rencontre funèbre
gabriel-le-marquis
Rencontre Funèbre !
Jeudi matin 6h04, un sifflement strident déchire le silence du jour naissant, dans un nuage de fumée une vieille Ford Fiesta stoppe sur le parking d'un supermarché, encore désert à cette heure-ci. L'heureux propriétaire de cette quasi épave, c'est Bernard.
Bernard a 62 ans et à son grand désespoir il les ressent : son dos le fait horriblement souffrir, son genoux gauche le fait hurler à chaque fois qu'il se baisse, ses mains rongées par l’arthrite sont un autre signe cruel du temps qui passe. Il sort avec grand mal de sa voiture, et commence à se diriger vers la sortie du parking. Bernard ne vient pas pour faire ses courses à la première heure, comme en ont, inexplicablement, coutume les vieux, pardon : les personnes âgées ! Non Bernard n'est pas encore à la retraite, et d'ailleurs même s'il l'était il ne viendrait sûrement pas faire ses courses ici. Non il s'est garé ici car il travaille juste à côté, Bernard est le gardien du plus ancien cimetière de la ville.
Après avoir parcouru quelques mètres, Bernard se retrouve face aux imposantes mais à la fois magnifiques portes en fer forgé du cimetière. Le vieil homme ouvre ces portes chaque jour depuis plus de 30 ans, mais chaque matin il ne peut s'empêcher d'être ému et impressionné par ce splendide ouvrage : symbole de la dextérité humaine, de sa créativité, mais aussi de son désir de rendre hommage à ses morts. Sacré paradoxe que des œuvres emplies d'une telle beauté aient pour source le trépas.
Une fois le lourd portail ouvert, il pénètre dans son peu conventionnel lieu de travail. Comme tous les matins, Bernard commence d'abord par faire le tour du propriétaire : un moyen de s'assurer que rien n'a été détérioré durant la nuit, mais aussi une manière pour lui de saluer ses « protégés » comme il se plaît à nommer les 2966 sépultures dont il a la « garde ».
L'inspection terminée, le gardien se rend dans sa « cabane » située tout au fond du cimetière. Cette vieille bâtisse en bois qui ne semble tenir debout que par la force de l'habitude, sert à la fois de remise pour les outils et de bureau à Bernard. Les habitants du quartier avaient bien proposé, il y a plusieurs années, de financer la construction d'un local, de leurs dires, un peu plus décent. Mais Bernard avait refusé : lui, il l'aime bien sa vieille baraque pleine de termites, de poussière, de souvenirs. Il ne voulait pas que l'on vienne défigurer le cimetière avec une de ces horribles remises que les collectivités locales adorent tant !
Dans un grincement terrible accompagné d'un léger soulèvement de poussière, Bernard ouvre la porte de son repère. Il allume la lumière, qui se met immédiatement à clignoter. Et comme tous les jours, depuis deux mois, Bernard se dit qu'il faut vraiment qu'il pense à changer cette ampoule. Le vieil homme pose ensuite son journal ainsi que sa cantine sur le plan de travail. Puis il se dirige vers l'antique machine à café afin de se préparer son petit noir. Antique est peut être un bien grand mot pour qualifier cette machine, mais à l'époque des smartphones, d'internet, des tablettes tactiles et des machines à capsules chères à cet acteur grisonnant fantasme des ménagères de moins de 50 ans, la cafetière à pression, gris métal en haut et noir brûlé à la base, de Bernard fait un peu figure d'anachronisme !
De manière machinale, le gardien verse l'eau dans la partie basse, remplit le filtre de poudre à café, l'introduit dans la cafetière, visse la partie haute sur la cafetière, puis place le tout sur le feu. C'est à ce moment là qu'un tocment timide à la porte arrache un léger sourire à Bernard. Il ouvre la porte sur une petite grand-mère toute chétive qui lui tend un sachet en papier, sur lequel est imprimé « Commencez la journée en douceur » agrémenté de dessins de viennoiseries trahissant son contenu.
