Ras-le-bol des concours de nouvelles!

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1111 mots pour le dire.

Voici la consigne de ce nouveau concours de nouvelles avec comme sujet : l’ouverture. 

Tous ces concours plus abscons les uns que les autres, aux consignes rigides et ridicules sont à l’opposé de ce que peut engendrer l’inspiration. L’ouverture m’enferme, me limite et m’empêche d’aller au-delà, dans une écriture salvatrice.

Tout est imposé : le nombre de mots, le sujet, la date d’écriture, le mode d’expédition. La fantaisie est un leurre, je procède à un exercice d’écriture et non à l’écriture d’une œuvre.

Car il faut les écrire ces 1111 mots exacts. Je dois les chercher, les peser, les soupeser, les rouler à la main sous les aisselles, les prononcer. Ce n'est pas le discours d’un jour mais un écrit que l'on pourra lire, relire… 1111 mots qui vont rester. Peut-être pas dans les annales de tout le monde mais qui sait ? L’espoir qu’ils tintent dans les oreilles de mes contemporains, qu’ils rencontrent enfin l’écho tant mérité (n’est-ce pas ?), me fait recommencer sans cesse ces fichus concours de nouvelles. 

D'abord, trouver l'histoire. Et là, l'inspiration peut surgir n'importe quand, n'importe où, au détour d’une rue, à l’instant le plus malvenu. 

«My love tendit ses bras vers moi. Il m’ôta mon déshabillé tête-de-nègre. Je fondai déjà. Il me serra très fort, me léchouilla l'oreille tendrement. Il fit glisser ses mains jusqu'à mon… Et là, je bondis du lit, fondis sur mon calepin et mon crayon (tout écrivain qui se respecte possède ce genre d'ustensile à portée de main) et me mis à écrire frénétiquement une page, un plan, des pistes. Soulagée, je me retournai vers my love… qui était reparti me tromper dans les bras de Morphée.»

«La réunion était un vrai cauchemar : le Big Boss avait décidé de nous sortir le grand jeu. Tableaux croisés dynamiques, données multiples, courbes multicolores, tout pour nous maintenir éveillés. La vision de toutes ces couleurs chatoyantes, ces graphiques ondulants a dû provoquer un choc dans mon cerveau et je me mis à taper comme une folle sur mon clavier d'ordinateur. Des idées, des mots, des bouts de phrase, tant et si bien que mes voisins commencèrent à se pencher vers moi pour vérifier que je n'étais pas en train de répondre à mes mails pendant l'intervention annuelle de Big Boss (sacrilège suprême). Les ‘hum’ se firent plus insistants et le Big Boss, naturellement, en pris note et je crois que je peux m'assoir sur ma prochaine augmentation. L’année dernière, ma stagnation était due à la crise, les temps difficiles, les 35 heures, l’invasion des sauterelles dans les champs de coton et cette année, l’inspiration ! »

Mais bon, je tenais enfin le fil de mon histoire : un polar avec des psychopathes, des meurtres à foison, une intrigue tordue et qui, déjà, me fatiguait. Quel rapport avec l’ouverture ? À vrai dire, je n’en savais rien encore. Je trouverais bien un moyen de placer une fenêtre quelque part !  ou une évasion!

Il fallait maintenant approfondir les personnages, leur tracer le portrait, faire en sorte que le lecteur s’en souvienne. Pour cela, rien ne vaut les très méchants et les très gentils. En effet, entre les deux, ils ne laisseraient aucune trace dans votre cerveau d’Homo Erectus. 

Les très très méchants devaient rivaliser de signes particuliers horribles : cicatrices, couleurs de cheveux bizarres et improbables, handicaps physiques, visages tordus, bêtise crasse, j’en passe et des meilleurs. 

Les très très gentils avaient toujours des traits harmonieux, une intelligence fine et une chance incroyable. Même leurs amours étaient toujours plus intéressants que ceux des très très méchants. Ils étaient attachants et très proches du lecteur.

