Quarante jours

lucieangegi

Nous voici a quanrante jours du depart du père de mes filles, un père acerbe et psychologiquement violent. Allégresse, douleur et inquiétudes se mélangent dans ce text pour exprimer l'indicible...

Nous voici à quarante jours de ce nouveau départ. Le décompte nous libère et nous aliène. Il nous uni et nous déshumanise. Je n'aime pas cette anticipation coupable mais obligée. Nous avons souffert si longtemps sous le joug que nos épaules en ont pris la forme, que notre échine s'est courbée pour anticiper ce poids, que nos cuisses se sont fortifiées pour aller de l'avant. Nous avons appris à vivre non pas avec ce joug mais presque pour lui. Il est gravé dans notre physionomie. Notre corps adapté en tout point à recevoir cette souffrance a entrainé notre esprit à faire abstraction de la douleur. Voici que l'instrument de l'esclavage va nous être enlevé. L'allégresse qui nous a gagnée à l'annonce de la date libératrice s'amenuise. Il n'est point de regret, mais combien de temps pouvons-nous garder cette allégresse légère, innocente, insouciante ?...

Il nous reste quarante jours. Cela fait 4 fois deux mains pour Elsa qui n'a que cinq ans. Cela fait 6 semaines d'école pour Marie qui a treize ans et probablement une douzaine de contrôles. Cela fait 6 séances d'équitation pour Karine, 9 ans qui trouve toute la chaleur du monde dans le flanc des chevaux qu'elle aime panser. Elle aime la bête qui n'a aucun verbe mais semble acquiescer à ses réflexions contrariées et conflictuelles.

Aiment-elles le père qui les fait souffrir, qui les déconstruit à chaque signe d'élaboration dans leurs initiatives ? Aiment-elles leur père qui ne peut affirmer son existence que par la domination de tout être autre que lui ? Aiment-elles un père qui prend le câlin et ne redonne rien ? Si donner est aussi recevoir dans la plus belle symbiose, ne reçoivent-elle pas malgré lui quelque chose de leur don d'elles-mêmes ? La tristesse n'est que l'ombre de la joie et comme la lumière existe avec son ombre étroitement associée, il ne peut exister de joie sans tristesse. Il ne peut exister d'appréciation de la joie sans connaissance de la tristesse. Embrasser la joie c'est se donner à la souffrance. Accepter sa souffrance c'est se préparer à recevoir sa joie.

Aujourd'hui, à quarante jours de ce nouveau départ, je m'adonne. J'abandonne délibérément mon âme à l'étreinte de l'angoisse. Mon corps répond à cette souffrance par l'étau qui se serre sur mon cœur, le poids qui s'abaisse sur mon thorax, mes épaules qui se figent, le froid qui gagne mes extrémités. Je sais que cette étreinte ne me tuera pas. Rien jusqu'à présent n'a réussi à m'ôter la vie. Ma force vitale s'est amenuisée, mais rien n'a pu éteindre le feu qui anime mon existence. Je n'étais pas destinée à mourir ainsi. Et parce que je sais que je ne vais pas mourir, je peux m'abandonner à cette douleur pour qu'elle devienne douce et profonde. Je peux la disperser dans chaque cellule de mon corps, la diluer jusqu'à ce qu'elle devienne insignifiante. C'est la même dose, mais dispersée, dissoute dans l'océan de mon être. Elle n'est plus concentrée dans mon âme mais dans toute la somme de ce que je suis. Je suis plus grande que les limites physiques de moi-même. L'air autour de moi semble souffler sur la douleur irradiante et l'emporter loin dans le vent. Déjà je deviens plus légère. La souffrance sur ma peau s'évapore par mes pores tandis que celle plus au centre s'affaire à ré-établir l'équilibre des concentrations. L'intensité au centre s'éteint tout doucement et le sentiment s'amenuise comme par le flux des échanges thermiques.

A quarante jours de ce nouveau départ, je suis de nouveau prête après avoir expié la souffrance d'aujourd'hui, à préparer une joie solide et paradoxalement délibérée. Nous avons fait une petite liste pour ces 40 jours de choses que nous voulons faire car l'attente ne nous apporte rien si ce n'est l'échéance. Il nous faut construire dans l'attente pour qu'elle ne nous amenuise pas. Dans notre petite liste, nous allons nourrir les oiseaux, leur faire une maison, faire des batailles de boules de neige (faites qu'il neige), faire des bonhommes de neige (faites qu'il neige plus). Nous allons faire nous-même des décorations de Noël, comme Marina nous a appris, que nous garderons en sécurité pour dans 41 jours. Alors, nous pourrons les sortir et les planter dans toute la maison pour qu'elle revêtisse un air de fête, l'air de rien. Je la vois bien, notre maison, siffloter, insouciante, et sourire doucement. Ce sera Noël à la maison pendant 40 jours. Finalement, nous n'allons pas célébrer notre libération, nous allons simplement fêter Noël à notre façon à nous. Nous fêterons ensuite le premier jour de l'année le 12 Janvier, peut-être. Nous célèbrerons peut-être même ce nouvel an chinois. Peu importe les dates, il y aura toujours matière à célébrer quelque chose autour du monde, de la vie à la mort, du début de quelque chose à sa fin, de notre vie d'avant à notre renouveau.

Le temps saccadé ramènera les enfants à leur vie d'avant un weekend sur deux et la moitié des vacances… Mais ils seront forts car ils sauront où aller trouver un havre près de chez eux à ce moment-là. Ils sauront oú trouver de l'aide car c'est tout un réseau qui se forme autour d'eux pour illuminer de bougies l'ombre qui pourrait les menacer. Car le noir ne peut rester oppressant dans la lueur dansante de la flamme qui apporte chaleur et lumière. Les filles sauront si ce n'est apprivoiser le monstre, au moins le revêtir d'un bonnet multicolore, lui mettre des robes de princesses et s'unir pour lui raconter des histoires amusantes. Elles sauront, ensembles, démunir son sarcasme, dévaluer sa critique acerbe, déconstruire les murs qu'il construira entre elles, et s'il le faut l'imaginer en bonhomme de neige en vacances à Hawaii…

  • Faites vous confiance et donnez vous du temps car je vous promets il fera son oeuvre.
    Vous vous pardonnerez et ne ressentirez pour cet homme que de l'indifférence.
    Bon courage à vous et à vos enfants.

    · Il y a environ 6 ans ·
    40405 (2)

    Lady Etaine Eire

  • Merci Marie...
    C’est à moi qu’il faut que je pardonne. Cela se fera doucement quand je serais prête. Belle vie à toi!

    · Il y a environ 6 ans ·
    Default user

    lucieangegi

  • Un texte qui a fait plus que me remuer...je me reconnais en toi, pour avoir vécu, une expérience similaire... sans jugement aucun, il n'y a pas pire que l'emprise de la violence psychologique, vis à vis de laquelle j'adoptais la technique du repli et ai pardonné avec le temps...courage à toi et profitez bien...il y aura des jours meilleurs...

    · Il y a environ 6 ans ·
    W

    marielesmots

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