accélère. Elles arrivent la grille est déjà ouverte. Un baiser sur le front et ça y est, sa mère s’est envolée. Prisca avance dans la cour, elle cherche Lucas mais ne le voit pas. Pourvu qu’il ne soit pas malade. Prisca garde ses yeux rivés sur l’entrée et elle attend…

Ce matin, Lucas est arrivé tôt à l'école, le premier même. Il est un peu triste que la neige soit en train de fondre, mais il aime bien quand même parce que ça fait de la bouillasse qui fait des drôles de bruits quand on marche dedans. Pendant les vacances, il est allé pour la première fois au ski avec ses parents. C'était génial, il a même eu son flocon ! Le moniteur ne voulait pas le croire quand il lui disait qu'il n'avait que cinq ans tellement il est grand. Lucas est super fier et il a hâte de montrer sa médaille à Prisca. Prisca c'est sa meilleure amie, il la connait depuis qu'il est né au moins, et c'est la plus jolie de toutes les filles du monde. D'habitude, il aime pas trop les filles, elles savent pas jouer et elle pleurent tout le temps, mais pas Prisca. Les autres disent qu'ils sont amoureux, mais ils osent pas le dire trop fort parce que c'est lui le plus grand de la classe, et comme Prisca c'est la plus petite, il la protège. Lucas ne sait pas trop ce que ça veut dire d'être amoureux de Prisca. Il lui en a parlé une fois, c'est ça qui est super avec Prisca, il peut tout lui dire. Plus qu'à sa mère même !

Lucas aime bien faire rire Prisca, elle a une façon de rigoler qui la rend encore plus jolie, alors ce matin il a décidé de se cacher dans la cour pour lui faire la surprise, ça marche à tous les coups avec elle ! Il attend longtemps, et ne répond même pas aux copains qui veulent savoir ce qu'il a eu pour Noël, Il commence à s'inquiéter, pourvu qu'elle ne soit pas malade. Non, c'est bon, elle arrive, elle regarde partout, mais bien sûr elle ne peut pas le voir, il est trop bien caché ! C'est bizarre, d'habitude elle va voir ses copines, mais là elle reste plantée au milieu de la cour à regarder la grille. Tant mieux, ça sera plus facile de lui faire la surprise. C'est pas normal quand même qu'elle reste comme ça. Lucas arrive derrière Prisca et lui pose les mains sur les yeux. Il n'a même pas le temps de lui dire « qui c'est ? », Prisca se retourne et le serre fort dans ses petits bras. Lucas est déçu et inquiet en même temps, déçu parce qu'il a raté son coup et que Prisca ne rigolera pas, inquiet parce que Prisca ne le serre jamais dans ses bras à l'école parce que les autres vont encore dire qu'ils sont amoureux. Mais il s'en fiche, c'est son rôle de la protéger, un peu comme un grand frère, même si ils ont le même âge, et puis elle sent si bon ! Même quand elle ne met pas de pshitt, elle sent bon.

Il attend qu'elle le relâche pour lui faire un bisou. Il voit bien que quelque chose ne va pas, mais il hésite à lui demander pourquoi elle a l'air tout triste.

- Tu viens, on va se mettre en rang. Papa il a dit que si j’avais encore un feu rouge cela allait chauffer. Et moi je déteste avoir trop chaud. Cette semaine faut qu’on ait un feu vert d’accord Lucas ? Faut qu’on soit sage comme des images. Je veux pas que papa y soit pas content…

- D'accord Prisca, on va essayer d'avoir un feu vert, mais d'habitude c'est plutôt toi qui m'évites d'avoir des feux rouges; toi t'as que des verts! T'en as eu un à la maison c'est ça? 

Prisca baisse les yeux et ne répond pas. Ils montent en classe. La maîtresse a décidé de changer chacun de place. Non seulement ils ne sont plus à la même table mais ils sont à l’opposé dans la salle. Prisca fait son exercice de « l ». La maîtresse dit que c’est des boucles mais Prisca voit bien que c’est des « l ». Prisca sait déjà lire. Elle a appris toute seule comme ça pendant l’été, il pleuvait tellement fallait bien s’occuper. Elle s’était un peu entrainée à écrire aussi. Bref Prisca s'ennuie. Elle s’imagine que les « l » sont des vagues. Bientôt elle voit un bateau surgir, avec des voiles blanches et…

- Prisca ? Prisca !