« Bonjour Madame Sweet, comment allez-vous aujourd'hui ? »
« Très bien, merci ! Tenez, je vous ai apporté des croissants. »
« Vous êtes trop bonne avec moi ! Je prépare justement du café, entrez donc pour prendre une tasse ! »
« Oh non merci. Je ne voudrais pas vous déranger, et puis j'ai déjà déjeuner. Je vais plutôt aller voir mon Terrance. »
« D'accord, mais il faudra bien un jour que vous me laissiez vous rendre la pareille ! »
Bernard prend alors le sachet des mains tremblotantes de Mme Sweet. En voyant ses mains toutes ridées, tachetées, rongées par la vieillesse puis en repensant à son propre reflet dans la glace le matin, Bernard se dit que l'âge est vraiment cruel ! (Enfin ces mots exacts furent plutôt : « une vrai saloperie »!). Mais lorsqu'il croisa le regard plein de bonté et vit le sourire chaleureux de la vieille dame, une toute autre réflexion lui vint à l'esprit : « Certaines choses sont inoxydables ! ». Puis il rendit à Madame Sweet son sourire, et retourna préparer son déjeuner qui s'annonce de plus en plus copieux.
Au bout de quelques minutes, son café enfin prêt, Bernard s'installe confortablement devant son établi afin de lire son journal. Il le tend devant lui et commence à le tapoter vigoureusement dans le but de supprimer les plis. Une fois le « papier bien fatigué », le vieil homme commence à parcourir la couverture, son attention est immédiatement attirée par le gros titre : la taille, la place, et la photo ne sont sans doute pas étranger à cette attirance, c'est pour cela qu'on l'appelle la Une !
« Miracle aérien : un 747 s'écrase en plein vol, de nombreux blessés mais aucune victime ! »
« Et ben ça alors, y en à qui peuvent aller brûler un cierge ou aller jouer à la loterie, c'est selon ! Mais en tout cas c'est leur jour de chance. »
Bernard continue à survoler les nouvelles comme cela, le temps de boire son café et de déguster les croissants de Madame Sweet. Une fois sa tasse vide et les douceurs beurrés réduite à l'état de miettes, le gardien est prêt à se mettre au travail, il visse sa casquette toute délavée sur son crâne, attrape son râteau, sa pelle, les placent dans sa brouette et part à l'assaut des « saloperies » de feuilles mortes qui envahissent le cimetière. Bernard se consacre à cette tache une bonne partie de la journée, en se disant qu'en cette période automnale ces larmes végétales seraient de retour demain et qu'il devrait à nouveau tout recommencer. Mais ça ne le décourage pas pour autant car par respect pour ses protégés et les gens qui leur rendent visite, il veux que le cimetière garde un aspect soigné !
A première vue, une journée ordinaire pour le vieux gardien : un bon café, la visite de Madame Sweet, les satanés feuilles d'automne, le vent, le silence. Mais une chose brisait cette routine, une chose qui trouble Bernard : cet homme qui depuis ce matin parcourt les allées du cimetière. Ce qui gène Bernard ce n'est pas qu'il y est un visiteur inhabituel, même s'il est vrai que peu de gens se rendent encore dans ce genre de lieu, non ce qui trouble le vieil homme c'est que ce « visiteur » semble se recueillir sur toutes les tombes, sans pour autant paraître perdu, ou à la recherche de quelqu'un !
Bernard est un homme solitaire, peu enclin au dialogue, enfin aux conversations sociales de convenance (sauf si vous apportez des viennoiseries !), c'est pour quoi il laisse ce mystérieux visiteur faire ce qu'il souhaite. Mais arrivé au milieu de l'après-midi, voyant que cet homme était toujours là en train de parcourir les sépultures, Bernard rongé par la curiosité, se décide à aller l'aborder.
Bernard s'approche, l'homme est vêtu d'un costume trois-pièces noir (« sur mesure sans doute, ça doit coûter un fortune, ce n'est donc pas un de ces fanatiques religieux ! » se dit Bernard).
« Excusez moi, monsieur, je me présente : je suis Bernard Foster, le gardien du cimetière. Je me permet de vous aborder car je peux peut être vous aidez ? »
L'homme continue à fixer la tombe devant laquelle il se trouve. De plus près Bernard s'aperçoit que tout est sombre chez cet homme, son costume, ses chaussures, sa chemise, ses cheveux. Tout sauf sa peau étrangement pâle, couleur cendre, presque malade, mais aussi sa cravate écarlate, on pourrait même croire qu'elle est peinte avec du vrai sang qui ne voudrait pas sécher !
L'étrange visiteur daigne enfin se tourner vers Bernard, et au moment où le vieil homme plonge ses yeux dans ceux de son interlocuteur, il est frappé.
« Je ne suis pas sûr que quelqu'un puisse m'aider. » lui dit l'homme mystère.
