Ralenti sur image

ysabelle

C’est un matin de lenteur ou chaque geste semble sorti d’un film passé au ralenti.

Elle est toujours couchée, elle regarde ses mains, les doigts, la paume, comme si elle les découvrait pour la première fois. Elle les pose sur la peau de son ventre, il est gorgé de chaleur et doux. Elle le caresse timidement, remonte et emprisonne ses seins. Elle reste ainsi quelques minutes, les bras croisé, sa poitrine lovée, les yeux fermés, l’esprit dans des temps plus cléments. L’angoisse pèse lourd, les larmes viennent. Elle respire fort, ravale son chagrin. Se lève brusquement. Retour au présent, la vie reprend son rythme.

Tu es déjà dans la cuisine à préparer le café. La table est mise. Les enfants regardent les dessins animés. Ils sont contents de la voir, ils ont faim. Elle les embrasse. La petite lui saute au cou en réclamant son câlin. Elle va dans la cuisine pour t’aider, t’enlace par derrière et pose sa tête sur ta nuque pour te laisser terminer ce que tu es en train de faire. Tu te retournes, ouvre les bras et les refermes sur elle. Tu lui baises le front tendrement. Elle se laisse bercer quelques instants, silencieuse, et cela te suffit pour comprendre qu’elle est triste.   Le café est prêt, tu te détaches d’elle lentement pour aller couper le gaz.

Elle prend le lait et la confiture dans le frigo, appelle les enfants pour qu’ils viennent manger, tu arrives avec la cafetière. Tout le monde prend place. Déjà les chamailleries commencent, cela t’exaspère un peu mais tu ne dis rien. Elle a les coudes appuyés, tient son bol et garde les yeux dans le vide. Tu es inquiet mais tu ne dis rien. Elle se tourne vers toi, te sourit, tu lui rends son sourire mais tu ne dis rien.

Comme un vent changeant, elle lance la conversation. Qu’allons-nous faire de cette froide et belle journée de congé ? Un petit tour sur le marché ? Une balade ? Des cabrioles à la patinoire ? Dire bonjour à mamy ? Un cinéma ? Les idées fusent et donne la part belle aux projets. Elle essaie de partager l’enthousiasme des uns et des autres et chasser ainsi son humeur morose.

Les heures sont de plus en plus animées, même toi tu as oublié la mélancolie que tu as lue sur son visage le matin. Les enfants rient aux éclats, elle rit aussi. L’insouciance, un cadeau qu’elle n’aura jamais reçu et qu’elle offre à ses proches, si elle peut. Pour elle, c’est trop tard, elle ne fonctionnera plus qu’au ralenti, pour durer.

  • Cette nouvelle est très touchante et la chute parfaitement réussie. J'aime bien la tension qui se dégage peu à peu du récit.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mouette des iles lavezzi orig

    valjean

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