- Oui maîtresse.

- Tu as fini ?

- Presque.

- Cesse de rêvasser et dépêche-toi !

Prisca lance un regard à Lucas puis se remet à l’œuvre. Celle-là aussi elle est toujours pressée…

Lucas se sent mal pour Prisca qui vient presque de se faire gronder, mais il lui a promis de ne pas avoir de feu rouge alors il s'applique sur ses « l ». Il est tellement concentré sur sa ligne, le nez à trois centimètres de la feuille, tentant désespérément de faire de jolie boucles malgré le crayon qui ne fait que des boucles moches, qu'il ne remarque même pas la maîtresse qui se penche au dessus de lui.

- C'est bien Lucas, tu vois quand tu veux...

Lucas aurait voulu lui répondre qu'il pourrait s'appliquer encore plus si Prisca était à côté de lui, mais le temps qu'il tourne sept fois sa langue dans sa bouche (et c'est pas facile !) comme lui a dit de faire sa mère avant de dire un truc qui est peut-être une bêtise, la maîtresse est déjà partie gronder Mathieu qui écrit sur la feuille de Sophie pour la faire bisquer.

Lucas sait que Prisca connait déjà ses lettres, et l'admire énormément pour cela, lui il les mélange encore un peu, surtout celles du milieu. Comme dit son père en rigolant à propos de sa mère : elle est belle, intelligente et sympa en plus, qu'est-ce que je peux vouloir de plus ? Et bien c'est pareil pour lui et Prisca, mais il ne peut bien sûr pas le dire, sinon les autres penseraient qu'ils étaient amoureux... Alors tout ce qu'il peut faire pour le moment, c'est de s'appliquer et d'être sage pour avoir un feu vert.

Sa ligne de « l » terminée, Lucas lève la tête et ses yeux cherchent automatiquement sa Prisca, si loin là-bas, à l'autre bout du monde de la classe. Bien sûr elle a déjà fini...

Prisca lui envoie un sourire et la cloche se met à sonner. Ils descendent, main dans la main, se mettre en rang a cet avantage et se dirigent directement près de leur grand arbre dans le coin de la cour. Soudain des larmes surgissent des yeux de Prisca.

- Lucas… Je crois que mon papa aime plus ma maman et m’aime plus moi.

- Pourquoi ? Ta maman aussi elle a eu un feu rouge ? C'est bizarre, normalement c'est que les enfants qui en ont. Il t'a dit quoi ton papa ?

- Il a dit à papy qu’il voulait partir, que la vie de famille c’était pas pour lui et le pire c’est que papy il a rien répondu. Il nous aime plus sanglota-t-elle.

- Mais ça veut pas dire qu'il t'aime plus, parce que ça, c'est juste pas possible! Et puis, si tu veux, tu peux venir habiter dans ma maison, mes parents, ils t'aiment bien. Et en plus, des fois, maman elle dit que si elle pouvait encore avoir des bébés, elle aimerait bien avoir une fille, alors tu vois...

- Ça serait super mais maman ne voudra jamais. Je crois que je vais partir, c’est mieux comme ça papa peut-être qu’il restera avec maman si je suis plus là.

- Comment tu fais pour avoir toujours des super idées comme ça ? Mais tu peux pas partir toute seule, t'es pas assez costaud. Je vais avec toi, comme ça je te protège et toi tu nous emmènes. Où ça au fait ?

- Tu te rappelles quand on est parti trois jours à la ferme avec le centre de loisirs ? Les gens y zétaient trop gentils là-bas ! Je suis sûre qu’ils seraient contents qu’on vienne les aider avec les vaches et les cochons !

- Oui, c'est sûr ça! Génial! Et pis de toute façon, comme je veux être vétérinaire, ça tombe bien! Ya juste un truc qui m'embête, je me rappelle plus trop comment on y va... Tu te souviens, on était assis au fond du car pour y aller. Bof, on verra bien.

- C’était un peu loin mais pas trop. On peut regarder l’adresse sur le panneau d’affichage dans l’entrée !

- Mouaif... Tu peux y aller toi, moi je sais pas encore lire toutes les lettres...

