Ressuscité

peter-oroy

A l'issue d'une courte mais violente maladie, je me suis retrouvé soudainement confronté à l'impossible. Une réflexion sur la vie, sur l'humanité et sur l'amour du prochain. A méditer…

RESSUSCITE

 

05 heures 11 Hôpital Salem, Berne.

J'écris… 

Elle rôdait certainement depuis quelques temps autour de moi, cachée, tapie dans l'ombre évanescente du néant qui nous entoure. Chacun de mes faits et gestes était observé, scruté, analysé, décortiqué, enregistré puis soigneusement répertorié. Il était décidé que dans la page “x“ du Grand Livre, une annotation, certes pas encore définitive, me désignait. Plus proche de moi que de l'enfant à naitre, une théorie hypothétique de la réalité de la relativité d'Einstein m'était attribuée.

 

Elle avait alors beaucoup trop à faire, partout dans le monde et principalement là-bas dans l'est où des guerres fratricides employaient énormément d'énergie. Ce qui, peut-être fut ma chance, mais j'étais candidat élu. Pour une fois pas besoin de passer un test, une évaluation débile, une qualification partiale ou un examen !


Après une vie bien remplie, érigée comme celle de tout le monde, faite de hauts et de bas, mon temps libre s'était un matin allongé dans un infini exponentiel de liberté. Retraite bien méritée !

Du vieux coffre de mes hobbies, j'avais un jour ressorti toutes mes “œuvres futures en suspens“ que je tentais, avant, au fil des ans, de compléter, d'améliorer de continuer et de re-glisser dans l'errance du temps, faute de temps. Les tubes de peinture, pour certains vieux de quarante ans, séchaient dans la boite. Les plus récents prenaient de l'âge et de la mauvaise humeur à se laisser ouvrir. Ils ne voulaient daigner donner enfin un peu de leur substance qu'après de longues négociations et palpations sous l'eau chaude. Et cela repartait pour quelques tableaux ou restauration d'objets de Fayence ou de résine quelque peu avariés.

La décoration, la remise en état de certains sujets, la création, tout venait agrémenter les jours. Les croisières lacustres, la musique classique, les randonnées cœur à cœur, les braseros du cercle familial, enfants sensationnels et petits enfants aimants et merveilleux. Les grandes transhumances en France au volant de différentes amies comme “Mama Schultz “, la bonne vieille Passat ou encore la vénérable Skoda de grand luxe, robuste comme un camion, douce comme une Rolls, véritable salon routier, agrémentaient les jours d'été.

Mon Dieu comme la vie est belle et simple là où le soleil, décemment, dispense ses rayons avec bienveillance et bonheur !

Savons-nous vraiment apprécier tout cela avec toute la ferveur et la magnificence  que la vie nous confie en prêt initial, destiné à devenir la colossale fortune de notre parcours de vie et de notre œuvre personnelle?

Seuls ceux qui ont passé l'Epreuve suprême peuvent donner une réponse personnelle mais aussi universelle sur ce spectre que personne ne veut nommer, celle qui nous conduit aveuglément sur son âpre char de granit grumeleux, rugueux et froid. J'ai nommé : la mort !

***

Le médecin en charge de mon cas m'avait déjà mis en garde des conséquences possibles de mon état. Dans le brouillard qui m'envahissait je retiens seulement quelques mots bourdonnants et lugubres : détérioration possible de mon état, comma artificiel, volonté ou pas de continuer le chemin chez les vivants…

C'est là que je pris conscience de mon âge. On me demandait si j'estimais avoir tout accompli et ne plus avoir d'objectif dans la vie.

– Mais Bon Dieu ! Non ! J'ai encore tant de choses à accomplir avant de baisser définitivement la garde et de m'en aller les yeux fermés sur l'éternité.            

 

Il est maintenant 07 heures 11, un oiseau furtif vient de se poser sur le rebord de la terrasse de ma chambre d'hôpital. Il semble contempler la ville. Il s'ébroue, bat des ailes, me regarde puis reprend son envol.

