Rendez-vous

Antoine Berthe

                                                            Rendez-vous

            Il n’avait jamais connu une fille comme ça.

            Il ne pouvait pas la voir mais il sentait sous ses doigts qu’elle était magnifique.

            C’était sa première fois et il ne pouvait pas la voir.

            Il n’avait perçu d’elle auparavant qu’une ombre fugace lorsqu’on les avait fait monter dans le camion. Vêtue de noir, la silhouette fine alors qu’elle se glissait sous la bâche, sa prestance avait néanmoins attiré son regard.

            Le hasard faisant bien les choses, ils s’étaient retrouvés côtes à côtes, tassés entre deux caisses de marchandises de nature indéterminée. Des heures passées à respirer le même air vicié, les oreilles martyrisées par les vrombissements du moteur diesel lorsque le camion roulait et contraints au silence à chaque arrêt du véhicule, de peur d’être découverts.

            Epaule contre épaule, les deux jeunes gens se morfondant d’ennuis n’avaient d’autres occupations que de guetter les réactions de l’autre lorsque les chaos de la route les précipitaient l’un contre l’autre. Alors qu’il rêvassait à son avenir lorsqu’il aurait atteint l’Eldorado, il avait senti la tête de la fille sur son épaule. Le rythme de sa respiration indiquait qu’elle dormait. Elle pesait sur lui et il avait des fourmis mais rien au monde ne l’aurait fait remuer. Son souffle régulier l’apaisait. Elle sentait bon malgré tout. La capuche qui lui recouvrait la tête avait un peu glissé et à la faveur d’un arrêt sous un réverbère, il avait aperçu fugitivement son visage encadré de mèche de cheveux noirs.

            Elle était jeune comme lui.

            Jeune et en fuite.

            Plus tard, il se réveilla en sursaut. Il s’était assoupi sur l’épaule de la fille. Il se sentit ridicule d’avoir crié alors qu’il émergeait brusquement de ses songes mais sa honte fut vite dissipée lorsqu’il aperçu l’éclat du sourire de sa compagne de voyage dans le noir.

            Les deux jours qui suivirent ne furent émaillés d’aucune parole, les passeurs leur ayant fermement interdit le moindre échange. Rien ne pouvait cependant les empêcher de se chercher du regard, de se surprendre à sursauter lorsque par miracle un rai de lumière à travers la bâche leur permettait de s’entrapercevoir, puis, enfin, après de longues heures à hésiter,  à se prendre la main.

            Le temps n’avait plus aucun sens.

            Ils étaient ballotés depuis des temps infinis, alternant le mal des transports et la joie intense de sentir leurs doigts se réunir puis de s’embrasser pour la première fois. Après une vie de larmes, il n’aurait jamais pensé possible de ressentir de telles sensations positives. Le simple effleurement de ses lèvres lui faisait oublier où il était, pourquoi il était parti et la peur de là où il se rendait. Sa peau était douce et salée. Elle s’abandonnait dans ses bras et pour la première fois depuis l’enfance il se sentait fort.

            Lorsqu’enfin, après avoir tergiversé pendant une éternité,  il devint plus impétueux et glissa sa main sous sa chemise, il caressa ses seins sans qu’elle le repousse. Au contraire, elle plaqua ses lèvres sur les siennes, et sa langue envahi sa bouche.

            Le simple contact de sa main sur sa cuisse lui arracha un soupir, ses nerfs se détendant d’un coup après ces heures de tension. Il lui rendit caresse pour caresse et le couple oublia le monde alentour, la puanteur de la remorque, le danger prégnant d’être découvert, les consignes des passeurs.

            Le silence était de rigueur à l’approche d’une frontière.

            Leur étreinte passionnée fut brisée brutalement par le pinceau d’une lampe torche braquée par un douanier. Le jeune homme se leva pour faire front mais deux hommes en uniforme le plaquèrent au sol avant de lui lier les mains dans le dos avec une attache en plastique. Deux autres emmenèrent sa compagne sans ménagement. Elle criait, le visage noyé de larmes mais il ne pouvait que s’agiter impuissant.

            On le sorti du camion avec les autres migrants.

            Les hommes à droite, les femmes à gauche, chacun dans leur file.

            Il l’a chercha du regard désespérément.

            Il ne pu apercevoir que sa silhouette alors qu’on la chargeait dans un camion de police qui démarra vers une destination inconnue.

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