« Je sais qui vous êtes, vous êtes... »
« Je suis Rip Morrigan ! » Ne laissant pas le temps à Bernard de finir sa phrase.
« Non, vous êtes Elle ! » réplique le gardien.
Bernard ne comprenait pas pourquoi, ni comment, mais même s'il ne l'avait jamais vu, il savait qui Il était.
« Que voulez vous dire par : je suis Elle ? » l'interroge M. Morrigan
« Vous êtes la Faucheuse, le Fossoyeur, la Mort ! Je ne sais pas quel terme vous préférez ? »
Rip Morrigan est surpris, d'abord qu'un simple homme l'ai si spontanément reconnu mais encore plus surpris que cet homme ne soit pas effrayé après cette « révélation ».
« C'est exacte, mais comment le savez-vous ? » lui demande-t-il
« Je ne sais pas vraiment, j'ai reconnu votre présence, celle que je ressent de temps en temps ici tard le soir. C'est comme si nous avions toujours vécus côte à côte sans jamais se voir et que finalement le voile qui nous séparait s'était déchiré ! »
« Eh bien, je pense qu'il est de bon ton que nous nous saluions ! »
Rip tend la main en direction de Bernard. Ce dernier la serre vigoureusement puis regarde sa propre main quelques secondes : il a bien senti de la chair, il ne l'a pas traversée au contraire de ce que l'on voit avec les fantômes dans les films, mais on ne peut pas dire que ce contact fut humain, ce fut plus comme serrer un glaçon ou plus approprié dans ce cas, serrer la main d'un cadavre. Mais quoi de plus normal après tout, c'est à l'incarnation de la mort que tu viens de serrer la paluche, si elle avait été chaude et moite ; là ça aurait été une surprise !
Rip observant les atermoiements de Bernard, semble laisser un léger sourire apparaître au coin des lèvres.
Enfin le vieil homme revient à la conversation :
« Sympa le costume, je vois que vous vous êtes bien adapté à l'époque ! »
« C'est beaucoup plus pratique et discret. Mais peut être que vous préférez cette apparence ? » Le costume disparaît pour laisser place à un squelette décharné ! « Ou peut être celle-ci ? » La mort se pare alors d'une toge capuche rabattue et d'une faux !
Bernard effrayé a un mouvement de recul. A ce moment là Rip Morrigan réapparaît dans son costume ébène.
« Je présume que vous me préférez comme ceci ! »
« Ouais, comme ça c'est pas plus mal. Et puis même pour vous, vous êtes beaucoup plus à l'aise ! » lui répond le gardien qui reprend petit à petit ses esprits.
Un silence pesant commence à s'installer, ce n'est qu'à ce moment là que l'évidence frappe enfin Bernard :
« Vous êtes venu pour moi, c'est ça ? C'est la fin pour ce bon vieux Bernard ? »
« Pas vraiment, pour faire simple disons que je suis en congé ! » rétorque Rip.
« C'est possible ça ? Vous êtes une sorte de fonctionnaire de l’au-delà avec RTT et tout le truc ? »
« Non, pour être plus exact, je devrais dire que je suis en grève ! Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il n'y aura pas de morts aujourd'hui ! » lâche solennellement Rip.
« Ah quand même ! Ça vous dirait pas de prendre un petit verre, parce que ça à pas l'air d'aller fort ? » lui propose l'ancien.
Bernard conduit M. Morrigan jusqu'à sa petite cabane, puis lui propose de s’asseoir sur une des chaises situées juste devant la vieille bâtisse. Mais lorsque le gardien s’aperçoit de l’état de celle-ci il tente vainement de les essuyer. Rip le stoppe, tire une chaise et s'y assoie sans porter attention à leur saleté.
« Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de la moisissure ! » ajoute-t-il.
« C'est pas faux ! » relève, amusé Bernard.
Le vieil homme s'éclipse quelques secondes, le temps d’attraper un Whisky dans un recoin de sa tanière. Au vue de la poussière présente en abondance sur la bouteille, Bernard ne devait pas la sortir très souvent.
