qui sème le vent récolte la tempête...

Lolita Denoual

extrait saga


  Le 17 avril, deux humains moururent. Erin et son fils Cal O'Brien s'éteignirent sans faire de vague, dans la cuisine de leur petite maison.

La veille au soir, le maire leur avait rendu visite en personne pour leur remettre une lettre, cette fameuse lettre au sceau de la lune rouge qui d'ordinaire n'apparaissait qu'à l'occasion du solstice d'hiver.

Cal avait eu l'insigne honneur d'être choisi comme tribut potentiel. C'était un tribut exceptionnel mis en place pour l"anniversaire de la fille cadette du roi Ancien. Cal et d'autres jeunes devraient rejoindre la place principale de leur village dans la matinée et à l'heure où la plupart dorment encore, ils monteraient sur l'estrade, où exposés comme du bétail, ils attendraient la décision de l'Ancien venu faire son choix parmi eux. Ce que devenait l'élu ensuite, nul le savait mais Erin O'Brien avait bien quelques soupcons...

Le 17 avril au matin, deux humains moururent. Seulement deux ? Un simple fait divers, une goutte d'eau dans l'hécatombe mais le battement d'ailes d'un papillon, le drame silencieux dans une petite cuisine parfois fait naitre une tempête à l'autre bout de la planète. Le 17 avril au matin, Ronan O'Brien, neveu et cousin, découvrit les corps et dans son coeur, les premiers vents de la révolte commencèrent à souffler.

***

C'est étrange la vie. Avant d'ouvrir cette porte, Cal était vivant, tante Erin une certitude d'étreinte chaleureuse et de gateaux sortis tout chauds du four. Avant d'ouvrir cette porte, l'oncle Bryan était cette force tranquille, un objet inébranlable aux muscles noueux qui supportait toute la famille sur ses robustes épaules. On ne comprend pas la valeur d'une personne avant de l'avoir perdu. Ronan n'avait pas mesuré l'influence que ce frère ainé exerçait sur son propre père avant que celle ci disparaisse.

Oncle Bryan avait toujours fait tampon, réprimant le caractère violent de son cadet, il avait aussi offert à Ronan l'amour paternel qui lui avait fait défaut.

Si oncle Bryan avait fait figure de père, tante Erin avait été une mère dépourvue du fardeau de culpabilité que portait sa véritable génitrice. Quant à Cal, il était le héros que Ron avait toujours admiré. D'un tempérament aventureux, il était celui qui fonçait tête la première dans les pires ennuis et s'en sortait sans une égratignure avec ce sourire nonchalant qui était sa marque de fabrique mais tout ça, c'était avant d'ouvrir cette porte.

Cette nouvelle journée avait débuté sur la promesse d'un temps radieux, le poussant à sortir ses crampons du placard et à courir chercher Cal. Aucune partie de foot ne pouvait avoir lieu sans son talentueux cousin qui dans les cages avait tout d'une muraille impénétrable. Un grand sourire aux lèvres et son meilleur ballon sous le bras, Ron ouvrit la porte...

Il ne comprit pas. Le cerveau a tendance à débrancher quand le ciel vous tombe sur la tête. Sur le coup il crut que les éclaboussures rouges sur le mur jaune de la cuisine étaient le résultat d'une énième expérience culinaire de tante Erin, comme ce malheureux pudding qui un jour avait explosé sur le carrelage , les aspergeant tous de confiture de fruits rouge.

—C'est rien oncle Bryan, tu sais bien que ça part au lavage, voulu t-'il dire à cet oncle qui assis de manière à bloquer l'entrée de la pièce, se balançais d'avant en arrière dans ses vetements maculés.

Pourtant Ron ne dit pas un mot, peut être parce que son cerveau avait beau avoir débranché, il restait une petite voix en lui qui savait que ce n'était pas de la confiture.

Les larges épaules d'oncle Bryan bloquaient la vue, l'empêchant de voir plus bas que les murs jaunes, l'empêchant de voir ce qui se trouvait sur le carrelage. Ses crampons avancèrent d'eux même et il se rapprocha suffisamment pour apercevoir l'éclat métallique du revolver dans la petite main potelée de sa tante.

Celle ci avait posé sa tête sur le torse de son fils, ses cheveux roux, foncés par le liquide vital, se déployaient sur le tee shirt Metalica de son fils unique et dissimulaient une partie des dégâts mais hélas, pas ceux causés par la balle que Cal avait reçu en plein milieu du front.

La bouche de Ron s'ouvrit sur un hurlement, le ballon de foot lui échappa des mains et roula, roula...

Dans la nuit du 18 avril, un Ancien mourut.

Les cloches des églises sonnèrent d'un bout à l'autre du territoire et tandis que les prêtres, secrètement en liesse, célébraient le trépas du monarche, sur la façade de chaque mairie, le pavillon à la lune rouge était mis en berne.

Pendant ce temps là, une petite silhouette encapuchonnée quittait discrètement l'enceinte du château et s'enfonçait dans les terres...