Prisca va dans le hall, sort son petit bloc et son crayon de sa poche et se met à recopier consciencieusement l’adresse. Mais Lucas a raison comment y aller ? Des fois sa mère elle prend des taxis. Faut voir…

Lucas regarde avec admiration Prisca écrire dans son petit carnet. C'est pas croyable comme elle est intelligente! Bon, ça va quand même pas être facile cette histoire. Une fois retournés dans la cour sous leur arbre, ils passent le reste de la récré à se dire ce qu'il faut emmener, du pyjama au jouet préféré, du doudou (pour Prisca, lui il en a plus besoin) à la brosse à dents. Il a un peu honte quand il dit à Prisca que si il savait écrire, il aimerait bien laisser un mot à son papa et à sa maman, mais comme il sait pas, ça va plus vite!

Ils décident de partir le mercredi, quand il y a centre, les parents n’entrent pas toujours pour parler aux animateurs. A eux de faire les grands et de persuader leurs parents qu’ils donneront leur nom tout seul ce matin-là ! Et comme des fois faut apporter des trucs pour bricoler, leur sac à dos n’aura rien de louche…

La journée s'écoule sans feu rouge. Le lendemain aussi, Lucas et Prisca passent tout leur temps libre à comploter joyeusement, même si une angoisse sourde commence à leur faire des bulles dans le ventre. Le mercredi matin, Lucas est prêt, il a son sac à dos plein à craquer de tout ce qui peut servir quand on part à l'aventure. Sa mère lui a demandé en partant ce matin pourquoi il avait autant de trucs dans son sac, et il lui a dit qu'ils allaient jouer à l'aventure, comme ça il a pas menti. En arrivant au centre, il demande à sa mère de le laisser entrer tout seul, qu'il est grand maintenant. Elle dit d'accord, comme ça elle va gagner du temps. Il embrasse sa maman un peu plus fort que d'habitude et descend de la voiture. Prisca est déjà là, derrière le mur, comme prévu, courbée en avant sous le poids de son petit sac rose. Lucas voit qu'elle a peur. Lui aussi.

Ils se cachent le temps que tout le monde entre. La deuxième sonnerie retentit, les portes se ferment. Prisca et Lucas se regardent. Ils commencent à marcher en longeant la haie. En allant à la gare, c’est sûr y aura des taxis. La gare est vers le bas, ça ils le savent. Ils espèrent bien qu’il y aura des panneaux pour leur dire le chemin. Prisca ne peut s’empêcher de prendre la main de Lucas. Elle tremble. Elle a peur mais elle sait qu’elle n’a pas le choix. Elle le fait pour sa maman et son papa.

Lucas essaye de rassurer Prisca, il fanfaronne qu'il est content de partir avec elle, et surtout qu'il est sûr que ça va marcher leur technique pour que ses parents s'aiment encore. Il a un petit peu peur, mais il doit être costaud, c'est son rôle ! Ils marchent vite vers la gare, les gens les regardent bizarrement, mais ne leur disent rien, donc tout va bien. En voiture en rentrant à la maison avec sa mère, il passe devant la gare, mais ça va beaucoup plus vite ! Au bout de presque (…) longtemps de marche, ils arrivent à la gare, Prisca désigne le panneau marqué Taxi un peu plus loin, il y a même une voiture arrêtée devant. Ils se dirigent hardiment vers la Dèrcémès (il reconnaît l'étoile, c'est son père qui lui a appris), et Lucas essaie d'ouvrir la porte de derrière, mais elle est fermée. Le chauffeur se retourne alors et leur fait des gros yeux.

- Où sont vos parents les enfants ?

- Ils sont pas là, on doit aller les rejoindre chez nous, tenez monsieur, voilà l'adresse s'il vous plait merci.

Lucas n'en revient pas de son culot, et comme il a tout bien dit les mots magiques, il est sûr que ça va marcher. Il demande à Prisca de lui donner la feuille de son carnet où il y a l'adresse de la ferme et la tend au monsieur du taxi.

Le chauffeur les laisse monter. Leur dit de s’attacher et il démarre. Il roule cinq minutes et s’arrête devant un bâtiment.

