FILS DE STUP

Une légende suggère que les nouveaux nés savent tout de l'essence du monde mais qu'ils perdent ce savoir au moment de leur venue dans celui-ci, comme ils perdent leurs premiers souvenirs à mesure qu'ils grandissent. Ainsi personne n'est capable de se remémorer sa naissance et en cela Rémi ne différait pas tant de ses congénères. Pourtant, bien qu'il n'en ait gardé aucun souvenir précis, comme on voit se rejouer une scène du passé ou le visage d'une personne chère perdue de vue, il en avait gardé une certaine sensation, plutôt désagréable d'ailleurs. Il est confiné, il boit la tasse, il s'étouffe, de l'air please. Plus il se débat pour forcer le passage plus ça lui comprime le crâne de la même façon que, quelques années plus tard, son sous-pull rouge en lycra qui colle au corps qu'il s'obstinera à retirer sans commencer d'abord par les manches, le col déroulé buttant au menton et masquant le visage jusqu'au front. Il panique, son petit cœur s'emballe, il attaque le cordon avec ses gencives, donne des coups de petons, des coups de tête, il rue, éructe, et enfin la lumière au bout du tunnel. Naissance ou near death experience ? L'air qui s'insuffle par sa bouche et ses narines brûle ses poumons qui gonflent comme des baudruches recevant leur première dose d'hélium. Le cri qui jaillit de sa gorge mais qui semble provenir de son petit corps tout entier, le surprend lui-même par sa force. Ses genoux plient, ses coudes se déplient, ses doigts des pieds et des mains se serrent et se desserrent, ses épaules se tendent en direction des oreilles, sa tête dodeline de droite à gauche. Check-up ok, tout fonctionne. On le dépose sur le ventre de sa mère ; la chaleur de la peau, l'odeur, plus de doute c'est la vie. Il se blottit contre elle et s'endort.

Elle est soulagée de l'avoir mis au monde sans problème car un mauvais pressentiment assombrit ses pensées, dès le départ pour la clinique quelques heures plus tôt. Son mari qui fume une cigarette dans le couloir en attendant qu'on le laisse pénétrer dans la chambre, on pouvait à l'époque, a écrasé un chat noir avec la voiture, de la roue droite de surcroît. Elle est superstitieuse et sans toutefois être pratiquante elle croit au bon dieu, sorte de surveillant général qui voit tout et sanctionne par la damnation éternelle dans l'au-delà si l'on succombe à l'un des sept péchés capitaux au cours de son existence, et qui punit ici-bas aussi d'un revers du sort si l'on omet un des rituels garantissant la tranquillité d'esprit au quotidien, comme de retourner le pain s'il est à l'envers sur la table, ne jamais passer sous une échelle, ne pas loucher sciemment car l'esprit qui souffle peut vous figer dans cette position et autres recommandations vitales qu'elle ne manquera pas de transmettre à sa progéniture en bonne mère dévouée, comme sa propre mère le fit avant elle.

Elle redoubla donc d'attention et s'évertua a faire les choses sans rien omettre, couvant son dernier né de mille soins sans pour autant négliger son premier enfant apparu l'année précédente. Mais malgré toute l'attention dont elle fit preuve, ses craintes ne tardèrent pas à ressurgir. Environ trois mois après son arrivée à la maison, à intervalles réguliers et alors qu'il semblait en parfaite bonne santé, Rémi s'agitait dans son berceau comme en proie à un rêve, puis soudain pris de convulsions hurlait et décollait littéralement du matelas. L'image du chat noir en bouillie enroulé autour du pneu de la Renault six ne la quitta plus.

Les examens révélèrent un calcul au rein gauche, d'une taille anormalement grosse pour un nourrisson plutôt chétif. Une intervention chirurgicale était nécessaire pour l'extraire, opération pratiquée à l'hôpital de la grande ville située à 250 kilomètres de la maison. Rémi allait être séparé de sa mère pendant une assez longue période.

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