Le gardien rejoint son hôte, et remplit deux verres :
« Voila ça devrait faire l'affaire ! »
Bernard commence à boire son verre, mais voyant que Rip ne touche pas au sien, il décide de lancer la discution :
« Je peux savoir ce qui vous a amené dans ce cimetière précis ? »
Rip les yeux dans le vague ne semble pas avoir prêté attention à la question de son interlocuteur, mais finit quand même par répondre :
« Par pur hasard. J'avais décidé d'aller observer ce monde, que je ne fais d'ordinaire que traverser, puis sans le vouloir j'ai été attiré jusqu'ici ! Ce que j'ai vu du monde des vivants ne m'a pas captivé au contraire de ce lieu, où il y a quelque chose de particulier. »
« C'est vrai que ce monde n'est pas si beau que ça à regarder, tout n'est que béton, goudron, bruit ! Il n'y a que des lieux comme cela qui résistent encore au brouhaha et à la folie des villes. C'est un peu un espace hors du temps, coincé entre un supermarché et un entrepôt de bus ! » explique Bernard.
De nouveau le silence, les deux hommes paraissent plongés chacun dans leur propre réflexion. Mais une fois de plus Bernard prend la parole :
« D'ailleurs vous avez failli ne jamais pouvoir venir ici : il y a plusieurs mois la ville a voulu construire un immeuble à la place du cimetière, mais à mon grand étonnement les familles de mes résidents se sont mobilisées pour sauvegarder ce lieu. Ça n'a pas été facile mais on y est arrivé, la question c'est pour combien de temps ? »
« Pourtant une chose me frappe, depuis que je suis arrivé ici, je n'ai vu personne venir se recueillir mise à part cette vieille dame ce matin ! Pourquoi préserver un lieu dans lequel on ne met jamais les pieds ? » s'interroge Rip.
« Madame Sweet, oui ! » Bernard affiche le même petit sourire qu'il avait lorsqu'il a entendu le tocment à la porte ce matin-là. « Elle vient presque tous les matins pour venir discuter avec son défunt mari. C'est vrai que le cimetière n'est pas un lieu très prisé, les gens ont du mal à faire face à la mort (Bernard ne vit pas l'ironie de sa phrase!), c'est difficile pour eux de venir ici et ainsi de se rappeler que des êtres chers ont disparue mais aussi qu'un jour leur tour viendra ! C'est une manière de voir les choses et je la respecte. Mais je regrette le temps où ce cimetière résonnait au son des brosses métalliques sur les granits et où planait une douce odeur de chrysanthème. Autrefois les sépultures étaient une manière de rendre hommage aux disparus, de leur témoigner notre affection et une occasion de rassembler une famille ! »
Pour la première fois depuis que les deux hommes se sont assis, Rip regarde Bernard et semble même fasciné par ce qu'il a a dire. Enhardi par cela, le vieil homme se permet une question :
« Vous dites que vous vous êtes mis en grève. Mais en quoi consiste réellement votre boulot ? »
« Je suis en quelque sorte un accompagnateur, un conducteur, un guide ! J'accueille les âmes dès qu'elles quittent leur enveloppe charnelle, puis je les guide jusqu'à l'au-delà. » explique Rip
« Je vois vous êtes une sorte d’hôtesse du service après vente de la vie ! »
Cette formule arrache de nouveau un léger frémissement au coin des lèvres de Rip, ce qui plaît beaucoup à Bernard. Le gardien prend un réel plaisir à cette conversation.
« Et vous les amenez où exactement ? » interroge Bernard.
« Jusqu'à l'entrée. »
« L'entrée de quoi ? » réplique immédiatement le vieil homme.
« Je ne sais pas : le jugement dernier, le paradis, l'enfer ! » répond placidement Rip.
« Donc il y a bien une vie après la mort ?! »
« Je n'en suis pas sûr, derrière cette porte il y a peut être le néant ! Je crois que c'est différent pour chaque personne : ils y trouvent ce en quoi ils croyaient sincèrement. Mais je n'en suis pas sûr ! » explique toujours sur le même ton détaché l'homme en noir.
« Si je comprend bien même vous, la Mort, vous ne savez pas ce qu'il y a derrière cette porte ! Vous ne savez donc pas si dieu existe ? »
« J'ai cru voir que cette question intéresse beaucoup vos semblables ! Vous recherchez à trouver une explication à tout ! Je pense pas qu'il y ait une être physique, même supérieur, qui soit à l'origine du monde : pas de Jésus, de Allah, d'être Suprême. Il y a sans doute une force à l'origine de l’univers mais pas quelque chose qui veille sur l'Homme, qui lui trace une destinée, qui juge ses actions, ou que l'on doit vénérer ! La vérité est que l'humanité est libre de son propre destin et est responsable de ses choix. Mais je ne suis certain de rien, d'ailleurs mon « existence » serait sans doute pour beaucoup une preuve du contraire ! En conséquence je vous répondrais que la Mort a une idée mais qu'au final, elle est comme vous, elle ne sait pas ! »
Il faut quelques instants à Bernard pour digérer toutes ces informations. Puis après une petite rasade de Whisky, son naturel revient.
