Quand je serai grand
dokus-k
1992-1995
Adieu mon enfant
Soudain, papa me demanda ce qu'allait devenir ma vie, ce que je comptais en faire. Quel sens pourrait-elle bien avoir, depuis ma décision terrible d'abandonner Jéhovah ?
Automne 95, fin de journée maussade, retour du lycée, côte à côte dans sa voiture, voie express Annecy-Epagny, direction la Balme de Sillingy. Nuit tombante, pluie battante, le rythme hypnotique des essuie-glaces, obscurité et confidences, son Audi en confessionnal. Je le sentais désarmé, sincère, sans filtre ni posture, m'interroger comme jamais auparavant. D'un père à son fils, d'homme à homme, d'âme à âme. Une question nue, franche et directe, désemparée aussi. Je le savais triste, je n'étais guère plus joyeux.
Je culpabilisais encore de ne plus être cet enfant si parfait, petit singe savant disant amen à tout, jouant son numéro sur le bout des doigts, devant un public conquis et des parents bouffis d'orgueil. Comblés de voir en leur fils, l'unique, un fidèle disciple zélé, inconditionnellement voué à la Vérité.
Seulement voilà, depuis longtemps déjà je ne jouais plus. Remisés à la cave le chapiteau et les costumes, basta la comédie, j'avais définitivement tiré le rideau sur ces décors en papier crépon. Plus de quinze ans à faire semblant de croire à leurs histoires, leurs châteaux de cartes, mais je ne pouvais plus, je n'en pouvais plus. C'était Jéhovah ou moi, ma liberté ou la secte en boulet. Vital et urgent de mettre terme à cette relation toxique.
Tout désavouer en bloc : l'enseignement, la doctrine, mes racines, ce qui pour mes parents constituait l'essence et le sens de la vie, le seul chemin à suivre. Pour moi, une imposture, perverse manipulation dont je ne voulais plus être la marionnette. Déterminé à vivre, sans savoir ce que cela impliquait, ce qui m'attendait, me donner cette liberté qu'on ne m'avait jamais accordée jusqu'alors. Devenir mon propre pilote, décider sans être dicté. Prendre les clefs, démarrer, rouler. Voyage vers l'inconnu, mais le volant entre mes mains et les pédales sous mes pieds. Lâcher la secte avant d'étouffer, avant de perdre totalement conscience, noyé dans le tourbillon d'une foi aveugle et asservissante. Mon éducation volée en éclat, grenade dans le bunker, renier Dieu, ses lois despotiques, ses ego trips et ses putains de prophètes. Majeur pointé au ciel, apostat, je tuai le Christ une deuxième fois, claquant au passage un high kick à Jéhovah.
"Je ne sais pas ce que sera ma vie papa, mais je ne veux plus laisser quiconque en prendre les commandes et décider à ma place. Qu'importe mes choix, je resterai à jamais ton fils, hein papa, même si je suis plus TJ ?
- Oui ... Mais plus rien ne sera comme avant."
Amen
Très intéressant comme texte. Le sujet est rarement évoqué. Il me fait penser qu'il y a un mois, alors que je me promenai en pleine montagne sauvage, je me fis aborder par deux personnes de ce mouvement ayant été missionnées pour faire du prosélytisme dans un hameau minuscule. J'ai constaté qu'ils étaient désormais bien armés de tablettes graphiques présentant des passages "choisis" de la Bible. Chrétienne moi-même, nous partîmes dans une belle discussion argumentée au terme de laquelle ils se trouvèrent en mauvaise posture. Ce qui m'effare dans ce genre de mouvement sectaire, est le manque de libre-arbitre des adeptes, dont on constate rapidement que leurs certitudes sont fragiles et faciles à remettre en cause.
· Il y a plus de 8 ans ·Finalement, si vous en êtes parti, c'est que vos parents vous ont transmis suffisamment de libre-arbitre. La seule chose à conserver dans le cœur, est que l'amour si fort qui lie les parents et leurs enfants est autonome.
Bon courage à vous.
divina-bonitas
Merci, tu as raison, l'amour sauve.
· Il y a plus de 8 ans ·dokus-k
A quand une suite décrivant les conséquences de ce choix?
· Il y a plus de 8 ans ·campaspe
C'est une idée, j'en prends bonne note !
· Il y a plus de 8 ans ·dokus-k