Radio lumière bleue

Yeza Ahem

De l'inanité de certains débats...

« - Bonsoir à toutes et à tous.

Dans le cadre de nos échanges inter-institutionnels d'ouverture à l'altérité sociale et générationnelle, nous allons aborder la découverte tant sensuelle qu'intellectuelle d'un objet issu du medium cinématographique, repris dans le contexte de cette rencontre sur un medium ô combien populaire : l'écran télévisuel. Je rappelle, pour ceux qui nous rejoindraient, que nos bretteurs du jour vont devoir affronter leurs arguments autour d'une œuvre majeure ayant inspiré nombre d'artistes tant francophones qu'issus de contrées langagières plus exotiques. Pour ce faire, ils ont été mis en isolement dans deux espaces de confinement différents, n'ayant pour seule distraction que l'œuvre en question, et ce durant 10h d'affilées, soit 588 minutes de visionnage et 20 minutes pour assouvir certains besoins naturels et triviaux. Ces 588 minutes représentent le temps « bobine » pour apprécier à six reprises ce monument du cinématographe moderne. Car l'œuvre qui nous concerne en ce jour est résolument moderne à défaut d'être vingt-et-unièmiste.

Alors, avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous présenter nos deux rhéteurs pour ce débat artistico-socio-psychologique. D'un côté nous avons la jeune et sémillante Doris F., 7 ans et scolarisée dans le magnifique établissement Jean Jaurès de la commune de Marnouailles dans les Deux-Sèvres. A ses côtés, nous retrouvons M. le professeur Edmond de La Jarnière, célèbre défenseur de la francophonie, notamment dans son ouvrage « Défense de la francophonie », mais également amoureux incontesté de l'Art, amour magnifiquement décrit dans un article sans concession et intitulé « AA : deux lettres pour un Amoureux de l'Art ».

Je sens que vous vous impatientez, ami public, et je ne saurais vous en blâmer ; je m'empresse donc de céder la parole à Mle Doris F. et à M. le professeur Edmond de La Jarnière. Je vous rappelle que vous avez 150 secondes de débat. Mademoiselle, Monsieur, c'est à vous ! »

« - Bonsoir Mle Doris F... et bonsoir à tous ceux qui se sont inscrits dans l'écoute attentive de ce débat qui s'annonce passionnant.

Tout d'abord, je tiens à remercier les promoteurs et animateurs de ces échanges inter-institutionnels d'ouverture à l'altérité sociale et générationnelle radiophoniques ou, comme nous les appelons entre nous, les E2IOASGR. En effet, je m'enorgueillis d'être régulièrement appelé à partager mes perceptions et réflexions qui, à bien des égards, peuvent, j'en ai conscience, éclairer un public peu enclin à se rendre dans des salles de conférences et préfère un accès facilité car directement transmis au confort, voire au cocon, du foyer socio-psychologico-familial.

Afin de ne pas paraître cuistre, je laisse l'honneur de l'ouverture de l'échange à Mle Doris qui, j'en suis sûr, par sa jeunesse saura nous régaler de vues oscillant entre naïveté et profondeur. » (1'01'')

« - Bonjour tout le monde ! Dis, monsieur, t'as pensé quoi du film ? Parce que moi, il m'a fait drôlement rigoler ! » (1'04'')

« - Je trouve intéressant et je dirais même révélateur que notre jeune amie – dont le style direct revêt la fraîcheur de ses printanières années – amorce l'analyse de l'œuvre qui nous occupe par son entrée la plus populaire et donc primale : le comique. En effet, dans notre société où le lest politico-culturo-religieux impose à nombre d'intellectuels de n'aborder que des vérités secondes avant les premières, considérant ainsi que la primarité relèverait du primaire, et donc des sens sans appel à l'intellect. Hors, tel Horace dans ses satires, nous voyons bien – comme l'a judicieusement fait remarquer Mle Doris – que le duo réalisateur-scénariste s'est assuré que... » (1'41'')

« - Bon, alors, Monsieur, il t'a fait rigoler ou pas ? » (1'43'')

« - Je vois, jeune fille, que votre empressement et votre spontanéité ne conviennent que trop peu à une écoute respectueuse qui – je me permets de vous le dire – est la base primordiale d'une argumentation construite sur... » (1'55'')

« - Non mais là tu ne m'as toujours pas répondu : tu l'as vu le film ? Il t'a fait rire ? » (1'58'')

« - Je me permets de vous dire, petite demoiselle, que je ne puis tolérer ces interruptions intempestives et ô combien dommageables à un raisonnement... » (2'05'')

« - Nan mais on a presque plus de temps et t'as rien dit du film... » (2'08'')

« - Ah... ne vous amusez pas à incarner le rôle de donneuse de leçons, bien trop lourd pour vos frêles épaules ! » (2'12'')

« - pff... en fait t'es tout vide et tu sais juste dire que je suis trop jeune pour le comprendre ! » (2'18'')

« - mais... mais... je ne vous permets pas ! Qu'on la fasse taire ! … Pimbêche ! » (2'22'')

« - Momie ! » (2'23'')

« - écervelée ! » (2'24'')

« Bien, je crois que ce débat arrive à son terme. Le mot de la fin ? » (2'28'')

« - Abruti ! » (2'29'')

« - C'est çui qui dit qui y est ! » (2'30'')


[l'idée de "lumière bleue" du titre est largement inspirée par Franck Lepage et ses conférences gesticulées. Je vous propose une mise en bouche sur la langue de bois : https://www.youtube.com/watch?v=igwdC8N7QzA ]

Licence CC : BY-NC-SA

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