Renier

little-wing


"Je te hais, toi, tu m'aimes?"
 
Toi, t'ouvres les yeux en grand. Je vois bien que t'as pas capté ce que je viens de dire mais je ne dois pas répéter. Ce n'est pas le genre de chose que l'on peut dire et redire. Tu m'as coupé dans mon élan avec ton air je-dénie-tout-ce-que-tu-m'as-dis. Le déni, parlons-en justement.
 
C'est à cause du déni que l'on en est là. A force de faire comme si de rien n'était, que notre relation avait toujours été la même, que les pleures, les cris, les silences ne nous tuaient pas à petit feu. Les non-dits ont eu raison de nous. Les regards détournés m'ont fait comprendre que le point de non retour devenait proche.
 
Je pense qu'aujourd'hui, nous l'avons atteint. C'est aujourd'hui que nous réglons nos comptes et qu'ensuite, nous nous séparerons. Mais j'attends encore ta réaction. J'avoue être anxieuse alors que d'habitude, je suis blasée de tout. Même de toi. Alors pourquoi? Je commence à m'impatienter. Quitte à ce qu'on s'engueule, fais le maintenant, oui ou merde!
 
Tu me regardes droit dans les yeux. Ca y est, t'as enfin compris. Et j'ai même pas commencé. Le pire est à venir. Et c'est de toi qu'il vient. Tu choisis l'indifférence.
 
"Je suppose que cela répond à ma question."
 
Une enclume me tombe dans l'estomac. Oui, mon air blasé n'était qu'une façade. Quelle idiote je fais! Malgré toutes les crasses que tu m'as faites, j'avais encore de l'espoir! Pour toutes les fois où tu m'as engueulée, foutue à la porte, laissée sans argent, pour tous les soirs où je te voyais te droguer à la télé, te plaindre de ne pas trouver de travail alors que tu ne bougeais pas ton cul, pour me rejeter la faute, pour te plaindre encore et toujours! Mais jamais, au grand jamais, tu faisais attention à moi.
 
Alors j'ai arrêté de compter sur toi. C'est pourquoi aujourd'hui, alors que tu me déblatérais la vie scandaleuse des voisins (vie que tu sembles mieux connaître que la mienne), j'ai mis fin à ça. J'ai craqué vois-tu. Et toi, tout ce que tu me réponds, c'est l'indifférence. Difficile, très difficile de ne pas éclater ma colère entre les murs de la cuisine, seul lieu qui aura vu le seul instant d'affection de ta part. Je m'en souviens encore, j'avais 12 ans et en pleine conversation, tu m'as appelée "ma chérie". Ca m'a tellement fait drôle que je m'en souviendrais toute ma vie.
 
Mais cessons là la nostalgie inutile. Pourquoi ne veux-tu même pas savoir pourquoi je te hais? Pourquoi je dois te demander si tu m'aimes alors que je ne devrais même pas le faire?
 
Je sens les larmes montées. Non! Non, tu ne les mérites même pas, toi qui a si peu remplie ton rôle. Toi, qui n'étais jamais là quand j'en avais besoin.
 
"N'ai-je été qu'un poids?"
 
Bon sang, pourquoi est-ce que je tiens à savoir, moi? Je veux souffrir ou quoi? Ma réflexion se stoppe quand je m'aperçois que tu t'apprêtes à répondre. Toujours droit dans les yeux.
 
"Si seulement il n'était pas parti..."
 
Lui. Encore lui. Là, je pète une durite.
 
"Mais, merde!, laisse-le là où il est ce connard! Ca fait onze ans qu'il est parti, bordel! Et toi, tu... tu... Tu me fais chié!"
 
Serais-je capable d'en dire plus? Il y a tellement à dire mais en même temps... Ce ne sont pas des choses à dire, non? Où est la limite?
 
Mais je comprends un peu mieux maintenant. Tu m'aurais aimé s'il avait été là. Pour qu'il puisse prendre le relais quand toi, tu n'en pouvais plus. J'ai donc été réellement un poids. Et tu ne réagis même pas.
 
"Etais-je seulement désiré?" je demande après un énième silence, composite principal de nos conversations.
 
Trop tard. Je t'ai perdu. Non, c'est faux. Je ne t'ai jamais eu. La frustration, l'incompréhension, la colère, la peur, le désespoir, tout cela explosent. Je te hais. Je te hais pour m'avoir traîner dans la boue selon tes humeurs. Je te hais pour m'avoir laissée seule. Je te hais pour être égoïste. Je te hais pour être aigrie. Je te hais pour ces trop longs silences. Je te hais parce qu'il n'y a que la vie des autres qui t'intéresse. Je te hais parce que moi, je voulais t'aimer.
 
Est-ce qu'une fille a-t-elle le droit de dire à sa propre mère à quel point elle la hait? Je souffre mais quel genre de fille serais-je si je cherche à la faire souffrir autant que moi?

 
Je te hais. Toi, tu ne m'as même pas pris en compte dans l'équation. Indifférence, voilà le nom honnie. Ca fait plus mal que si tu m'avais frappé. J'aurais préféré. Voilà que tu me rends maso maintenant. Mais au moins, je sais de quoi il en est. C'est fini. C'est un adieu, maman. Le poids s'en va et moi, je vais refaire ma vie. Sans mes parents. Sans toi. Indifférence. Voilà ce que je te rends. 
Signaler ce texte