Le 8 juillet, à cette heure indue qu'on appelle entre chien et loup, une jeune femme s'éveilla. Ayant l'impression de s'être couché seulement une minute plus tôt, la tentation était grande d'enfouir sa tête sous l'oreiller ( en l'occurrence son sac) et de reprendre sa nuit là où elle l'avait laissé.

Toutefois, un instinct né après plusieurs mois d'errance sur les routes la poussa à secouer les dernières brumes du sommeil.

En tant que fugitive, un voyage qui ne lui aurait prit d'ordinaire que quelques jours, s'étirait en longueur ne serait ce qu'à cause du temps perdu en détours pour éviter ses poursuivants mais elle touchait au but comme l'adresse glissée dans sa poche en témoignait.

Il lui avait donné devant les portes du château, sa haute silhouette se découpant dans l'ombre des tourelles, symbole à lui tout seul de tout ce qu'elle laissait derrière elle. Mais à présent elle était toute proche, sa cavale allait enfin prendre fin et peut être qu'elle allait justement échouer à cause de ça.

La fatigue lui avait fait baisser sa garde, délaissant le bord des chemins pour le luxe d'avoir un toit sur la tête, elle s'était piégée entre quatre murs et commençait juste à saisir son erreur.

Parfaitement immobile sur le sol poussiéreux de l'hôtel désaffecté qu'elle avait choisi comme refuge, elle garda la respiration paisible d'une dormeuse et les oreilles grandes ouvertes sous le manteau qui lui tenait lieu de couverture tandis qu'elle refermait doucement ses doigts sur la garde de l'épée qui ne la quittait jamais.

Un frémissement infime, le froissement des vêtements autour d'un corps en mouvement.

Une lame transperça le cuir de son manteau mais elle n'était déja plus là. Ayant roulé hors de portée, elle dégaina son épée courte et fit face à ses adversaires.

En assassin parfaitement entrainé, le premier homme ne se démonta pas, extirpant sa claymore des ruines de ce qui avait été son trench coat préféré, il darda sur elle les prunelles rougeoyantes d'un Ancien tandis que son partenaire la contournait par la gauche, tentant de l'encercler.

La jeune femme se fendit d'un sourire sans joie et recula jusqu'à s'adosser au mur recouvert de moulures d'un or terni.

Ses arrières protégés, elle fit sauter son épée d'une main à l'autre, surveillant ses adversaires du coin de l'oeil.

En tant qu'escrimeuse aguerrie, face à des combattants tout aussi qualifiés, elle ne prit pas la peine de surveiller leurs pieds qui dans un duel étaient souvent les premiers à trahir un mouvement. C'eut été les insulter. Supprimer ces gestes inconscients étaient la première chose qu'ils devait apprendre pendant leur formation de traqueur.

Non, au lieu de ça, elle resta parfaitement immobile en dehors de ses mains qui répétaient encore et encore le même geste.

Soudain sans se concerter, le duo bougea avec l'assurance d'une équipe bien rodée.

Le premier tomba une dague au milieu du front, l'objet métallique qu'elle était parvenu à dissimuler à leur vue par un vieux truc de prestidigitateur émit un grésillement électrique, gorgé de sa propre magie qui empêcherait l'homme de se régénérer le temps qu'elle s'occupe de son copain.

Celui ci frappa comme un boeuf et elle recula de plusieurs pas, la main dangereusement engourdie.

Cette fois elle ne s'en sortirait pas avec une pirouette, ayant épuisée tous ces tours, elle ne pouvait que compter sur ses talents naturels qui ne seraient hélas peut être pas suffisant.

Elle grimaça tandis qu'il abattait de nouveau son arme sur la sienne et changea de nouveau de main, parvenant à lui infliger une estafilade sur l'épaule. Pas de quoi se réjouir, déja elle recommençait à perdre du terrain.

Son dos heurta la rambarde de bois qui surplombait d'environ six mètres le rez de chaussée. Un rapide coup d'oeil, elle déglutit avant de se recentrer sur son adversaire qui rengainait son arme.

Elle comprit trop tard, quand d'un geste digne d'une cour de récrée, il la poussa du plat de la main. Le bois pourri céda et il n'y eut plus que du vide derrière elle.

Elle agita les bras comme un stupide volatile bien qu'elle n'ait pas grand espoir de se voir soudain pousser des ailes et ... Arrêt sur image.

Yeux écarquillés comme un lémurien, bouche ouverte sur un "merde" tonitruant, la situation n'est guère brillante, c'est même le genre de situation où on a désespéramment besoin d'un miracle.

Quoique un double maléfique ça peut aussi faire l'affaire.

A toi de jouer, songea t-elle à contre coeur

Avec plaisir ! lui répondit une voix interne

Le rictus satisfait du traqueur penché au dessus du vide se changea en un air horrifié tandis qu'une tempête d'éclair lui revenait en pleine face.

Volant en arrière au son d'un rire terrifiant, la dernière chose qu'il vit fut la fille qui atterrissait en douceur sur ses pieds avant de le gratifier d'une révérence ironique.

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