« Après tout moi non plus je ne connais pas mon patron ! Mais sinon blague à part, c'est pour ça que vous êtes en grève ? »
« En partie oui, mais c'est surtout un sentiment nouveau qui m'a envahi depuis quelques temps : une sorte de lassitude ! » explique Rip.
« Tu m'étonnes, depuis le temps que vous faite ça, sans réellement savoir pourquoi ! Et sans salaire par dessus tout ! » Bernard se permet un petit éclat de rire.
« Non ce n'est pas ça, ce qui me dérange ce sont toutes ces plaintes, ces supplications ! Depuis plus de 5 Millions d'années c'est moi qui annonce à chaque personne que la vie est finie pour elle, c'est moi qui subi leurs pleurs, les cris, c'est moi que l'on tient pour responsable. Je dois leur expliquer à chaque fois que je ne peux rien n'y changer que je ne peux pas les laisser retourner auprès de leurs amis, de leurs femmes, de leurs enfants ! Je ne suis pas la source des maladies, de la vieillesse, de la souffrance, je ne suis que la résultante de tout ça ! Alors je me suis dis et si je m'arrêtais tout simplement qu'est-ce qui ce passerait ? Est-ce que le monde serait meilleur ? »
Bernard est profondément touché par la lassitude de cet homme et ne se souvient pas qui il est réellement, il ne le veut pas d'ailleurs, aujourd'hui la Mort est simplement Rip Morrigan un gars un peu pommé qui recherche des réponses à ses questions.
«C'est un euphémisme de dire que personne ne souhaite voir un de ses proches disparaître ni même de mourir soit-même. Donc dans un sens un monde sans mort ce n'est peut être pas si terrible mais ça doit être un beau bordel ! Je n'ose pas imaginer comment c'est à l'extérieur ! On est à peine 7 Milliards et on ne sait pas comment vivre tous ensemble sur la même planète mais alors si plus personne ne meurt ça va devenir compliqué. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que l'immortalité nous plaise. Au début peut être mais si on y réfléchit : l'éternité ça peut vite devenir long ! Tous les plaisirs perdent de leur intensité, le temps n'a plus d'importance, comment être sûr d'aimer si on ne ressent pas la peur de la perte ! La vie perdrait toute saveur ! »
Bernard boit une gorgée de Whisky puis ajoute :
« Sans compter sur le fait que je n'aurai plus de boulot ! »
« Vous avez de la famille ? » finit par demander Rip.
« Oui, j'ai été marié pendant 33 ans, nous avons eu deux enfants : Lyla et Tim. »
« Vous avez dit : j'étais marié. Vous ne l’êtes plus ? »
« En effet, mais rassurez vous elle n'est pas décédée ! »
« Je sais ! » s'empresse d'ajouter Rip.
« Oui j'oubliais. » souligne-t-il se souvenant à qui il parlait. « Nous sommes divorcés depuis neuf ans ! »
« Vous ne souffrez pas trop de la solitude ? »
« Pas vraiment, j'ai toujours été assez solitaire. Mais j'avoue que la séparation a été douloureuse et perturbante. J'ai dû en quelque sorte me réhabituer à vivre ! »
« Vous lui en avez voulu ? » l'interroge Rip visiblement curieux.
« Non, c'est à moi que j'en ai le plus voulu. Je n'ai pas su la garder, la rendre heureuse, l'aimer. J'étais beaucoup trop obsédé par mon travail, mes propres problèmes, les enfants : je ne me suis jamais vraiment intéressé à sa vie à elle ! Puis une fois les enfants assez grands pour quitter la maison, elle a fait de même. Là, je me suis aperçu que je ne menais pas la vie qui me convenait. C'est alors que je suis tombé par hasard sur cet endroit, il m'a envoûté ! Ce qui peut paraître bizarre, voir flippant, je suis d'accord. Mais j'ai trouvé un équilibre en moi grâce à mon travail ici ! »
Bernard jette alors un regard sur le cimetière qui les entoure avec une certaine émotion. Et dit, au moment où son regard croise celui de Rip :
« Vous voyez peut être ce que je dis ?! »
Ce dernier hoche doucement la tête.
