Reviens-moi à Cave Junction.

lesinsomnies

Papa,


Je sais que je suis partie du jour au lendemain, sans laisser de mot, sans donner de nouvelle les jours suivants. Je sais aussi que tu n'approuves pas ce genre de comportement, que tu vois les fuyards comme faibles et lâches. Mais je n'en pouvais plus : j'étouffais. Le monde devenait terne peu à peu, le quotidien perdait de sa saveur et j'avais l'impression de revêtir de nouveau mes habits de noirceur. J'ai pris peur, Papa, simplement peur, parce que...


Tu sais, je me trouve dans une cabane tout en haut des arbres. J'imagine tes lèvres s'étirer pour former un sourire à ces mots. Tu te souviens quand je n'avais pas encore six ans et que tu me hissais sur les plus hautes branches des arbres au fond du jardin ? Tu avais toujours regretté ne pas m'avoir construit une cachette, là, au milieu des feuilles. J'aimais ces moments, Papa, je les aime toujours. Mais ils font mal aujourd'hui, tu comprends ?


Nous étions seuls au monde, deux complices rendant maman un peu folle. Tu m'ordonnais d'aimer et de respecter la nature, d'écouter son moindre souffle et son plus infime battement. A mon tour de sourire... Il y a un arbre au milieu de la pièce, un tronc qui s'impose, qui domine, qui rassure. La lumière éclaire l'endroit tendrement et me donne un peu de baume au cœur. J'avais besoin de me laisser bercer par le vent, besoin de ce silence majestueux, besoin de ne plus pleurer.


J'ai choisi de me perdre en pleine forêt, parce que depuis toujours c'est là que j'y noie mes maux et que je redeviens un peu moi-même : l'enfant sauvage, pieds nus, décoiffée, les paumes ouvertes aux écorces, les cinq sens en éveil. C'est toi qui venait me chercher par tous les temps quand je m'échappais. Tu savais que je me trouvais sous l'ombre du saule pleureur, les jambes et le visage griffés par les branches. Je me souviens d'une fois où Mathéo, mon petit amoureux de l'époque, m'avait confié préférer Emma. Du haut de mes huit ans, j'avais mal et je voyais déjà ma vie se terminer sur ce malheureux épisode. Tu étais venu t'allonger près de moi sur l'herbe humide, tu m'avais pris dans tes bras de papa fort. Je pouvais entendre ton cœur et ta voix grave résonner sous mon oreille...


Oh papa, tu me trouverais un peu pathétique à remuer les souvenirs. Tu m'encourageais toujours à aller de l'avant. « Allez, ma petite, ma princesse ! Lève toi ! Ne laisse jamais la vie te détruire », me disais-tu. Mais quand la vie détruit ceux qui me sont proches, papa ? Mais quand la vie choisit de partir ? Dis papa, moi, je fais quoi ? Je fais quoi, maintenant que tu n'es plus là papa...


Je viens ici pour me ressourcer, pour faire mon deuil de toi. La nature, c'était nous, c'était toi, ton symbole, ta force. Au lieu de ça, les souvenirs me submergent et je redeviens la petite fille que tu prenais sur tes épaules. Recommence papa, que je touche le ciel, que je puisse embrasser ton étoile...


Je me remets à pleurer. Il faudrait que je sorte sur la terrasse en bois, que je regarde les feuilles valser au rythme du vent, que j'observe les rares marcheurs de mon perchoir, que je regarde la vie pour la ramener à l'intérieur de moi. Je dois pourtant finir cette lettre pour l'enterrer dans la terre, pour qu'elle revienne à ce que tu aimais le plus. C'est mon cadeau, c'est mon adieu même si je sais que tu dormiras toujours au cœur de ma poitrine.


Je ferme les yeux, comme si tu me caressais une dernière fois la joue. Tu vas me manquer papa. Je profiterai de cet endroit pour toi, mais pour moi surtout. Je suis encore en vie, je retrouverai la saveur des émotions, je retrouverai la douceur du quotidien... Une fois partie, je t'aurais dit au revoir, mon petit papa et ça me fait mal, un peu, mais je sais que j'y arriverai. Tu sauras me transmettre de bonnes paroles à travers le vent et les nuits étoilées..


Je t'embrasse papa et je te remercie pour tout ce que tu m'as appris. J'ai peur de ne pas te l'avoir assez dit. Je t'aime, papa, je t'aime.. Ne me quitte jamais.


Ta petite, ta princesse


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  • Un texte qui donne les larmes aux yeux. Très émouvant et bien écrit. Je n'ai pas compris le titre mais sans doute est-ce très personnel.

    · Il y a presque 10 ans ·
    Unnamed

    Mélanie Courtois

    • Je ne peux qu'être touchée par tous ces compliments.

      J'ai écrit ce texte pour un concours. Nous devions choisir un lieu et inclure son nom dans le titre. Reviens moi à cause des souvenirs, de l'esprit du père qui flotte dans cette nature.

      · Il y a presque 10 ans ·
      Large (1)

      lesinsomnies

    • Ok merci pour l'explication!

      · Il y a presque 10 ans ·
      Unnamed

      Mélanie Courtois

    • Mais de rien :)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Large (1)

      lesinsomnies

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