- Y a écrit POLICE dit tout bas Prisca, dès qu’il ouvre la porte faut qu’on s’enfuit…

Le taxi ouvre la portière mais au moment où il veut empoigner Lucas celui-ci lui lance un grand coup de poing là où ça fait mal (merci le baby- karaté). Les enfants le bousculent et se mettent à courir aussi vite qu’ils peuvent. En longeant des travaux, Prisca voit un espace entre les panneaux qui ferment la zone, elle se glisse à l’intérieur. Lucas la rejoint. 

Lucas suit Prisca sur le chantier, lui attrape la main et l'entraine derrière une pelleteuse. Ils restent longtemps cachés a reprendre leur souffle. Quelle course! Quelle trouille! Quel coup de poing!

Lucas regarde sa précieuse Prisca qui est toute pâle malgré la course.
- T'inquiètes pas, il peut pas nous suivre ici, il est trop gros! On l'air bien eu hein?

- Oui. T’es trop fort mais comment on va faire maintenant ? T’as vu là bas y a une cabane.

En fait de cabane c’est plutôt un local pour les ouvriers pour manger. Y avait à côté des toilettes qui sentent super mauvais. Bizarre pourquoi n’y a-t-il personne pour travailler ? Les enfants décident d’y élire domicile. Prisca mit un peu d’ordre. Lucas installa leurs affaires.

- Il est quelle heure Lucas ?

- Je sais pas, j'ai pas de montre et de toute façon je sais pas très bien lire l'heure. T'as vu comme ça put ici? On dirait là où ya les cochons à la ferme... Mais bon c'est pas grave, tu veux bien me raconter pourquoi ton papa il t'aime pu, j'ai pas tout compris?  Bah non ma Prisca, pleures pas, chuis là moi! Lucas serre fort Prisca contre lui.

Tout à coup, il se sent tout petit, 5 ans, c'est quand même pas beaucoup...

- Mon papa voulait pas de m’avoir. Tu vois il voulait bien être l’amoureux de ma maman mais pas mon papa. A deux ils étaient heureux, à trois ça va pas. Toi tu ne m’abandonneras pas hein ?

Prise par les émotions de la journée, Prisca s’endort dans ses bras. Quand elle se réveille. Elle regarde Lucas. Elle le trouve si beau dans son sommeil. Elle le regarde et elle sent que rien de grave ne peut lui arriver tant qu’il est à ses côtés.

Doucement, elle se lève, sort des compotes à boire, des biscuits, leur petite bouteille d’eau à chacun, des mouchoirs en papier pour serviette de table et elle installe le tout sur la table.

Lucas est réveillé par des petits bruits autour de lui, il ouvre juste un peu l'œil droit et regarde Prisca qui s'affaire autour de la table. Il aime la regarder, elle est jolie et ses mouvements sont doux comme elle. Il voit bien qu'elle est en train de préparer le déjeuner, et ça tombe bien parce qu'il commence à avoir un peu faim, et envie de faire pipi aussi. Il s'étire bruyamment comme le fait son papa, et répond au sourire de Prisca. Lucas est un peu gêné, mais il doit sortir parce que son envie est de plus en plus pressante. Une fois dehors, il se dirige vers les toilettes mais l'odeur est trop horrible, alors il fait un peu plus loin en se disant que Prisca ne pourra jamais aller dans un endroit aussi sale. Alors qu'il a presque fini, une ampoule s'allume dans sa tête comme dans les livres, vite, il retourne à la cabane en courant à fond, et annonce fièrement à Prisca qu'il a eu une idée géniale.

- Je sais où on va aller ! On va pas rester dans cette cabane toute pourrite, ça sent trop mauvais, et c'est trop sale. On va aller dans la maison de ma mamie, c'est pas loin et je sais comment on y va à pied parce que j'y suis déjà allé avec maman. En plus, ma mamie elle est pas là parce qu'elle est dans une autre maison où elle fait de la retraite avec des autres mamies, alors sa maison elle est vide. Et encore en plus je sais où elle cache la clé : dans un pot de géraniomes à côté de la fenêtre. Comme ça, on aura une maison où il fait chaud, et ya même une télé, et des vrais toilettes où on peut faire Tarzan vu qu'y a des barres un peu partout. On y va après manger ok ?

Après avoir terminé leur collation, Prisca et Lucas se mettent en route. Il leur faut une petite heure de marche et quelques hésitations sur le chemin à suivre, pour arriver à la maison de la grand-mère. Personne ne les a vus car ils ont fait bien attention à se cacher à chaque fois qu'un adulte a regardé vers eux. La clé est bien à sa place et c'est avec fierté que Lucas ouvre la porte et laisse passer Prisca devant lui avant de refermer la maison.

