Révolution

victoria28

   D’abord c’est juste un râle étranglé qui monte des bidonvilles, des faubourgs poisseux, du cloaque de la fange, et la colère alors gonfle sort et mugit, elle bat le rappel et court de porte en porte, elle tape sur les murs elle déborde des têtes, c’est la clameur brutale  des déchus, des brisés mutilés, des femmes orphelines des enfants profanés, et soudain elle est là qui surgit dans la cour, la foule grouillante et saoûle et sale et folle et vile, tordue d’humiliation assoiffée de vengeance, elle veut voir le tyran, veut des comptes, veut sa vie.

   Il regarde, c’est son peuple, caché par les rideaux. Son reflet cacochyme tremble dans le miroir où dansent les flammèches des torches orangées. Il peine à respirer. A ses pieds il ne voit que des poings des machettes et des bouches grandes ouvertes sur des cris édentés. Il voit sa mort en face et soudain il a peur. Il recule, hésite, doit partir, mais que prendre, le coffre ? l’enfant ? le chat ?

   Il s’enfuit les mains vides. Il  se met à courir. Il tombe dans l’escalier. Il gémit, jure, il saigne, il pousse une porte, derrière libre ! mais ce sont d’autres cris qui l’attendent derrière,  un mugissement avide de triomphe exalté, un assaut de fantômes maigres nus écorchés et des hommes cloportes qui relèvent la tête.

   Alors il sait qu’il va payer. Pour les hommes amputés, les vieillards humiliés, pour les femmes souillées les espoirs pendus, pour les vies dépouillées les destins calcinés et la folie du sang il sait qu’il va payer.

   La vengeance commence.

   Le premier coup l’atteint au dessus de l’oreille et cela l’étonne presque, c’est donc ça, la douleur, le sang coule, la peau craque, à peine a-t-il crié que déjà les os cassent sous les haches affolées.  Il ouvre la bouche, il râle, il tombe, il se tord à terre et la foule le piétine, le broie le démembre, il  est encore à moitié là que sa main court de main en main, et sa tête et son sexe, que la foule brandit tel un ultime trophée, ils sont couverts de sang et le boivent et ils rient, et puis les cris retombent et l‘ivresse s’écoeure, le silence revient, et la meute s’écarte, sonnée, rassasiée. Le jour blanchit au lointain et eux ils vont dormir.

   Sur le sol il n’est plus qu’un petit amas sombre, os et de chair écrasés, une bouillie fétide, à peine une tâche, un vestige, rien du tout, il n’est plus bon à rien qu’à nourrir les chats, il n’est plus qu’une pitance une pitié, il n’est plus.

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