Recherche avortée

zoulikha

Elle entra dans un café situé près de l'église, en poussa la porte et sentit la chaleur de la pièce l'envelopper. En automne, de son pas pressé, elle emportait son café dans les rues encombrées et jusque dans le métro. L'hiver installé, elle aimait pouvoir fuir le froid qui glaçait le sang pendant quelques minutes, avant d'affronter la journée.

De larges banquettes encadraient la pièce, de profonds fauteuils en velours cernaient une cheminée où grésillait un feu artificiel. Elle préféra tourner le dos au confort et choisit le bar le long des grandes vitres. Elle prit place sur un tabouret. Elle aimait observer la vie grouiller sur les avenues, guetter les passants à la démarche urgente, prisonniers de leur routine matinale, qui ne prêtaient pas attention à elle. Sans même connaître leur histoire, elle enviait leur vie engluée dans ses habitudes.

07h30, la brume se dissipait et laissait dévoiler Chicago qui peu à peu s'éveillait.

Elle retira le couvercle plastique qui recouvrait sa tasse en carton pour laisser refroidir son café noir, attrapa son doughnut et en trempa l'extrémité. Certaines habitudes ne se perdaient pas, de petits gestes anodins qui rappelaient qu'elle était née de l'autre côté de l'Atlantique. Ici, on ne trempait pas.

 C'était étrange, maintenant qu'elle avait deux nationalités, deux pays, elle se sentait apatride. Elle avait adopté cette culture, en avait épousé les mœurs pour se couler dans le moule américain. Pourtant certains aspects de cette vie et de sa cadence lui échappaient encore. Quand elle reposait les pieds sur le sol français, elle se sentait tout aussi étrangère, se perdait dans les terres de son enfance qu'elle reconnaissait parfois à peine.

Deux pays, c'était aussi pouvoir s'envoler d'un bord à l'autre et décider d'être d'ailleurs. Pouvoir imaginer un refuge où se ressourcer, où hiberner. Pouvoir fuir en s'exilant. Mais son ailleurs se bordait de parois de verre qui l'emprisonnaient et l'isolaient souvent d'un monde ou de l'autre.

Elle porta à ses lèvres le morceau de gâteau imbibé de café. Elle le laissa fondre un instant sur sa langue pour gorger son palais de l'association des parfums. Soudain, ses papilles réveillèrent sa mémoire. Les rues mornes de la ville, les passants soucieux et hâtifs s'effaçaient tandis qu'elle s'engouffrait dans le passé. La fumée dansante de son café voilait la réalité, faisant écran à ce qui l'entourait.

L'arôme envoutait, les sens en éveil.

Elle ferma les yeux pour plonger pleinement dans ses souvenirs et capturer cette sensation fuyante qui l'empoignait. Elle vit sa mère, sur la table un plateau avec de larges tasses que l'on remplirait de café et sur une assiette en porcelaine bleue, des merveilles, ces beignets provençaux dont elle raffolait. Elle entendit des bruits de cuisine et imagina le vent s'engouffrer par la fenêtre et faire danser les rideaux. Lorsque ce serait l'heure, elle tremperait les merveilles dans le liquide chaud pour les ramollir et les avalerait un à un avec gourmandise.

Elle rouvrit brusquement les yeux, troublée par un concert de klaxon, trouva son café brûlé dans une tasse en carton, un doughnut à la pâte desséchée recouvert de sucre rose chimique posé sur une serviette en papier. Elle regarda les volutes de fumée s'échapper des cheminées de la ville, à travers la vitre. Elle sortit sans terminer son café.

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