- Je sais, ça sent un peu bizarre, mais au moins il fait chaud. Viens, je vais te faire visiter la maison. Là c'est la cuisine, là le salon avec la télé, là la salle de bains avec les toilettes de Tarzan, et là la chambre de ma mamie. Nous on ira dormir là-haut, ya ma chambre qui est toujours prête d'habitude.

Ils retournent dans le salon et Lucas allume la vieille télévision. C'est la trois, que sa mamie regarde tout le temps. Le chiffre est tout effacé sur la télécommande. Il veut changer et mettre Gulli quand Prisca lui serre le bras. Lucas lève la tête et regarde l'écran : il y a sa photo et celle de Prisca à la télé! Des bandes rouges avec des écritures défilent en haut et en bas de l'écran, et même quand il change de chaîne, c'est pareil !! Il enlève la prise du casque de sa mamie pour écouter, et un monsieur dans la télé dit que c'est une alerte enlèvement, avec son nom et celui de Prisca.

Lucas et Prisca se regardent, l'air hyper sérieux.

-Ils croient que quelqu’un nous a volé dit Prisca. Ils zont rien compris. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Si on rentre on va se faire gronder-griller tellement ça va chauffer.

- Ça c'est sûr! On peut plus rentrer maintenant. Qu'est ce qu'on va faire? Je crois pas qu'ils vont avoir l'idée de venir ici, mais bon, on sait jamais avec les grands...

- Il faut qu’on se cherche une super cachette dans la maison, on y met nos affaires et on se met dedans si quelqu’un arrive. Toi t’es super fort à cache-cache, j’suis sûre que tu vas trouver un endroit !

Lucas se prend la tête à deux mains pour mieux aider ses idées à venir, et ça marche!
- Je sais, on va aller dans la maison des souris!! C'est dans le grenier tout là-haut, ça s'appelle comme ça parce que ma mamie elle arrête pas de dire qu'elle entend des souris qui trottent, on est même allé à la chasse avec mon papa, mais on a rien trouvé, et en plus dans le grenier ya plein de vieux trucs super pour faire des cachettes. Viens, je te montre, tu vas voir, c'est génial! Prisca suit Lucas dans l'escalier jusqu'au palier de l'étage, puis ils escaladent l'échelle de meunier qui monte au grenier. Un formidable bric à brac s'étend alors devant leurs yeux émerveillés par tant de cachettes possibles. Lucas se tourne vers Prisca et lui dit simplement :

-Là, ils nous trouveront jamais!!

Les enfants remplissent leur bouteille d’eau et montent toutes leurs affaires. Lucas récupère un gros édredon dans l’armoire de sa grand-mère et deux oreillers bien moelleux. Ils ont un peu de mal à les hisser mais finissent par y arriver. Pendant que Lucas leur aménage un coin pour dormir, Prisca s’approche d’une malle et l’ouvre. A l’intérieur, il y a plein de vêtements d’un autre temps, des chapeaux, un boa, des jupons, des rubans ! Prisca commence à faire des essayages, quel trésor cette malle ! Soudain, vêtue d’un grand chapeau et du boa elle éclate de rire et dit :

- Bonjour je suis la princesse de la rose-marguerite de France.

- Bonjour princesse, je suis le bandit gentil lucas-robin de lox... de loclè...euh , des bois !! Répond Lucas en se coiffant d'un vieux feutre à plume rongé jusqu'à la corde. Prenez garde, le méchant chérif à gros bidou vient vous embêter. Venez dans ma planquette dans les bois, il nous trouvera pas....

Ils se jettent dans le gros édredon en riant quand la sirène d’une voiture de police retentit…

Lucas et Prisca se figent brutalement, ils n'ont plus du tout envie de rire. Vite, ils se cachent sous l'édredon avec juste une petite ouverture pour voir si quelqu'un entre, et ils font la statue. La sirène s'arrête tout près de la maison et tout à coup, quelqu'un frappe à la porte. Une grosse voix de policier les appelle par leur prénom, mais pas bête, ils ne vont pas répondre ! Lucas se demande s'il a refermé la porte à clé. Il sent Prisca qui tremble collée contre lui, il voudrait la rassurer, mais il a un peu peur aussi. Il sait bien que les policiers sont gentils avec les enfants (c'est son papa, sa maman et la maîtresse qui l'ont dit, alors...), mais quand même, il sait que si ils se font prendre, ça va griller les fesses, c'est sûr...