Cette nuit j'ai vu la lumière, les masques grimaçants de granit sortis d'un moyen-âge de terreur, de sang séché et de douleur. D'horribles gargouilles grimaçantes au rire percutant jaillissaient des murs et poussaient des cris abominables à mon passage. J'ai vu les parois étroites du tunnel creusé par des monstres de mystères et de persécution où tout n'est que peur et soumission. J'ai roulé sur les rails rouillés qui grincent à chaque virage de la mine où l'on est enfermé, barricadé, en complète asthénie.

Ma langue était un bloc de granit figé dans une bouche minérale, sèche comme la pierre des montagnes. J'avais soif. Je voulais crier. Mon esprit divaguait entre chimère et réalité. Je me réveillais et retombais dans une douloureuse léthargie.

Rien ! Je ne pouvais rien faire, corseté sur ce chariot de la mort déchainé qui m'entrainait à toute allure vers ce clair obscur plein d'atrocités et de douleurs à venir. La lumière était vacillante au hasard du prochain virage. Elle m'attendait vers l'inconnu des ténèbres. Inexorablement ce chariot de l'enfer m'y entrainait.

Je ne veux pas ! Dans mon inconscient j'ai deviné le visage d'une vieille amie de ma famille au regard bienveillant et apaisant, disparue depuis quelques années. Sur le mur de la chambre le visage de ma maman se déroulait et s'enroulait comme une vision fugace du bonheur de mon enfance. Puis tous les miens étaient comme présents auprès de moi ! Il y avait tant d'amour autour de moi que mon subconscient décida de lutter. Pour eux, pour les autres, ceux qui m'aiment. Je ne peux pas leur faire cela! Vivre et survivre est un simple et puissant crédo. Puis tout s'est enchainé. Dans mon délire j'ai probablement appelé une infirmière. Je me souviens de ce cauchemar, qui, maintenant persistait dans un demi comma, de la prise d'un somnifère et du retour dans cette mine, puis du néant qui m'envahit. La fatigue et l'épuisement me terrassèrent. Je plongeai alors dans un demi sommeil agité. 

 

Au matin naissant je bifurquais avec une effroyable brusquerie vers l'inconnu. Je me suis senti comme expulsé du tunnel et, installé sur un tapis volant qui me berçait au-dessus d'une nature inondée de soleil et de verdure, je suis revenu à la vie. Peur de la nuit ! 

Quelques nuits suivantes je me suis retrouvé paisiblement dans des rêves éveillés sur ce tapis volant que, à ma grande surprise, je pouvais diriger par le simple fait de ma volonté. J'ai vu des pays merveilleux de nature. J'ai perçu le bruissement des sources, humé l'air embaumé des sapinières, tutoyé les montagnes, entendu le murmure de la vie. J'étais sauvé .

Puis un jour, encore engourdi de faiblesse, la permission de quitter ce monde hospitalier me fut signalée. Soulagement !

Dans un demi brouillard je retrouvai l'univers apaisant du foyer, simplement heureux de pouvoir toucher les objets du quotidien.

Mes premières sorties se résumaient à une promenade de cent mètres avec un arrêt bienvenu sur le banc caché sous les platanes du parc bordant le temple protestant. Le temps de reprendre mon souffle et le court circuit vers la maison reprenait. Quel défi remporté sur ma faiblesse !  Puis les promenades au milieu de la forêt de sapins m'ont permis de gagner quelques dizaines de mètres sur mon parcours de santé qui est redevenu long et apaisant.

Que reste-t-il de cette expérience ? Une profonde réflexion sur la vie, sur son rayonnement. Un nouveau regard posé sur les gens, sur le monde. Un désir de paix et d'humanité encore plus exacerbé. Une empathie saine et profonde envers les choses et l'humain. L'émerveillement d'un infime plaisir que la vie nous apporte. Un regard impartial et loyal sur ce monde aliéné par des guerres complètement inutiles et vaines à l'issue desquelles il n'y a jamais de vainqueurs. 

Combien de pensées lugubres ont traversé mon esprit fatigué. Combien de désespérances furent mon quotidien ! 

Mais avec quel infini espoir la volonté ranime la flamme de la vie !     

 

Memento, homo, quia pulvis es et in pulverem reverteris.

Souviens-toi , homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière.


© by Peter Oroy Novembre 2023

FIN 

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