Leur donner un nom était assez compliqué : surtout pas de prénoms qui se ressemblent comme Hector et Hugo ou Bettina et Betty.  Car si votre œuvre est lue, ô miracle, sur un IPAD dans le métro, au bout de 2 pages, votre histoire ne vaut plus tripette. Le lecteur ne saura plus qui est qui : le méchant du gentil, la fille de la mère, l’ami de l’amant.

Une fois, le prénom donné, le portrait fait, une histoire pour chacun d’eux émergeait. Je leur inventais un passé (pas besoin d’être trop précis pour 1111 mots, n’est-ce pas ? ) afin de le distiller au fur et à mesure de ma nouvelle.

Je commençai à écrire, déroulai le fil plutôt tordu de mon histoire tout en surveillant du coin de l’œil le compteur de mots. Tous les ouvrages de référence furent consultés : dictionnaire des symboles, dictionnaire des synonymes, dictionnaire d'orthographe et expression écrite et même le lexique des règles typographiques! C'est dire la volonté de perfection de l'auteur (elle avait toujours entendu dire qu’un chef d’œuvre ne pouvait être que bien écrit, sans fautes et sans coquilles.)

Cependant, parvenue à la fin, je n'étais pas pleinement satisfaite : il fallait maintenant placer les ingrédients nécessaires à un «bon texte» selon les valeurs d’un jury littéraire. Un doigt de sexe, un soupçon d'anglicisme, une larme de bons sentiments, un brin d'humour (mais pas trop, il ne faut pas que cela soit trop drôle. D’ailleurs, vous n’avez jamais remarqué qu’il existe très peu d’histoires amusantes ?) et puis de l'érudition que diable! Des mots à la mode, des mots issus directement des médias, comme la «stigmatisation», «procrastination» ou la « chronophagie » devaient se retrouver sur ces 1111 mots. J’étais très fière de mon « sérendipité ». J’avoue que j’avais eu du mal à le placer, mais j’y étais parvenue. « L’inspecteur Machin (génial comme nom, n’est-ce pas ?) faisait preuve d’une grande sérendipité dès qu’il s’agissait de trouver des indices.» Pour votre culture, c’est l’art de trouver la bonne information au hasard. J’ai aussi découvert cette définition de Julius H. Comroe : «Sérendipité ou chercher une aiguille dans une botte de foin et en sortir avec la fille du fermier».

Impossible d'échapper aux mots issus tout droit des dictées légendaires de Pivot : quelques noms de couleur inconnus (gorge-de-pigeon, incarnat, ventre de biche), des mots anciens fleurant bon le passé (rimailleur, brimborion, affiquets) ou des pluriels de mots composés rares (pattes-d’oie, boute-en-train) feraient l’affaire! 

Quant aux thèmes de la crise, du chômage et de la diversité, ils se devaient de ressortir à un moment ou à un autre pour rendre mes écrits un peu plus sérieux. 

Et surtout, il fallait trouver une chute originale clouant le lecteur au pilori. La dernière ligne vous révélait LA vérité.

Style Matrix : je décris en fait un monde parallèle se déroulant dans la Matrice.

Style fin du monde : nous sommes le 21 décembre 2012 et, dommage, mais les Mayas ne s’étaient pas trompés.

Style Hercule Poireau  : la grand-mère grabataire rongée par la maladie d’Alzheimer est l’assassin.

  • @Alice, merci!

    · Il y a presque 13 ans ·
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    le-fond-et-la-forme

  • Texte très sympa à lire et surtout très vrai dans le fond !! Je me sens exactement pareil, en ce moment, avec tous ces concours... Curieusement, j'écris moins quand on me le demande... Merci pour ce texte rigolo et très léger sur l'encadrement de notre propre création :)

    · Il y a presque 13 ans ·
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    Alice Neixen

  • Écrire pour le plaisir et surtout pour rire! Ne pas se prendre au sérieux pour ne pas rentrer dans le "système", cela fait du bien, non? Merci pour la pièce jointe et désolée pour cette redondance.

    · Il y a presque 13 ans ·
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