Un grand bruit se fait entendre. Les policiers sont entrés. Les portes claquent. On les appelle. Prisca se met à pleurer doucement. Quelqu’un monte à l’échelle. Les enfants retiennent leur respiration quand l’édredon s’envole. Un policier leur tend la main. Ils sont bien obligés de le suivre.

Dans le salon y a les parents des deux enfants. Lucas se jette dans les bras de sa maman. Prisca reste en arrière, elle regarde son père.

Le policier la prend par la main. Prisca dit :

- C’est ma faute. C’est moi qui voulais partir. Lucas y voulait pas mais il est venu pour m’aider. C’est moi qui dois aller en prison pas lui.

- Personne n'ira en prison ma puce, et je suis bien content que vous soyez en pleine forme ton copain et toi.

Le policier se tourne vers les quatre parents et sa voix change de ton :

- Quant à vous, je vous invite à rechercher rapidement et gentiment les causes de cette fugue, des enfants si jeunes ne se sauvent pas pour rien, il y a certainement un problème quelque part, que les enfants ne comprennent pas, et il n'y a pas besoin d'être devin pour voir que c'est chez la petite que se situe le problème.

La voix du policier redevient toute douce et il prend les mains de Prisca et de Lucas en se mettant accroupi pour les regarder bien en face :

- Vous allez me faire une promesse tous les deux, vous ne recommencez pas à vous sauver comme ça, tout le monde a eu très peur pour vous, surtout vos parents, à tous les deux, il y a des gens méchants qui peuvent vous faire du mal. Ok, tapez dans ma main si c'est promis.

Lucas tape fort dans la grosse main du policier, Prisca tape aussi, mais tout doucement.

Les parents échangent leur numéro de téléphone. Lucas et Prisca se regardent. Lucas lui envoie un petit sourire pour l’encourager.  Dans la voiture Prisca se tait. Elle regarde par la fenêtre. Elle sait qu’elle va devoir s’expliquer mais pas ce qu’elle peut dire. Sa maman sait-elle que son papa n’est pas bien avec elles ? Le mieux serait de parler à son papa tout seul d’abord.

En rentrant Prisca se réfugie dans les bras de sa maman qui la couvre de bisous en lui disant qu’elle avait cru mourir de peur. Prisca se laisse faire et quand l’étreinte de sa mère se relâche enfin, elle lui demande si elle peut parler à papa toute seule. Sa mère accepte.

Prisca prend son papa par la main et l’emmène dans sa chambre. Le père très ému se laisse conduire tel un pantin.

- Papa tu sais pourquoi je suis partie avec Lucas ?

- Non ma chérie. Je ne comprends pas. C’est de ma faute ?

- Papa je t’ai entendu dire à papy que tu n’étais pas très famille…

- Oh ma puce quand je disais cela je voulais dire que les grosses fêtes de famille comme à Noël me pesaient… m’embêtaient tu vois ?

- Mais papy il a rien dit !

- Parce que lui aussi ça l’embête… Beaucoup de monde, beaucoup de bruit, beaucoup de blablas… Trop de nourriture, trop de cris, trop de chichis.

- Bah pourquoi on reste pas juste tous les trois alors ?

- Parce que la famille c’est la famille… On s’aime et de temps en temps faut qu’on soit tous ensemble pour se le montrer...

Prisca n’est toujours pas rassurée.

- Papa. Si jamais ça va pas avec maman ou avec moi, tu me le diras hein ?

Lucas n'a rien dit dans la voiture, ses parents non plus d'ailleurs. Ils n'ont pas arrêtés de se regarder tous les deux, puis de le regarder lui sans rien dire. Il ne sait pas trop si il va se faire gronder ou pas, mais il voit bien que son papa le regarde avec les yeux qui brillent pas pareil que maman. Arrivés à la maison, Lucas voudrait aller dans sa chambre, mais papa lui montre le canapé et lui dit juste un mot :

- Raconte.

