Retour de flammes

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Retour de flammes

           Il franchit l’embrasure de la porte, mon cœur au corps imprégné de fumée, mon amant qui revient. Debout, dans son silence forgé, épuisé d’avoir lutté contre les flammes du dehors, il se tait. Je sais qu’il ne racontera pas, ni le déversement d’énergie, ni la peur tapie au fond de soi. Le feu a dévoré toute sa force et me le rend couvert de suie, d’images innommées, de flamboiements éteints. Il n’y a dans son regard ni fierté démesurée, ni humilité, c’est un regard droit devant soi, de ceux qui ne brûlent pas, de ceux qui éteignent toutes les questions possibles. Des heures durant j’ai attendu de le voir revenir et non, je ne hurle pas de joie de le savoir vivant, en sursis, l’odeur sur sa peau, comme la trace d’une femme que l’on pourrait haïr.

            Je veux le laver de tous ses instants-là, enlever l’uniforme qui le recouvre, détacher une à une les pressions. Dans ces moments du retour, je sais que l’atteindre me sera plus difficile tant il a fait de son corps un barrage. J’ai l’incendie de la rancœur, de la colère et du désir et je m’échoue sur le rivage de son torse nu sans frémissements. Je sais qu’il me faudra un temps encore pour le voir revenir pour de bon, que tout discours est inutile, que je dois patiemment attendre sans interroger. Je le sais par habitude car tous ses retours sont ainsi.

            On voit bien qu’elles n’ont jamais vécu cela celles qui fantasment sur les « hommes du feu », qu’elles n’imaginent ni les angoisses du départ, ni les interruptions quotidiennes, ni les non-dits que creuse l’uniforme. Devrais-je me sentir honorée de vivre avec un homme qui protège les autres hommes, les autres femmes, les forêts, les maisons, les vies de n’importe lequel des vivants? L’homme que j’aime ce n’est pas ce héros là qui m’est continuellement retiré, c’est celui qui me prépare le dîner du soir dans la cuisine, qui trinque avec moi dans le salon, ou me caresse dans la chambre jusqu’à ce que le téléphone sonne le glas d’un nouveau départ.

             A son retour, je veux toujours brûler les étapes, me jeter à lui, déverser ma peur sur son corps retrouvé. Je suis son retour de flammes, l’incendie qui l’attend quand il franchit la porte de l’appartement, le seul qu’il accepte de ne pas attaquer de front. A longueur de patience, je sens céder ses défenses et les miennes. La douceur de son regard m’est revenue et celle de sa main aussi sur mon visage, et celle de tout son corps qui me murmure enfin : oui il existe d’autres braises que celles d’où je viens.

  • Conseillé par Junon. M'a bien pigée, Junon :)
    Une pure merveille ce texte. Un texte pour adultes en somme. La générosité c'est le signe de l'esprit sain et mature. Et puis l'amour des autres, de l'autre c'est irrésistible et surtout si en plus c'est écrit aussi bien. Fan, totale.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • Brûlante et tragique déclaration d'amour... Non, on n'a jamais imaginé "ça" dans nos fantasmes d'uniformes... Mais ça sonne si juste, que ça fait peur. Bravo...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

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