Qui sommes-nous ?

Marine Poirier

-          « Joyeux anniversaire chéri ! 

-          Qui es-tu ? »

Le timbre sensuel de cette voix féminine me réveillait brusquement. J’appuyais violemment mes mains sur le lit pour redresser le haut de mon corps.

-          « Qui es-tu ? »

Une femme aux yeux et aux cheveux sombres s’étendait nue devant moi, et son regard dénonçait la surprise :

-          « A quoi joues-tu Lucas ? »

Je ne m’appelle pas Lucas… Qui était donc cette femme qui prétendait me connaître ? que faisait-elle dans mon lit, à me souhaiter mon anniversaire en plein mois de Mai alors que je suis né au milieu d'un triste mois d'hiver ?

-          « Qui es-tu ? »

Une belle femme, c’était certain, même si je ne me laissais pas distraire par la vue de son corps… cependant ses yeux dénonçaient la déception et je pouvais voir son cœur se briser au travers… elle était belle, oui, séduisante et avait l’air dotée d’une tendresse admirable, j’aurai même pu l’aimer, j’en suis certain… mais il était trop tard.

-          « Voyons Lucas… Qu’est-ce qui t’arrive ? »

Sa voix était douce, et son timbre légèrement rauque lui donnait un charme des plus sensuels… J’aurai pu l’aimer... mais je ne voulais pas.

Ses doigts effleurèrent alors ma joue, ses yeux noirs fixaient les miens d’une lueur inquiète. Elle entourait ses bras fins autour de mon cou et se rapprochait de moi… je pouvais alors sentir son cœur battre à travers sa poitrine contre mon maigre torse… cette femme était sans doute folle ou perdue, que sais-je, mais elle semblait me connaître et son attention à mon égard me touchait… je ne ferai rien pour la brusquer ni lui faire peur… je soulevais alors doucement son menton de mes doigts pour voir ses doux yeux. Ma voix se fit tendre :

-          « Qui es-tu ? »

Ses yeux devenus mouillants ne quittaient pas les miens… je lui avais fait de la peine… elle étrangla un sanglot pour me répondre :

-          « Mais Lucas, tu ne me reconnais vraiment pas ? Arrête, cette plaisanterie ne me fait pas rire ! 

-          Je ne m’appelle pas Lucas… »

La pauvre femme était hors d’elle, je l’avais vexée sans doute… Elle se levait en étouffant un cri de rage. Elle était totalement nue, plus aucun morceau de drap ne dissimulait sa poitrine et ses hanches… elle était fine et gracieuse, mais mes yeux restaient cependant fixés sur son visage. Tandis qu’elle enfilait ses sous-vêtements noirs, je tentais une nouvelle fois ma dangereuse question :

-          « S’il te plait… Qui es-tu ? »

Elle tourna sa tête vers moi, affichant un regard noir accusateur :

-          « Je croyais que me retrouver après toutes ces années te faisait plaisir, mais tu as décidé de jouer à ce jeu stupide ! Je m’en vais puisque c’est ce que tu veux, je m’en vais, et je ferais en sorte de ne plus jamais croiser ton chemin ! »

Un jean, un petit haut, des escarpins noirs et une veste printanière enfilés en quelques secondes, suivies d’un claquement de porte, et en deux minutes l’appartement était vide. Et j’étais seul, assis sur mon lit, les draps recouvrant le bas de mon corps, à m’interroger sur ce qui venait de se passer… j’avais sans doute rêvé…

            Le réveil affichait 9h00. Aujourd’hui, c’était dimanche, et j’avais fait un rêve étrange cette nuit… un rêve dont le souvenir restait parfaitement gravé dans ma mémoire, et dont les odeurs flottaient dans la triste réalité de mon appartement vide… il sentait un parfum vanillé, fruité, qui éveillait en moi toute la sensualité féminine, une sensualité que j’avais perdue depuis 3 ans déjà. Je ne savais pas que les rêves avaient des odeurs, encore moins des odeurs de femmes, et que ces odeurs emplissaient encore les narines au moment du réveil. 

            Je me levais pour me diriger machinalement vers la salle de bain. J’entrais dans la douche, allumait l’eau, et bientôt la buée emplissait le miroir et la fenêtre. Mes idées s’évaporaient en même temps que l’eau brulante… je ne pensais plus à rien.

            J’allumais une cigarette avant de prendre ma tasse de café pour aller m’installer sur la terrasse. Les questions qui s’étaient d’abord évaporées sous la douche ressurgirent : ce rêve était si étrange … son parfum resté sur les draps de mon lit m’intriguait, même s’il ne m’était cependant pas désagréable. Cela faisait 3 ans qu’aucune femme ne s’était plus penchée sur moi, même dans mes rêves … depuis que Marie était partie, ma vie n’était plus qu’un long gouffre sombre, infini, sans surprises, sans le moindre éclat, la moindre lueur, où tout mon être se laissait sombrer, dans une chute interminable. Elle était morte, emportée par un conducteur trop imprudent le jour de son arrivée à Paris. Cela fait 3 ans, jour pour jour… 

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