Lucas s'assoit juste sur le bord du gros coussin de cuir noir et avale difficilement sa salive. Puis il raconte son aventure avec Prisca, comment ils ont décidé de partir pour que ses parents s'aiment encore, comment ils ont marché, pris le taxi, tapé le monsieur, fait la sieste dans une cabane qui sent très mauvais, marché encore, vu la télé chez mamie, fait une cabane dans la chambre des souris et quand le policier les a trouvés. Lucas est soulagé quand il voit son papa éclater de rire sous le regard noir de sa maman.

- Tu ne nous refais jamais ça, ok mecton ? Maman et moi on était morts d'inquiétude pendant que tu jouais les jolis cœurs avec ta copine. Tu sais que si il t'arrivait quelque chose, ça serait terrible pour nous. Alors si ta Prisca a de nouveau des soucis, tu la protégeras mieux en l'invitant à la maison, plutôt que de vous enfuir ! Allez, embrasse tes parents, Casanova de bac à sable !!!

Le papa de Prisca promet de lui dire si jamais ça ne va pas puisque il a une si grande fille, et d’ailleurs lui a-t-elle demandé l’autorisation pour grandir aussi vite d’ailleurs ? Prisca éclate de rire et file prendre un bon bain plein de bulles et de gel douche vanille. Pourvu que Lucas ne se fasse pas trop gronder songe-t-elle en versant un café au lait à son canard en plastique.

Le lendemain Prisca court presque pour aller à l’école. Elle embrasse à peine sa mère et se précipite dans la cour. Mais où peut bien être Lucas ?

Arrivé à l'école le lendemain matin, après une (trop) longue embrassade avec son papa et sa maman qui sont venus l'emmener tous les deux, Lucas file vers son arbre pour se cacher et faire la surprise à Prisca, mais il voit bien que ça ne va pas être facile :tous ses copains sont là, à l'attendre. Comment ces idiots peuvent être déjà au courant ? Il est immédiatement entouré par tous ses copains et même des filles, qui lui posent tous des questions tous en même temps, c'est n'importe quoi. Le seul moment où ils se taisent tous, c'est quand Prisca arrive dans la cour. Elle ne le voit pas tout de suite tellement il y a du monde autour de lui. Heureusement, leur exploit de la veille leur confère auprès de leurs copains une autorité presque magique, et ils parviennent à aller s'assoir dans un coin du préau. Lucas n'est plus gêné de prendre la main de Prisca devant tout le monde, à présent...

- Alors, il a dit quoi ton papa ?

- Il a dit que ça allait bien avec maman et moi. Que c’est les fêtes avec tout le monde qu’il aime pas. Et que si ça va pas il m’en parlera parce que je suis une grande fille maintenant enfin dans ma tête parce sinon j’suis quand même pas bien grande !!! Et toi tu n’es pas fait disputer ?

- Non, pas du tout même, ils m'ont dit que tu peux venir quand tu veux à la maison, et que je suis un Casonava de bac à sable. Tu sais ce que c'est toi ? Un bac à sable je connais, mais un Casonava je sais pas, en tout cas ça faisait drôlement rigoler mon père !

- Cazo Nova… C’est pas un joueur de foot ?

- Je sais pas, je joue pas au foot. Je crois qu'il était content quand il a dit ça, alors ça doit être un truc de grand. N'empêche, c'était rigolo chez ma mamie, t'étais vachement belle avec le grand chapeau et le bidule avec des plumes !

- Merci je vais demander ça pour mon anniversaire : un chapeau, et une écharpe en plumes ! Lucas, je voulais te dire. Merci d’être parti avec moi, t’es vraiment mon meilleur ami pour de vrai !

- Ouais, et toi aussi, pour toute la vie !

  • Ca fait du bien de la relire. Elle est jolie notre histoire, j'avais oublié à quelle point !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    389154 10150965509169069 1530709672 n

    sophiea

  • C'est insupportable cette impossibilité quasi absolue de publier un texte dans son intégralité sur ce site, il manque toujours quelques mots en fin de page, je ne suis pas loin de penser que c'est une honte pour un site de cette qualité!! Il serait temps que le webmaster remédie à cela. A bon entendeur... Pour les lecteurs qui se sentent pris en otage, il est possible de croiser la lecture de ce texte avec celui de SophieA...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Fightforkiss

    mathieub

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