QUI ES TU ?

johnnel-ferrary

QUI ES TU ?

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     Il a ouvert les yeux. Tout autour de lui avait changé. Il y avait des machines roulantes, des gens habillés avec des costumes inconnus, lui qui ne connaissait que des guenilles offertes par des marchands ayant eu pitié de lui. Des cheveux trop longs, une barbe poivre et sel lui défigurait le visage. En le voyant ainsi, une femme s’écria qu’il ne devait pas se retrouver ici, dans cette avenue où seules les boutiques avaient pignon sur rue.

-      Nous ne voulons pas de pauvres ici, fous le camp, va ailleurs porter ta misère, lui avait-elle dit en le toisant d’un regard haineux.

Lui n’avait pas répondu étant donné que le langage de cette femme lui était inconnu. Pourtant, il avait bien compris. Personne ne voulait de lui ni le voir déambuler au sein de cette rue où les marchands venaient vendre des objets dont il ne pouvait connaître l’utilité exacte. De riches parures afin d’habiller les femmes, de magnifiques machines roulantes qu’aucun bœuf ni cheval devait entrainer ? Cela le surprit, et plus encore, il vit de suite des montagnes habitées qui crevaient le ciel tourmenté par de lourds nuages gris. Depuis que son père l’avait abandonné sur son pilier de bois, et pendant que les villageois le fustigeaient en lui souhaitant une mort nécessaire, il avait regardé autour de lui. Non, ce n’était pas ce paysage dont il avait gardé en mémoire, les contours naturels. Où se trouvait-il désormais ? Il aurait voulu demander son chemin, mais à qui exactement ? Et cette femme endimanchée le montrant d’un doigt sévère, pourquoi l’avait-elle jeté de ses paroles incendiaires ? Lui qui venait de loin, comme par miracle, d’une autre époque, d’une autre galaxie peut-être ? Alors, courbant le dos, il quitta ce secteur et trouva enfin refuge sous un pont. Mais là encore, il n’était pas le bienvenu parmi ces gens qui comme lui, portaient haillons.

-      Eh ! mec, tires toi d’ici, autrement on te casse la gueule, et comme t’es aussi gros qu’une allumette, tu ne feras pas le poids contre nous. Tu sais, ici nous sommes déjà douze, et un de plus c’est beaucoup trop…

Le chiffre douze… Et bien oui, voilà que la mémoire lui revenait. Pierre, Jacques, Luc, et surtout Jean et ne pas oublier Judas le traître qui en fait, n’en était pas un ! Oui, son ami Judas, son meilleur ami, devait lui servir d’alibi afin qu’il puisse accomplir sa mission. Sauver ce putain de peuple humain au prix de sa vie… Et il avait réussi, mais hélas, son propre père l’avait abandonné à la dernière seconde. Il s’était évanoui, et voilà que maintenant, les yeux grands ouverts, il se retrouvait dans ce monde totalement inconnu. Il ne comprenait pas comment des machines pouvaient se déplacer aussi facilement, et ces montagnes aussi droites qu’un morceau de bois et arrachaient des nuages au ciel bleu gris ? Le pire, ce sont les habits de ces hommes et de ces femmes. Quand à ces lumières envahissant l’espace, ce n’est pas certain que son Père en fût le Créateur ? De nouveau, il prit son baluchon et s’en alla. Mais pour aller où ? Alors qu’il passait devant une église, quelqu’un l’interpela.

-      Jésus, Mon Seigneur, tu es enfin là ! Nous t’avons tellement prié que tu as entendu nos prières. Viens te réchauffer, il y a du chauffage dans notre sainte mère qui est aussi ta maison, n’est-ce pas ?

Qui était cet homme qui le dénommait Jésus alors qu’en réalité il s’appelait Erno BARNE, qu’il était l’auteur de ce récit, c’est-à-dire moi-même ? Oui, c’est moi qui me ballade dans les rues pauvres de la capitale, oui, c’est bien moi qui traîne mes guêtres et ma pauvreté dans les bars qui ferment après minuit. Alors qui es-tu toi qui me dis Jésus, qui es-tu donc pour me parler ainsi ?

-      Vous êtes l’auteur de ce court récit, n’est-ce pas ?

-      Effectivement, dis-je. Et cela change quoi au juste ?

-      Nous attendons le retour du Messie, nous l’attendons depuis des siècles, et tu es là Mon Seigneur… Viens, tu es chez toi ici, dans ta maison et celle de ta Sainte Mère ! Ton Père t’a guidé jusqu’à nous, qu’Il en soit béni.

-      Non, répliquai-je sèchement. Mon père, oui, mon père m’a abandonné, je ne le juge pas, mais je ne peux rien pour vous qui êtes ses créatures.

-      Mais tu as donné ta vie pour nous voyons, et chacun de nous te béni.

-      Et bien vous avez tord, mon père m’a roulé dans la farine comme vous dites si bien ici. Et lorsque je devais m’évanouir, il m’a quitté lâchement. Je viens de me réveiller et me voici dans votre monde dont je ne connais rien.