« Vous on peut dire que vous savez mettre une bonne ambiance ! » s'exclame le vieil homme, qui ne perd jamais son humour.
« En parlant de solitude, ça me fait penser : ça fait qu'en même beaucoup de boulot pour une seule personne ! Vous faites vraiment ça tout seul ou vous faites comme les grandes entreprises vous utilisez des petits sous-traitants pas cher ? Vous ne sortez que pour les VIP ?! » interroge Bernard
« Non ça n'existe pas » lui répond un Rip sincèrement amusé. « Je le fais moi même mais je ne suis pas une personne, je suis plus ce que l'on pourrait qualifier de concept : je peux me diviser à l'infini, mais je ne suis toujours qu'un ! Et non il n'y a pas de traitement VIP, pour moi une âme est une âme. »
« Donc c'est vrai ce qu'on dit finalement, il n'y que face à la Mort que l'on est tous égaux ! »
« Exactement ! » lui répond son ami d'un jour.
Les deux compères échangent un sourire complice. Ils semblent passer un agréable moment malgré le caractère improbable de leur rencontre. Mais après tout à cet instant précis ce ne sont que deux hommes qui discutent de la vie autour d'un verre. Et le fait que l'un soit croque-mort, l'autre la Mort et qu'il soit dans un lieu si sinistre pour la plupart des gens, n'a pas d'importance !
Sentant que cette rencontre allait prendre fin, Bernard prit l'initiative des « adieux » :
« Je ne sais pas comment ni pourquoi vous avez été attiré jusqu'ici mais en tout cas moi j'en suis plutôt heureux. Pour ce qui est de votre problème je ne suis pas sur de vouloir vous conseillez de recommencer à « faucher » ! » Bernard lève alors un sourcil malicieux puis reprend plus sérieusement : « Mais je ne crois pas que l'on puisse stopper ce qui fonctionne plus ou moins bien depuis des millions d'années, observez bien notre monde pour vous faire votre idée avant de prendre toute décision définitive ! »
Les deux hommes se lèvent se fixent intensément puis se serrent la main.
« Nous nous reverrons ! » dit Rip
« Pas tout de suite j'espère ! » rétorque le sourire aux lèvres Bernard
Rip Morrigan lui rend son sourire puis se dirige à pas lents dans l'allée pour rejoindre la sortie. Une fois l’impressionnant portail traversé, la silhouette de l'homme au costume ébène disparaît, comme emporté par une bourrasque de vent !
Bernard après avoir observé le départ de son étrange visiteur, s’installe de nouveau sur sa chaise rongée par la moisissure. Lui n'a pas encore envie de rejoindre le monde extérieur, au delà de son portail. Il ne veut pas encore savoir si la Mort a de nouveau repris son « travail ».Il préfère rester encore quelques instants dans ce lieu hors du temps, envahi par la brume : le royaume du silence et du repos !
Puis un son disgracieux presque irrespectueux vient briser ce paisible moment. Bernard met plusieurs secondes à l'identifier, c'est le vieux téléphone de la cabane. Le gardien a un mal fou à le retrouver, enfoui sous divers papier, outils et poussière, preuve qu'il n'a pas vraiment sa place en ce lieu. Finalement Bernard arrive à le repêcher et à répondre à temps.
« Allô ! »
« Bonjour, vous êtes bien Monsieur Bernard Foster le père de Mademoiselle Lyla Foster ? » une voix féminine interroge le vieil homme
« Oui c'est bien moi, que ce passe-t-il ? » l'angoisse l'envahissant
« Votre fille faisait partie du vol qui s'est écrasé cette nuit, par miracle elle en est sortie vivante mais au cour des dernières minutes, ses blessures se sont aggravées et malheureusement elle n'y a pas survécu ! Je suis sincèrement désolée ! M. Foster vous êtes toujours là ? M. Foster ? »
Le téléphone a glissé des doigts de Bernard. Il s'est assis devant sa baraque, les yeux dans le vague. Il a sa réponse !
texte interressant, en attente d'autre texte
· Il y a plus de 11 ans ·didine--2
Texte intéressant, intrigant, plaisant, qui donne envie de connaitre un peu mieux cet auteur.
· Il y a presque 12 ans ·herode