-      Nous allons t’apprendre notre monde, celui de la finance, des marchands, de la politique, des humains qui voyagent dans le ciel… Vois autour de toi cette richesse que l’on doit à Ton Père car il nous a donné la lumière de la sagesse, de la bonté, de la créativité. Nous avons vaincu des maladies, nous avons combattus les virus, et tout dans notre société urbanisée, aseptisée, chacun baigne dans le bonheur merveilleux que l’on te doit puisque tu nous as libéré du pécher en te sacrifiant à notre place. Merci à Toi Seigneur, viens avec moi te réchauffer !

Devais-je accepter sa proposition, la refuser ? D’abord, je n’étais pas celui qu’il croyait que j’étais, donc pas question d’accepter le fait de me retrouver dans un grand local où seule, est sublimée la prière vers un au-delà dont j’ignore tout. Pendant qu’il entrait dans l’église, je me suis mis à courir très vite afin d’échapper à son regard. Je vis un trou béant muni d’escalier. Je me précipitais dans cette sorte de vide pour me retrouver dans un espace aussi peu clairvoyant que celui que je venais de quitter. Les gens me regardaient en faisant des grimaces, en me crachant dessus. Puis vint la Police, avec matraques et colts au poing.

-      Arrêtez vous, donnez nous vos papiers d’identité. Mains sur la nuque, et à genoux.

Mince, et dire que je devais m’exécuter sous peine de me retrouver avec des trous comme une passoire. Je suis certain que les flics auraient fait feu de tout bois. J’en rigole, je sais, mais sur le coup, ce ne fut pas une grosse rigolade. A genoux, mains sur la tête, je me sentais con au possible. Et puis, il y eut un coup de grâce. Une main sur mon épaule me fit me retourner. Mon épouse me souriait.

-      Viens manger, le repas sera froid si tu ne viens pas. Tu écris quoi au juste mon chéri ?

-      Euh… Un type qui ressuscite et se retrouve dans notre monde. Une sorte de clodo…

-      Tu parles de Jésus, me demanda t-elle.

-      Décidément, vous en voulez à ce Jésus… Et bien non, le type en question c’est moi, et personne d’autre voyons !

Alors que je m’apprêtais à quitter mon poste d’écriture, la machine électronique continuait d’écrire. Mais cette fois-ci, ce n’était plus moi aux commandes. Ce que vous lisez actuellement vient de je ne sais qui, ou alors il existe une âme humaine dans ce mécanisme appelé ordinateur ? Et le type en question courait dans les rues de la capitale avec des policiers de la BAC aux trousses. Pieds nus, en guenilles, il semblait survoler le lourd et froid bitume des avenues. Soudain, plusieurs flics lui tirèrent dessus, mais à priori, les balles ne faisaient que le traverser sans pour autant qu’il en soit blessé ni même tuer. Face à l’écran de l’ordinateur, j’en étais médusé. Et si ce personnage était bel et bien Jésus le Sauveur ? Et si pour quelques minutes j’étais devenu moi-même ce Sauveur d’humanité en perdition. J’en parlais tout de go à ma femme qui ria à gorge déployée.

-      Toi, le Sauveur d’humanité ? Déjà, tu devrais chercher du boulot plutôt que de te complaire à ce statut d’écrivain raté ! Le mois dernier, tu n’as gagné que huit cent euros avec tes histoires, et en supplément, ton éditeur t’a ponctionné cent cinquante euros pour l’achat de l’ordinateur. Si tu continues ainsi, je demande le divorce.

C’est vrai, écrire n’est pas un métier, tout au plus un gagne misère. Et moi je fais partie des losers, de ceux qui écrivent des historiettes afin d’amuser le bon peuple qui parait-il, ne lit plus à cause de l’informatique. Dire que je devais me résoudre à laisser tomber l’écriture et me trouver un job dans une agence de sécurité comme vigile ! Le comble pour le Sauveur d’humanité que je suis… Bref, je me suis installé à la table et j’ai commencé par distribuer le pain, et je me suis servi d’un bon verre de vin rouge. Un Bordeaux millésimé. Boire peu mais bien. Après le repas, un bon cigare en compagnie de mon vieil ami Judas qui lui, est toujours banquier car il a eu toujours le sens des comptes ronds et bien pensants. La vie a quand même du bon n’est-ce pas ? Pendant ce temps, l’homme qui vient d’échapper aux policiers, s’est réfugié dans le hall d’une gare désaffectée. Surtout que dehors, il pleuvait à forte pluie capable d’inonder le sous-sol de la capitale et du métropolitain. Puis il s’est assoupi sur un banc et s’est endormi. A quoi a-t-il rêvé ? De qui ? Alors que je terminais le succulent repas de ma future divorcée d’épouse, je me suis posé cette question. Qui es-tu toi qui dort sur le banc d’une gare, serais-tu le Sauveur ou bien serait-ce moi ? Cette question m’a fait rire. Comme si un clochard pouvait devenir le Sauveur de ce monde qui allait se perdre avant la fin de l’année ? LOL !

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Johnnel BERTEAU FERRARY né à PARIS treizième arrondissement le 19 Janvier 1953.

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